“Les entreprises familiales solides font aussi appel à des talents externes”

Bonne gouvernance, esprit d'entreprise et engagement social: Duvel Moortgat excelle dans ces trois domaines essentiels. La brasserie est également lauréate du Family Business Award of Excellence. Eric Van Hoof (EY) et le président du jury, Guido Vanherpe (La Lorraine Bakery Group), échangent leurs expériences et leurs meilleures pratiques avec Michel Moortgat.

“Laissez-moi vous servir quelques bières d'abord: ensuite, nous ferons un peu de publicité”, annonce Michel Moortgat, CEO de Duvel Moortgat, avant d’ouvrir le réfrigérateur de la salle de réunion. Une fois la Tripel Hop, la Triple d'Anvers et la Vedett sur la table, la conversation peut commencer. Ne devrait-il pas y avoir aussi quelques sandwiches ou pâtisseries? “Non, car cette fois, c'est Duvel Moortgat qui est à l’honneur!”, répond Guido Vanherpe, CEO du groupe de boulangerie La Lorraine. Quant à Eric Van Hoof, partenaire et Family Business Leader chez EY, il ne vend pas de produits physiques: il donne des conseils. Les bons conseils et les meilleures pratiques sont d’ailleurs le fil conducteur de la conversation.

En quoi consiste l’EY Family Business Award of Excellence?
Eric Van Hoof. “Il s'agit d'un label de qualité qui place les entreprises familiales sous le feu des projecteurs. Pour pouvoir participer, l'entreprise doit être située en Belgique et disposer d’un actionnariat principal de type familial. Il faut que la troisième génération ou la suivante soit active dans l'entreprise ou sa gouvernance, et l'objectif de la famille doit être de passer le flambeau à la génération suivante. Les entreprises doivent obtenir de bons résultats en termes d'équilibre famille/entreprise, appliquer une bonne gouvernance, préparer la succession de manière professionnelle et, à travers les générations, suivre une belle trajectoire de croissance.”

“L'un des grands défis consiste à conserver votre esprit d'entreprise à mesure que la société se développe. La complexité ne doit pas devenir trop grande, les procédures trop lourdes ni les lignes de communication trop longues.”

Michel Moortgat, CEO de Duvel Moortgat

Comment expliquez-vous que Duvel Moortgat ait remporté ce prix?
Guido Vanherpe. “Duvel Moortgat décroche de bons résultats au regard de ces quatre critères. Je voudrais souligner que, grâce à sa gouvernance familiale bien pensée, l'entreprise a prouvé qu'elle pouvait aussi naviguer dans des conditions difficiles. Les qualités d'un capitaine se jugent pendant la tempête… En outre, Duvel Moortgat bénéficie d’une solide expérience et d’une vision à long terme qui ont contribué à créer de la valeur au fil des générations. L'entreprise a encore des ressources pour poursuivre dans cette voie. Enfin, la gestion a été professionnalisée grâce à de solides talents externes.”

Michel Moortgat. “C'est l'un des grands défis qui se posent aux entreprises familiales: mettre en pratique et souligner les valeurs familiales, tout en attirant des talents extérieurs d’exception. J'ai observé de nombreux modèles en la matière. Certaines familles ont peur des talents forts, plus forts que la famille. De même, des personnes extérieures m'ont confié leur crainte que la famille passe toujours au premier plan. Ce n'est toutefois pas le cas chez nous. Le grand avantage des entreprises comme la nôtre est sans aucun doute la vision à long terme.”

Vanherpe. . “Ces éléments sont le yin et le yang de la gestion efficace d'une entreprise familiale. La vision et les valeurs de long terme ne doivent pas changer; parallèlement, il faut offrir de la place et une certaine latitude aux éléments nécessaires au changement, comme l'innovation et le souci d’être en phase avec son époque. Pour ce faire, il faut attirer des talents extérieurs, des professionnels. Si vous les laissez créer de la valeur, cela doit se faire dans une perspective de long terme et selon les valeurs qui constituent l'ADN de l'entreprise.”

Comment cela se traduit-il dans la pratique?
Moortgat. “Il est important de se rappeler d'où l’on vient. Connaître votre histoire et identifier clairement vos valeurs et votre vision. À mesure que votre entreprise se développe, vous ne pourrez plus expliquer individuellement à chacun – membres de la famille ou employés – ce que renferment ces valeurs et cette vision.”

Vanherpe. “Une charte impose la discipline. Écrire et dire, ce n'est pas pareil. Pour la rédiger, vous réfléchirez en profondeur et créerez un climat de confiance avec les parties prenantes et la famille, sur le long terme.”

Van Hoof. “Je trouve ces chartes intéressantes car elles offrent aux familles de revenir à ce qui les rassemble. Celles-ci réfléchissent à ce qu'elles ont accompli, où elles en sont et où elles vont. En outre, elles peuvent communiquer à ce sujet.”

Vanherpe. “À ce titre, la charte est un point de départ et non un point d'arrivée. Il s’agit de rechercher le consensus entre les membres de votre famille et de mettre en place des structures solides. Pensez à un conseil d'administration professionnel qui serait composé d'administrateurs indépendants supervisant les processus objectifs. Ou à un forum familial destiné à favoriser l'implication de la famille, par exemple dans le cadre de journées familiales. La charte n'est pas un document parmi d’autres. Il faut en avoir conscience.”

