entreprises familiales fascinent. Par quelle mystérieuse alchimie parviennent-elles à durer dans un monde où plus rien ne semble pérenne? Sophie Velge et Dominique Moorkens, respectivement administratrice déléguée et président de l'antenne belge du réseau international des entreprises familiales (FBN Belgium, le Family Business Network), attribuent à ce petit miracle le nom d'affectio societatis.
"L'affectio societatis est la volonté de s'associer pour réaliser un projet commun", déclare Sophie Velge, appartenant à la 4e génération du groupe Bekaert, leader dans la transformation de métaux et revêtements avancés. "Cette notion s'avère centrale dans les entreprises familiales: sans cohésion du groupe familial, la survie de la société est menacée."
Dominique Moorkens, ancien CEO d'Alcopa (holding familial opérant dans l'automobile, les deux-roues et les bureaux), complète: "À la deuxième génération, la société se retrouve avec des actionnaires 'de hasard', qui n'ont pas choisi d'y investir mais ont reçu ou hérité des parts. Dès lors, garantir la survie de la société familiale implique de maintenir l'affectio societatis, même si ce dernier évolue au fil du temps. La gouvernance doit bien identifier le périmètre des actionnaires et veiller à ce que chacun ait un rôle qui lui convienne."
Générations
Ensuite, aux membres de la famille présents dans l'entreprise (ou, le cas échéant, aux administrateurs extérieurs à qui la direction a été confiée) de communiquer efficacement vers tous ceux des 'périmètres' moins centraux. Sans jamais oublier que bon nombre de membres de la famille ont une grande partie de leur capital immobilisé dans l'entreprise. "Il importe de disposer d'occasions de se rencontrer et d'échanger entre les générations”, insiste Sophie Velge. “Toutes les questions peuvent être posées, cela élimine les non-dits. Dans les plus grandes sociétés, nous conseillons d'aller plus loin. Les actionnaires familiaux de Bekaert organisent tous les six mois une réunion d’information familiale avec le CEO et le président. Tous les deux ans, cette réunion à lieu lors d’un week-end qui inclut des activités sportives, un dîner et une soirée dansante. Une visite d’usine et d’un centre de recherches a eu lieu en Chine. Nous avons créé la ‘Bekaert Academy’ qui aide les membres de la 5e génération à connaître l’entreprise. Un travail de réflexion sur les attentes, la vision et la gouvernance des actionnaires familiaux est en cours. En outre, une plateforme intranet sécurisée et une newsletter permettent aux actionnaires familiaux de se tenir informés."
Chez Alcopa, la famille a lancé, voici deux ans, un exercice baptisé "Un rôle pour tous", détaille Dominique Moorkens: "Deux volontaires ont consulté la trentaine d'actionnaires pour que chacun exprime son ressenti et ses attentes vis-à-vis de l'entreprise."
Le nez dans le guidon
Tout cela réclame du temps et de l'énergie à des dirigeants souvent, selon l'expression consacrée, "le nez dans le guidon". Ces efforts peuvent leur paraître superflus, ils sont pourtant indispensables pour maintenir la cohésion à moyen et long termes. "On peut même parler d'un chantier permanent, d'autant plus nécessaire à la survie de l'entreprise qu'après la troisième ou quatrième génération, le lien se distend", prévient Dominique Moorkens.
"D'où l'importance de rappeler à tous l'histoire de la société, de revenir sur ses valeurs, de ne pas se braquer sur ses intérêts individuels." Aux yeux des deux dirigeants de FBN, la transmission aux générations futures résidant au coeur des entreprises familiales, l'engagement sociétal en découle naturellement. "Il constitue l'un des critères du Family Business Award of Excellence® décerné par EY avec GUBERNA et FBN Belgium", rappelle Sophie Velge.
Maintenir le lien, l'affectio societatis, constitue un chantier permanent, nécessaire à la survie de l'entreprise au fil des générations.