La nouvelle législation impose une plus grande transparence fiscale et financière aux entreprises. Or, tout le monde ne semble pas avoir conscience de sa portée, déplore Barbara Albrecht, du cabinet d’avocats Loyens & Loeff. Selon sa collègue Stéphanie De Smedt on peut se demander dans quelle mesure cette nouvelle législation respecte réellement la vie privée.
Les entreprises veulent recueillir autant de données que possible sur leurs clients, mais, dans le même temps, le grand public est de plus en plus demandeur d’une meilleure protection de la vie privée. Ces deux tendances semblent contradictoires !
Stéphanie De Smedt (avocate spécialisée en protection des données): “J’ai le sentiment que les entreprises prennent réellement conscience de l’importance de la protection de la vie privée. Elles se positionnent, par exemple, comme des gestionnaires responsables des données de leurs clients et tentent même d’en retirer un avantage compétitif. D’autres utilisent les données comme une sorte de monnaie d’échange : les entreprises leur attribuent une certaine valeur et permettent aux clients de les utiliser comme un “moyen de paiement”. Le principe est simple : les consommateurs qui laissent les entreprises accéder à leurs données bénéficient d’une remise par exemple. Il faut souligner que les consommateurs envoient fréquemment un signal ambigu : d’une part, ils accordent effectivement une grande importance à la protection de leur vie privée, mais, de l’autre, ils se montrent prêts à abandonner cette protection dès qu’ils peuvent bénéficier d’un avantage en échange.”
La loi sur la protection de la vie privée est-elle scrupuleusement appliquée dans notre pays ?
Stéphanie De Smedt: “Une tendance se dessine: les amendes sont imposées de manière plus cohérente et leur montant augmente. Dans le même temps, la mise en pratique de règles strictes en matière de protection de la vie privée est toutefois loin d’être évidente. Les entreprises ont besoin de temps pour adapter leurs processus internes ce qui, en matière de protection des données, n’est pas toujours possible. En témoigne un récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui, du jour au lendemain, a rendu illégaux quasiment tous les transferts de données à caractère personnel vers les États-Unis.”
Pour lutter contre les pratiques de blanchiment, notre pays a introduit un registre UBO fin 2017. Tous les UBO devaient être inscrits dans le registre UBO belge pour le 31 décembre 2019 au plus tard. Qu’implique exactement ce registre ?
Barbara Albrecht (avocate spécialisée en matière fiscale): “Toute société ou autre entité juridique constituée en Belgique – à l’exception des sociétés cotées en bourse et de leur filiale à part entière – est désormais tenue de recueillir et de conserver des informations sur ses Ultimate Beneficial Owners (UBO), ou “bénéficiaires effectifs”. Les UBO sont les personnes physiques qui possèdent (directement ou non) ou exercent le contrôle final sur une entité juridique. Il est de la responsabilité des administrateurs de transmettre les informations nécessaires sur les UBO au registre UBO. Il s’agit d’un registre électronique hébergé au sein du SPF Finances dans lequel sont centralisées les données de tous les UBO des entités constituées en Belgique.”
“Les entreprises qui n’ont pas encore enregistré leurs UBO ont intérêt à se mettre en règle le plus rapidement possible, au vu des lourdes amendes qui peuvent être infligées par le SPF Finances.”
De nombreuses sociétés ont-elles déjà enregistré leurs UBO dans ce registre?
Barbara Albrecht: “La plupart des sociétés a probablement fait le nécessaire. Les entreprises qui n’ont pas encore enregistré leurs UBO ont intérêt à se mettre en règle le plus rapidement possible, au vu des lourdes amendes qui peuvent être infligées par le SPF Finances. Ce dernier a commencé à envoyer des rappels à ce sujet.”
La législation UBO est-elle une pure législation anti-blanchiment ?
Barbara Albrecht: “La législation belge découle directement de la quatrième directive européenne anti-blanchiment, qui poursuit également un objectif de lutte contre le financement du terrorisme. Mais ce registre s’inscrit aussi dans une tendance plus large qui suggère que les pouvoirs publics attendent toujours plus de transparence de la part des entreprises.”
Outre cette législation UBO, on peut encore citer la directive DAC 6. La transparence fiscale semble devenir une priorité politique.
Barbara Albrecht: “En effet, la DAC 6 impose de déclarer au fisc belge les “dispositifs transfrontaliers devant faire l’objet d’une déclaration”. Ce sont des techniques de planification fiscale transfrontalière qui peuvent receler un risque d’évasion fiscale (à évaluer en fonction d’une liste de caractéristiques). Tout comme le registre UBO, la directive DAC 6 est une initiative européenne. Son objet est d’informer très tôt les autorités fiscales de l’UE des montages fiscaux à un stade précoce et de permettre aux États membres d’y réagir. L’obligation de notification s’applique d’ores et déjà dans certains États membres. En Belgique, les premières déclarations doivent être établies au plus tard fin de janvier 2021. Les montages dont la première étape a été mise en œuvre entre le 25 juin 2018 et le 30 juin 2020 doivent être notifiés avant le 28 février 2021.”
Le consommateur lui-même envoie fréquemment un signal ambigu : d’une part, il accorde une grande importance à la protection de sa vie privée de l’autre, il se montre prêt à abandonner cette protection dès qu’il peut bénéficier d’un avantage en échange.”
Qui sera responsable si cette nouvelle obligation n’est pas respectée ?
Barbara Albrecht: “Dans un premier temps, la responsabilité incombe aux “intermédiaires” – avocats, conseillers fiscaux, experts-comptables, notaires, banques, etc. – impliqués dans l’élaboration ou l’implémentation de ces dispositifs. L’obligation de déclaration ne repose sur le contribuable que si aucun intermédiaire n’est impliqué, si l’intermédiaire concerné peut invoquer le secret professionnel (et que le contribuable n’autorise pas l’intermédiaire concerné à faire la déclaration) ou si l’intermédiaire concerné n’a pas de lien avec un État membre de l’UE.”
Cette transparence accrue pourrait-elle perturber l’équilibre entre la lutte contre l’évasion fiscale et l’accent particulier placé sur le respect de la vie privée ?
Stéphanie De Smedt: “La législation contre la fraude fiscale exige de plus en plus l’identification du contribuable ainsi que le traitement et la transmission de ses données personnelles, et notamment les échanges avec d’autres pays. Les autorités européennes de protection des données exercent cependant un contrôle strict sur ces échanges. Elles doivent souvent rendre un avis sur les projets de nouvelle législation. Et il arrive fréquemment qu’elles demandent d’intégrer une plus grande protection des données personnelles dans la nouvelle législation afin qu’elle respecte également le RGPD.”
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