Moortgat. “Les règles du jeu doivent être claires. Y compris pour la génération suivante.”

Faut-il voir, dans cet effort d'ouverture et de transparence, l'évolution majeure de ces dernières années?
Van Hoof. “Cet effort dure depuis au moins 10 ans. En outre, nous vivons un moment unique où les baby-boomers font de la place aux millennials, qui ont un point de départ différent, une autre façon de communiquer. Ils attachent une grande importance au ‘purpose’.”

Vanherpe. “La nouvelle génération – et certainement les meilleurs talents – est séduite par les entreprises familiales. Les grandes sociétés peinent souvent à continuer de croître et à conserver leur esprit d'entreprise. Les entreprises familiales, en revanche, se sont professionnalisées et peuvent désormais donner à ces jeunes la possibilité de s'épanouir. Dans une entreprise comme la nôtre, il est souvent plus facile de mener à bien un projet sans hiérarchie excessive. Dans le passé, on craignait que les entreprises familiales soient trop informelles et peu réglementées, mais cet écueil peut être surmonté grâce à des règles adéquates et à une gouvernance forte.”
“Nous devons veiller à ne pas attirer des talents pour le court terme. Nous évitons les candidats qui espèrent obtenir une part du gâteau dans quelques années et en tirer profit personnellement. Nous recherchons au contraire des profils chez qui l'esprit d'entreprise et les bonnes valeurs sont innés. Ils doivent prendre le temps de connaître notre entreprise et de nouer des liens avec elle sur le long terme.”

Moortgat. ‘“L'un des grands défis consiste à conserver votre esprit d'entreprise à mesure que la société se développe. La complexité ne doit pas devenir trop grande, les procédures trop lourdes ni les lignes de communication trop longues. Il faut pouvoir rebondir avec facilité.”

“La famille et l'entreprise ont deux dynamiques distinctes. Émotionnelle et rationnelle. Préserver cet équilibre représente un véritable défi.”

Eric Van Hoof, partenaire chez EY

Comment préparez-vous la génération suivante?
Van Hoof. “La famille et l'entreprise ont deux dynamiques distinctes. Émotionnelle et rationnelle. Préserver cet équilibre représente un véritable défi. Dès lors, il n'est pas toujours aisé de parvenir à un transfert de père en fils, par exemple.”

Vanherpe. “Voici 27 ans, j'ai pris la relève de mon oncle et non celle de mon père. Je pense que c'était un avantage. J'aurais pu prendre le relais de mon père mais cela aurait été plus difficile. Objectiver la relation entre les membres de la famille est absolument crucial. Tout comme séparer le travail des relations familiales. Comme si vous collaboriez avec une personne extérieure. Le jour où un membre de la famille plein de talent et d'enthousiasme se lève, il faut pouvoir l'écouter objectivement. Sans exercer aucune pression. La pression est la pire sensation que peut ressentir un éventuel successeur.”

Moortgat. “Cette objectivation est évidemment importante des deux côtés. Si mon fils travaillait ici, je devrais le traiter objectivement, et réciproquement. Notre communication ne devrait pas être différente de celle nouée avec les autres employés. Il faut s'assurer de ne jamais prendre de décisions à table le dimanche midi. Les autres membres de la direction ne doivent pas se sentir exclus.”
“Notre charte stipule que nous aimerions faire entrer la cinquième génération dans l'entreprise, mais qu'elle doit avoir la passion et le talent nécessaires pour diriger l'entreprise. Nous ne voulons pas de caristes talentueux, car cela compliquerait la tâche à leurs collègues et à leurs supérieurs. Soit ce ne sont pas de bons caristes et nous ne pouvons pas les employer, soit ce sont de très bons caristes et ils n'ont pas besoin de cette entreprise. Auquel cas Guido peut les embaucher (rires).”

Quelle valeur a pour vous le Family Business Award of Excellence?
Moortgat. “C'est une précieuse reconnaissance, surtout pour nos collaborateurs. Ils reçoivent la confirmation que nous allons bien, quels que soient les chiffres. De plus, cette récompense est une belle publicité, tant pour nos produits que pour nous aider à attirer les meilleurs talents. Elle nous permet de communiquer nos valeurs et notre engagement. L'expression ‘pour vivre heureux, vivons cachés’ n'est plus d’actualité.”

Vanherpe. “La reconnaissance rend fier et rassure. Les employés doivent l'entendre de la bouche d'un organisme objectif. Ce discours est plus crédible que lorsque les louanges sur l'entreprise proviennent de votre CEO ou de votre supérieur hiérarchique.”
“Ces prix peuvent également servir d'exemples pour d'autres entreprises familiales. En tant que société, vous avez tout intérêt à veiller à ce que le tissu des entreprises familiales reste solide et se développe. Après tout, c'est précisément ce type d'entreprise qui trouve ici l’ancrage le plus solide et garantit un emploi stable.”

“Il faut pouvoir séparer le travail des relations familiales. Comme si vous collaboriez avec une personne extérieure.”

Guido Vanherpe, CEO de La Lorraine Bakery Group