La recherche d’investissements réellement durables est croissante, tant chez les investisseurs particuliers qu’au sein des grands fonds d’investissement. Selon Vanessa Marquette et Sarah Libregts du cabinet d’avocats Loyens & Loeff, la récente approbation du règlement " Taxonomie " par le Parlement européen représente une étape décisive pour permettre le financement de la transition vers une économie européenne durable.
Le règlement Taxonomie est un système de classification étendu et uniforme destiné à mesurer le caractère durable des investissements. Pensez-vous qu’il aura réellement un impact?
Vanessa Marquette (associée Banking & Finance): “Cette taxonomie représente sans aucun doute une étape décisive vers une croissance durable en Europe. Toutes les réglementations qu’adopteront à l’avenir les États membres de l’Union européenne afin d’encourager les investissements dans des technologies durables devront respecter les critères de durabilité fixés par la taxonomie. Jusqu’à présent, la question était: qu’est-ce, en réalité, qu’un investissement durable? Les indices de durabilité – souvent locaux – prolifèrent mais il est impossible pour le non-expert de les comparer. Le règlement Taxonomie doit trancher et déterminer ce qui est réellement durable et ce qui relève du greenwashing – ces investissements commercialisés comme durables mais qui ne le sont pas du tout. L’objectif final est d’avoir une liste " verte " au niveau européen qui énumère aussi précisément que possible les activités durables au sein de chaque secteur économique. Concrètement, ce règlement entrera en vigueur graduellement d’ici à 2023.”
Dans quelle mesure les investisseurs tiendront-ils réellement compte de cette liste?
Vanessa Marquette: “Le règlement Taxonomie ne force pas les investisseurs ni les gestionnaires de fonds à investir dans des produits financiers durables. L’approche choisie est d’imposer des obligations de transparence aux gestionnaires de fonds et aux émetteurs de produits financiers afin que les investisseurs disposent d’informations fiables et harmonisées dans toute l’Union européenne.”
Qui devra respecter le règlement Taxonomie?
“Les gestionnaires de fonds, donc, mais aussi les gestionnaires de portefeuille et les compagnies d’assurances qui proposent des produits d’investissement. Dans la mesure où il s’agit d’un règlement européen, tous les États membres de l’UE seront également contraints de respecter cette taxonomie, par exemple quand ils adopteront de nouvelles législations ou des labels pour les investissements durables.”
“Jusqu’à présent, la question centrale était: qu’est-ce, en réalité, qu’un investissement durable? Le règlement Taxonomie déterminera ce qui est réellement durable et ce qui relève du greenwashing.”
Les entreprises et la technologie évoluent. La taxonomie évoluera donc elle aussi constamment…
Vanessa Marquette: “Absolument. Un groupe d’experts nommés par la Commission européenne travaillera à l’approbation de nouveaux critères et devra veiller à ce que les critères de durabilité évoluent.”
Avez-vous le sentiment que les investisseurs se soucient vraiment du risque de greenwashing?
Vanessa Marquette: “Oui. Ils se voient souvent proposer des fonds ou des produits d’investissement qui, lorsqu’on les analyse de plus près, ne satisfont pas aux critères de durabilité qu’ils recherchaient. Ceci étant dit, force est de constater que cette taxonomie place surtout l’accent sur la dimension écologique et qu’elle porte relativement peu d’attention au social ou à la gouvernance, alors que ces deux aspects relèvent eux aussi de la durabilité. La taxonomie ne peut être trop limitative: de très nombreuses activités économiques sont en pleine transition vers des modèles plus durables et ne peuvent pas être exclues. La taxonomie accepte ainsi des activités ‘transitoires’, pour lesquelles il n’existe pas d’alternative pauvre en carbone, ainsi que des activités ‘habilitantes’ comme la construction d’une voiture électrique qui émet des gaz à effet de serre, mais permet à terme une réduction des émissions dans le secteur des transports.”
La plupart des banques émettent déjà des social bonds et des green bonds tout en investissant dans des secteurs plutôt douteux. Où en sommes-nous aujourd’hui dans le développement d’une économie plus durable?
Sarah Libregts (avocate, Banking & Finance): “Les banques et les gestionnaires de fonds sentent s’accroître la pression des consommateurs et des investisseurs. La demande de green bonds et de social bonds va croissante. Mais comme les directives existantes ne sont pas contraignantes, c’est aux émetteurs de ces obligations qu’il revient de s’engager volontairement. Simultanément, il est effectivement important que les banques ne se concentrent pas exclusivement sur les obligations sociales ou vertes, et qu’elles continuent de financer les entreprises qui doivent encore opérer la transition vers une plus grande durabilité. De nouveaux produits comme les sustainability-linked bonds peuvent offrir une solution. Alors que les fonds levés grâce à ce produit peuvent être affectés à des besoins généraux de financement, des objectifs de durabilité clairement définis à l’avance sont récompensés, par exemple, par des taux plus faibles.”
“Intéressant aussi pour le secteur immobilier”
“Le règlement Taxonomie aura également un impact sur le secteur immobilier”, pointe Atdhe Krasniqi (avocat, Real Estate), “Celui-ci est identifié à travers quatre activités économiques: construction de nouveaux bâtiments, rénovation, adoption de mesures permettant d’améliorer leur performance énergétique et acquisitions immobilières. En instaurant des obligations de transparence environnementale, le règlement garantit des investissements durables et plus avantageux. Un bâtiment énergétiquement performant, par exemple, s’efforcera à répondre aux objectifs environnementaux tout en lui ajoutant une plus-value. Le règlement peut en outre encourager les opérateurs qui ne satisfont pas encore aux critères environnementaux à réorienter leurs activités économiques.”