La cession de l’entreprise familiale est un processus particulièrement complexe, dans lequel interviennent à la fois des facteurs rationnels et émotionnels. Si vous voulez que l’opération se déroule dans les meilleures conditions, mieux vaut vous retrousser les manches dès aujourd’hui…
Une étude de la Fédération belge des entreprises familiales fait apparaître une série de tendances intéressantes. Ainsi constate-t-on que 22% des chefs d’entreprises familiales prévoient de céder la direction de leur entreprise dans les cinq ans. Cette proportion atteint 25% pour la cession de la propriété. Plus étonnant : la moitié de ces entrepreneurs n’ont encore aucune idée de l’identité des futurs dirigeants ou propriétaires de leur entreprise. On notera également que 40% des entreprises familiales n’ont pas la moindre idée des conséquences pour la société de la disparition subite du propriétaire ou de leur directeur. La plupart d’entre elles ne se sont pas préparées à un tel scénario. Outre les facteurs émotionnels et les questions difficiles auxquelles il faut trouver une réponse, la problématique des droits de succession joue bien entendu un rôle important dans ce domaine (voir encadré).
Successeurs
La plupart des entreprises familiales privilégient une solution intrafamiliale. Souvent, l’actuel propriétaire ne discute de la cession de l’entreprise familiale avec ses héritiers potentiels qu’à un stade très tardif. Pour constater fréquemment que le successeur désigné n’a absolument pas l’intention de reprendre le flambeau. Interrogés sur leurs projets dans le cadre d’une étude réalisée par l’université de Saint-Gall, à peine 7% des étudiants issus d’entreprises familiales belges indiquent qu’ils souhaitent reprendre l’entreprise de leurs parents.
Cinq ans après la fin de leurs études, la situation est légèrement plus positive : le pourcentage de personnes interrogées qui se voient comme repreneurs potentiels de leur entreprise familiale atteint près de 13%. L’enfant le plus présent dans l’entreprise familiale n’est pas nécessairement le plus intéressé par son acquisition, sans que le pater familias en soit nécessairement conscient.
Le successeur tout désigné aux yeux du pater familias peut parfois plutôt voir son activité au sein de l’entreprise familiale comme un apprentissage en vue de la création de sa propre société. Une bonne conversation avec les parties concernées est dès lors cruciale. Même lorsque le successeur présumé souhaite effectivement reprendre l’entreprise familiale, il peut subsister d’autres obstacles à la succession. Les parents sont souvent soucieux de traiter tous leurs enfants sur un pied d’égalité et voient parfois le fait que tous les enfants ne veulent pas être actifs dans l’entreprise familiale comme un obstacle à son transfert à la génération suivante. Il existe heureusement de nombreuses solutions permettant de transférer la propriété et/ou le contrôle de l’entreprise familiale aux enfants qui y sont actifs, sans pour autant léser les autres.
Anticiper
Le chef d’entreprise doit absolument être conscient du fait que le transfert d’une entreprise familiale nécessite des adaptations à mettre en oeuvre suffisamment tôt. Le processus de transfert requiert en effet beaucoup de temps avant de pouvoir atteindre un résultat satisfaisant.
Dans la pratique, on estime généralement qu’une période de cinq à dix ans est indispensable. Dans cet intervalle, l’entrepreneur devra progressivement transmettre le contrôle et la direction à son successeur. Pour autant que de bonnes dispositions aient été prises avec le successeur, le père de famille pourra toujours continuer à jouer un rôle de conseiller ou de gardien des valeurs de l’entreprise familiale après la cession. Il est cependant préférable de laisser le navire suivre seul son cap à un moment donné. La génération suivante pourra ainsi continuer à développer l’entreprise familiale avec ses propres idées innovantes.
Personne ne paie volontiers des droits de succession lors du transfert d’une entreprise familiale par décès. Heureusement, il est possible de ne pas devoir s’acquitter du prix plein tout en restant dans la légalité. En cas de succession au profit du conjoint survivant, du cohabitant légal, des enfants ou des petits-enfants, les droits de succession peuvent rapidement atteindre 27% en Flandre ou 30% en Wallonie et en Région de Bruxelles-Capitale. En cas de legs à des tiers, la facture fiscale peut atteindre, dans le pire des cas, 80%. S’ils ne disposent pas de liquidités suffisantes, les successeurs peuvent se voir contraints de vendre tout ou partie de l’entreprise, voire de mettre un terme à ses activités pour pouvoir payer les droits de succession. Désireuses de préserver le tissu économique des PME et donc les emplois qu’elles représentent, les trois Régions de notre pays ont heureusement élaboré des régimes préférentiels spécifiques applicables aux transmissions d’entreprises familiales par donation ou succession.
L’étude « EY Worldwide Family Business Tax Guide » publiée récemment révèle d’ailleurs que les régimes préférentiels existant en Belgique sont particulièrement avantageux par rapport aux régimes similaires s’appliquant dans beaucoup d’autres pays. Dans le cadre de ces régimes préférentiels, les droits de succession peuvent être réduits à 0% en Wallonie, 3% en Région de Bruxelles- Capitale et 3% (entre conjoints, cohabitants et héritiers en ligne directe) ou 7% (entre autres personnes) en Flandre. Afin de préserver la pérennité et la croissance future de l’entreprise familiale, il est crucial que l’entrepreneur commence à réfléchir à temps à la cession et anticipe la mise en oeuvre de ces régimes préférentiels. Pour bénéficier de ces régime préférentiels et exploiter au mieux les possibilités qu’ils offrent, on devra en effet procéder, dans certaines situations, à des réorganisations ou restructurations de l’entreprise ou du groupe d’entreprises.
Ces régimes préférentiels peuvent également s’appliquer en cas de transmission de l’entreprise par donation, selon les mêmes taux de 0% en Wallonie et de 3% à Bruxelles-Capitale. En Région flamande, le taux applicable est alors réduit à 0% (au lieu de 3% à 7% en cas de transmission par décès), afin d’inciter les dirigeants d’entreprise à régler le transfert de leur entreprise de leur vivant. De nombreux chefs d’entreprise éprouvent une certaine difficulté à renoncer de leur vivant à leur contrôle au sein de l’entreprise dont ils ont activement contribué au succès et n’envisagent dès lors que très difficilement le scénario de la transmission par donation. Cela dit, il existe de nombreuses solutions permettant au chef d’entreprise de conserver le contrôle de l’entreprise familiale aussi longtemps qu’il le souhaite tout transmettant déjà celle-ci par donation. Pensons notamment à la société civile de droit commun ou à la fondation-bureau d’administration. Dans ces cas de figure également, il est naturellement essentiel de commencer la planification à temps.