Taxe Cayman, Règlement sur les successions… Le contexte fiscal ne cesse d'évoluer. Trois spécialistes livrent leurs conseils sur la meilleure façon de s'adapter à cette nouvelle donne et de préparer la transmission de son patrimoine.
Avoirs à l'étranger: l'ère de la transparence
Si vous disposez d'avoirs à l'étranger, vous savez sans doute que l'échange d'informations fiscales à l'échelle internationale ne cesse de progresser. "On peut dire que le secret bancaire n'existe plus", assène Me Sabrina Scarna, avocate chez Tetralaw. "La 'taxe Cayman' (Loi du 10.08.2015) s'applique depuis le 1er janvier 2015: si vous êtes fondateur d'une structure étrangère non soumise à l'impôt sur place ou taxée à moins de 15%, vous serez taxé personnellement sur tous les revenus qu'elle reçoit. Le fisc considère que la structure est transparente. Si elle se trouve dans l'Espace économique européen, elle n'est en principe pas visée, sauf dans les cas prévus par l'AR du 23/8 (cf. SPF Luxembourg). Hors EEE, vous devrez prouver que la structure est soumise à un impôt supérieur à 15%."
L’échange international de données financières fut un sujet amplement abordé durant les Estate Planning Days. Est-ce également un thème majeur pour BNP Paribas Fortis?
Peter Vandekerckhove (administrateur délégué et membre du Comité de direction de BNP Paribas Fortis): “C’est très important, oui. Et je ne parle pas seulement de nos lourds investissements dans les membres du personnel et les systèmes permettant d’implémenter tout cela, mais aussi de l’impact sur nos clients. Ceux-ci sont confrontés à un plus grand nombre de questions."
Est-ce une bonne chose selon vous?
“Plusieurs événements comme la crise financière et la lutte contre le terrorisme ont amorcé un changement de mentalité parmi les autorités. Celles-ci ont pris des initiatives visant à renforcer la transparence autour des données financières et fiscales. Cette évolution trouve également un écho dans le comportement des citoyens, qui souhaitent aborder leurs investissements en toute transparence. Nous avons souvent vu la jeune génération inciter leurs parents à régulariser fiscalement certaines situations passées.”
“Cela s’inscrit parfaitement dans notre philosophie : la banque et ses clients doivent collaborer dans une relation de confiance réciproque. D’une part, les clients doivent avoir l’assurance que la banque ne prend pas de risques démesurés et respecte toutes les dispositions légales. D’autre part, la banque doit être sûre que les clients respectent les dispositions légales applicables à leur patrimoine. Notre approche est également internationale. L’approche fiscale pure ne saurait se limiter à la Belgique.”
N’y a-t-il donc pas de limite à la transparence?
“Il y a une limite à laquelle nous accordons une grande importance : le respect des règles en matière de vie privée. L’échange de données financières ne signifie pas que tout le monde puisse désormais avoir vue sur le compte bancaire de son voisin.”
Vos avoirs ne sont pas déclarés? Vous risquez un contrôle fiscal de l'Inspection spéciale des impôts, ainsi que des poursuites pénales qui peuvent vous valoir jusqu'à 5 ans de prison et 500.000 euros d'amende en plus de l'impôt en cas de fraude fiscale grave. Pour l'éviter, comme il n'y a plus de DLU depuis 2014, vous pouvez prendre l'initiative d'une régularisation auprès de l'ISI. Vous réglerez l'impôt éludé, l'accroissement et les intérêts de retard.
Succession: le choix de la loi applicable… et ses conséquences
Le 17 août dernier, le Règlement européen sur les successions(1) est entré en vigueur. Il s'applique aux aspects civils des successions et s’il règle diverses difficultés, il peut aussi créer un nombre vertigineux de casse-têtes potentiels. En premier, seul le juge ou le notaire du pays de résidence du défunt sera désormais compétent pour régler une succession. "Auparavant, à la mort d'un résident belge possédant des de l’immobilier en Belgique et de l'immobilier en France et en Allemagne, trois successions s'ouvraient (une dans chaque pays concerné)", résume Me Emmanuel de Wilde d'Estmael. En deuxième lieu, le Règlement stipule que la loi unique qui s'applique à toute la succession mondiale est également celle du pays de résidence.
