Derrière la satire, l'engagement
Première grande expo personnelle au MAC’s pour le plasticien protéiforme Patrick Guns dont l’engagement politique s’affiche en symbiose avec le passé du site du Grand Hornu..
Déjà présent en 2008 au sein de l’exposition "Le soigneur de gravité", Patrick Guns avait à l’époque marqué les esprits avec "my own private hero", un énorme et étrange bilboquet à tête humaine exprimant la folie du monde. Une œuvre présentée dans l’accueil du MAC’s. Cette fois, Patrick Guns connaît le luxe d’investir l’entièreté du musée d’art contemporain de la Communauté française et peut ainsi exposer toutes les facettes de son travail.
Travail engagé politiquement tout en étant dégagé de toute idéologie évitant par là la lourdeur ou le côté caricatural. D’ailleurs, son sens poétique se teinte parfois d’humour, certes, noir. C’est d’ailleurs le but de l’installation participative intitulée "The Square" dans l’espace dédié aux enfants. Sur un grand dessin, trois soldats chinois qui ramassent des chewing-gums, à ses côtés une boîte à chiques multicolores. Grands et petits sont invités à en prendre une, à la mâcher et la coller sur le tableau. Un acte de résistance qui renvoie aux événements de Tiananmen comme le relate la note explicative voulue par Denis Gielen le commissaire de l’expo.
Explications nécessaires pour comprendre le graffiti mural "yhvh. h.o.o.q" écrit en lettres de feu puisque cernées de flammes: référence pour la première partie au tétragramme de Dieu en hébreu, allographe de Marcel Duchamp signifiant "a chaud au cul" pour la seconde. Jeu de mots doublement iconoclaste: politiquement, le tag de Dieu est sacrilège, culturellement s’attaquer à l’icône Duchamp l’est également.
Souvent, Guns effectue un travail de collage d’idées pour dégager un ou plusieurs sens nouveaux: cinq tableaux dessinés au bic bleu montrent le calvaire subi et la passion vécue par l’écolier, emblème de cette marque depuis 1961. Des "peintures" d’un style de livre de catéchisme qui disparaîtront à la lumière des rayons ultraviolets. Surplombées par une sculpture de ce fameux petit d’homme pendu, ces œuvres forment une allégorie du côté jetable de l’homo economicus intitulée "the fading of colours".
Les catastrophes naturelles s’invitent aussi dans le travail de Patrick Guns. Dans une sorte de collage surréaliste, il a gravé sur des troncs de bonzaïs morts les noms accouplés des tempêtes tropicales récentes.
Spectaculaire
Les tragédies de l’histoire s’inscrivent dans son œuvre par exemple au travers de l’évocation du camouflage qui remplace l’uniforme classique de l’armée française en 14, signe d’une guerre où l’homme est de moins en moins visible. Les feuilles forment ainsi une symbiose troublante entre une photo de Poilus et leurs silhouettes qui sur le cliché sont remplacées par une feuille morte tirée d’un herbier. Volontiers référentiel, l’univers de Guns renvoie à Calder dans un mobile fait de morceaux de coque de bateau recouvert de feuilles d’or pour évoquer le sort des clandestins de Lampedusa ("Nous sommes 152. Que Dieu nous aide") échoué sur les rives d’une société d’opulence: elle rappelle "Le radeau de la Méduse" de Géricault et en même temps dénonce le cynisme des institutions et le voyeurisme de notre regard sur l’actualité.
C’est par contre Joseph Beuys et son célèbre "I like America and America likes me" qui est convoqué dans "I like Africa and Africa likes me". Confrontée avec "les osselets", coffret de trois pop-corn en bronze et deux dents en or massif, cette vidéo évoque l’assassinat de Patrice Lubumba par l’entremise de journaux financiers déchiquetés par des lions. Les cinq bijoux précieux disposés à côté rappellent que deux dents en or exhibées par un ancien policier belge au Katanga sont tout ce qui reste du leader congolais, assassinés par l’Union minière (d’où la référence aux journaux économiques dans le film) et la CIA, qui craignaient pour l’exploitation du minerai en cas d’accession au pouvoir de ce héros de la cause noire…
Des Noirs principales victimes de la peine de mort aux États-Unis. Au Texas, le dernier repas de ces condamnés est publié par cet État sur son site internet. Révolté par une telle indécence le plasticien a demandé dans la série "My last Meals" à 28 chefs renommés de préparer, en hommage à la mémoire des exécutés, le dernier repas de ces condamnés. Ainsi Philippe Labbé de Eze a-t-il préparé en 2010 un simple cheeseburger à la mémoire de Clyde Smith exécuté au Texas en 2006. À chaque fois le "menu" préparé apparaît flanqué de la photo du chef au milieu de sa cuisine. 28 épitaphes, 28 dernières cènes…
Spectaculaire, mais d’une autre manière "Trapped Within The Museum" consiste en une immense salle plongée dans l’obscurité: seule à s’en extraire; la control room éclairée d’un musée. Sur deux écrans mosaïques, le Paul Newman du "Rideau déchiré" d’Hitchcock et dont les pas résonnent dans l’immense espace, arpente inlassablement les salles du musée berlinois, décor du film. Critique de l’institution comme lieu d’enfermement d’œuvres souvent pillées par les armées napoléoniennes, des missions d’ethnologues, ou des nazis à d’autres populations. De lieu de mémoire des civilisations, il devient le temple de la barbarie d’état. Une imposture…
Tout le contraire de l’œuvre de Patrick Guns, engagée, tout en prenant soin de rester engageante.
"Patrick Guns: I know a song to sing on this dark, dark, dark night", jusqu’au 21 septembre au MAC’s, à Hornu. Rens.: 065-65 21 21 www.mac-s.be.
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