Documentaire sous opioïdes: Nan Goldin contre Big Pharma
Dans "All The Beauty and the Bloodshed", Laura Poitras signe un documentaire passionnant sur la photographe Nan Goldin, et son engagement pour dénoncer l’épidémie d’opioïdes aux USA…
Dans le monde du documentaire d’investigation, Laura Poitras n’est pas n’importe qui. Déjà militante pour la liberté de la presse aux Etats-Unis, cette vidéaste surdiplômée est choisie par un certain Edward Snowden lorsque, prisonnier de sa chambre de l’hôtel Mira de Hong-Kong et recherché très activement par le FBI et la CIA, le célèbre lanceur d’alerte tente de faire éclater la vérité, avant d’être rattrapé par les «autorités». Il s’ensuivra l’extraordinaire documentaire en mode thriller «Citizenfour», qui vaudra à sa réalisatrice l’Oscar du meilleur docu (2015).
Elle ne s’arrête pas en si bon chemin puisqu’en 2016, elle signe «Risk», qui revient cette fois sur Julian Assange. Aujourd’hui, la réalisatrice laisse de côté (pour un temps?) les lanceurs d’alerte, et se tourne du côté d’une artiste. Mais une artiste – on aurait pu s’en douter – plus qu’engagée. Nan Goldin milite aujourd’hui activement contre la famille Sackler.
Derrière cette surpuissante et richissime famille, une marque pharmaceutique hyper connue aux USA, et dans le monde entier: Purdue Pharma. Soit les «inventeurs» du Valium. Mais pas seulement: depuis de nombreuses années, la marque est stigmatisée pour avoir mis sur le marché un médicament très controversé: l’Oxycontin, responsable d’une épidémie sans précédent d’accoutumance et de mort par overdose (également appelée «crise» ou «épidémie des opioïdes»).
Les Sackler étaient de merveilleux mécènes, qui aspergeaient le monde de l’art à coup de dizaines de millions de dollars...
Mais bien avant d’être des incontournables d’un Big Pharma aujourd’hui pour le moins douteux, voire éclaboussé par le scandale, les Sackler étaient de merveilleux mécènes, qui arrosaient le monde de l’art à coup de dizaines de millions de dollars, et qui en échangent voyaient leur nom affiché à l’entrée de nombreuses «ailes» de prestigieux musées, comme au Guggenheim, ou pour la salle égyptienne du Metropolitan Art Museum.
Nan Goldin entre en scène
Et c’est là que Nan Goldin intervient. Cette photographe est, elle aussi, une incontournable, et se trouve invitée – voire exposée de manière permanente – dans de nombreux musées à travers la monde. Et pour cause: avec son œuvre en constante évolution «The Ballad of Sexual Dependency», elle a su capturer l’essence d’une époque, d’un lieu, d’un milieu.
Nous sommes dans le Lower New York des années 70, 80, 90. Liberté sexuelle, création tous azimuts, émergence des drag queens et de la culture queer dans toute sa splendeur: Nan Goldin en fait partie, et n’hésite pas à capter sur pellicule les nuits trop longues, l’alcool, la drogue, les ruptures, mais surtout l’amour, l’amitié, la création échevelée.
En 2014, suite à une tendinite au poignet, on prescrit à Nan Goldin le fameux opiacé. Une descente aux enfers plus loin, elle fait une overdose.
En 2014, suite à une tendinite au poignet, on lui prescrit le fameux opiacé. Une descente aux enfers plus loin, elle fait une overdose et survit grâce à une désintoxication très compliquée. L’artiste comprend alors l’échelle du problème: les victimes comme elle sont des centaines de milliers aux Etats-Unis et dans le monde, victimes d’un lobbying massif, qui continue d’imposer aux médecins-complices de prescrire cet antidouleur réputé incontournable – en fait mortel.
On en fait un film
Les bonnes intentions de Laura Poitras sont indiscutables. Pourtant, elle peine parfois à mélanger le passionnant parcours artistique de Nan Goldin (depuis sa famille étriquée des années 60, jusqu’à aujourd’hui) et sa cause anti Sackler. Le traitement de cette seconde partie s’intéresse beaucoup trop aux actions symboliques du groupe P.A.I.N., et pas assez aux véritables victimes de cette tragédie.
Pour véritablement comprendre et ressentir comment Big Pharma achète ses entrées auprès des ministères, des experts, puis des praticiens (grâce à une armée de lobbyistes et de VRP sans limite de budget), on se ruera sur l’excellente série «Dopesick» (Disney+), avec un Michaël Keaton impérial en médecin généraliste rattrapé par ces médications délétères, autrefois vues comme salutaires.
Documentaire
"All The Beauty and the Bloodshed" ("Toute la beauté et le sang versé")
Par Laura Poitras
Sur le combat de la photographe Nan Goldin contre Purdue Pharma
À voir à partir du mercredi 19 avril 2023
Note de L'Echo:
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