Jusqu’à présent, il s'agit plutôt de bonnes nouvelles pour les notaires belges. Mais le troisième point est le suivant: le défunt peut décider, par testament, qu'une autre loi que celle de son pays de résidence s'appliquera pour sa succession. Avec une limite: on ne peut choisir que la loi d'un pays dont on a la nationalité, qu'il soit ou non membre de l'UE. Un Belgo-Japonais pourra donc décider par testament que sa succession sera régie par le droit nippon. Les défenseurs de ce règlement assurent qu'il permet davantage de liberté: ainsi, les pays de common law ignorent les principes de réserve héréditaire. En France, on peut dans la plupart des cas déshériter son conjoint, pas en Belgique. Plus vertigineux, les tribunaux de tous les pays européens (dus moins dans 25 pays) vont devoir appliquer des lois successorales d’autres pays. "On va très probablement à terme unifier les règles de dévolution", reprend l'avocat. "Mais d'ici là… cela risque de s'avérer un sacré pataquès."
(1) Règlement du 4 juillet 2012.
Sociétés familiales: entendre les desiderata de chacun
Les sociétés familiales – généralement des PME – forment le noyau dur de notre économie. À chaque génération, le problème de leur transmission se pose. "Si elle n'est pas opérée de façon adéquate, cela fragilise l'entreprise et peut menacer sa survie", prévient Me André-Pierre André-Dumont, avocat chez Buyle Legal.
Depuis la fin de 2014, la loi réglemente les avis rendus, notamment, par les institutions financières en matière de financial planning. Une excellente nouvelle aux yeux de Benoît Frin, Director Estate Planning & Lending chez BNP Paribas Fortis: "Tous les acteurs de la planification successorale (notaires, avocats, banques, family offices, etc.) sont désormais tenus aux mêmes obligations, ce qui ne peut être que bénéfique pour les clients."
Les atouts multiples de l'écrit
Ce nouveau cadre légale s'applique dès le moment ou le conseillé donne une analyse personnalisée de sa situation au client sur l’ensemble de son patrimoine. Le changement majeur? Tout se fait dorénavant par écrit, ce qui améliore le dialogue entre les différents acteurs du dossier. "Cette dimension écrite résultant de l’obligation d’un rapport lors d’une analyse personnalisée sur l’ensemble du patrimoine du client est cruciale", reprend Benoît Frin. "La planification successorale est une matière complexe et mouvante. Le rapport rédigé par le spécialiste recèle un atout pédagogique certain pour le client. À la fois s'il ressent la nécessité de préciser l'un ou l'autre point par la suite, mais aussi pour opérer, à la fin du processus, le meilleur choix possible, en toute connaissance de cause et à tête reposée "
« En plus de faciliter les échanges avec les clients sur le solutions envisagées, il permet d’offrir une base de discussion objective avec les conseils de nos clients, tel que les notaires ou les avocats par exemple, afin de proposer à nos clients des solutions sur mesure ", conclut Benoît Frin.
Tous les cas de figure existent: un seul des enfants souhaite reprendre, ou aucun d'entre eux; tous les enfants travaillent dans l'entreprise, ou quelques-uns seulement, voire aucun; la génération précédente veut conserver le pouvoir le plus longtemps possible tout en transmettant la propriété, ou désire au contraire passer la main dès que possible… Il importe d'entendre les desiderata de chacun. Chaque cas trouve sa solution sur mesure. "Une entreprise familiale est construite sur un certain nombre de valeurs, qui peuvent d'ailleurs évoluer dans le temps. Il importe d'en discuter et de les transmettre également."
La transmission soulève fréquemment des questions de gouvernance. "On doit trouver des mécanismes équilibrés permettant à chacun d'être reconnu dans ses apports et ses compétences, quel que soit son degré d'implication." De nombreuses familles choisissent d'établir une charte familiale, parfois assortie d'un forum familial. "Des équilibres sont à dégager pour préserver l'efficacité de l'entreprise", note Me André-Dumont.