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"L'illustration invite à faire le lien"

Chloé Perarnau est membre de Cuistax, collectif fondé en 2013 qui publie un fanzine bilingue pour enfants. ©Saskia Vanderstichele

Chloé Perarnau fait partie des 50 illustrateurs du premier festival Picture! Une déambulation colorée qui réunit les 30 institutions du Mont des Arts, à Bruxelles.

Avec son bonnet vissé la tête et son imper jaune pétant, Chloé Perarnau semble tout droit sortie de la fresque joyeuse et enfantine qu’elle est en train de peindre avec trois autres illustrateurs de son collectif Cuistax, rue Baron-Horta à Bruxelles, sur la palissade qui ne masque plus l’énorme chantier du siège central de la BNPP-Fortis, en face de Bozar. C’est l’une des deux fresques à voir sur un parcours qui distribue 30 expositions, 15 ateliers, 11 séances de ciné, 4 concerts dessinés et 5 master classes, du 31 octobre au 10 novembre.

Cette pétulante initiative, portée par l’ASBL Mont des Arts et le collectif Station (lire l'encadré plus bas), a pour but de fédérer les institutions du Mont des Arts et de mettre en lumière la vitalité de l’illustration qui bouillonne dans les six écoles d’art de Bruxelles. Une densité unique en Europe. "Nous essayons de faire le lien à notre manière. L’idée, c’est aussi d’être foisonnant dans les propositions. Ça change des gros concerts sur la place Royale", lance Chloé Perarnau.

À Bruxelles, la BD est partout. Comment l’illustration peut-elle faire la différence?

Je suis Française et j’ai eu plaisir à faire des études ici parce qu’il y a de vrais ateliers d’illustration dans les écoles d’art en Belgique. Pas comme en France où la discipline est un peu en deçà des autres. Nous sommes ceux qui font des petits Mickeys et peu de galeries exposent de l’illustration. Ce premier festival Picture! nous tenait à cœur car cela manque de lieux et d’événements autour de l’illustration, au sens large, même si on a vu la MiMa s’ouvrir à Molenbeek et qu’il existe à présent la galerie Grafik à Schaerbeek.

L’illustration aujourd’hui semble s’être plus émancipée que la BD…

C’est un médium qui est né comme support au texte mais qui s’est progressivement autonomisé alors que la BD coexiste encore très souvent avec le texte. Surtout, l’illustration est sortie du livre, du support papier. L’illustration permet d’ouvrir un sens plus large qui va du cinéma d’animation aux illustrations pour la publicité en passant par des fresques, des livres, des beaux tirages d’art, etc.

Qu’est-ce qui conditionne cette approche pluridisciplinaire?

On est dans des métiers très précaires et on se retrouve de fait à multiplier les propositions de supports. On est à la fois en recherche et on en a besoin pour vivre. C’est aussi cela que le festival a envie de mettre en valeur: non seulement les artistes mais aussi toutes les possibilités de supports qui s’offrent à l’illustration là où, historiquement, elle se limitait souvent à un petit dessin ou à une caricature dans un journal ou un livre pour enfant. Cela donne une valeur artistique à notre travail qu’il est parfois difficile à faire valoir.

L’espace public est déjà saturé d’images et de signes. L’illustration peut-elle lui donner une autre réalité ou l’en extraire?

Le challenge que nous a lancé l’équipe de Picture!, c’était de trouver du sens et de la circulation dans ce Mont des Arts qui n’est pas toujours compris comme un ensemble mais comme une enfilade d’institutions et de musées collés les uns aux autres. Par la signalétique d’un festival, par le fait d’intervenir avec de la couleur, des images, de la narration, des histoires dans l’espace public et les institutions elles-mêmes, l’illustration invite à faire le lien, à créer des parcours pour aider à comprendre que c’est un lieu qui fait sens.

L’idée initiale du tag – la réappropriation sauvage de l’espace public – est aujourd’hui totalement récupérée par le city marketing. Quelle a été votre marge de manœuvre artistique?

Dans la mesure où cela s’est fait sous forme de commandes, on a bien dû soumettre nos dessins à Bozar et au festival avant de peindre. Rien à voir avec du graffiti sauvage. On prend le temps, c’est une semaine de travail sur base de dessins préexistants. C’est plus proche du street art. Nous avions la liberté de concevoir l’image et la composition de notre fresque et, en même temps, nous avions l’exigence artistique que cela fonctionne visuellement.

Outre la visibilité que vous donne le festival, le fait d’être en contact avec les équipes artistiques des différentes institutions du Mont des Arts vous a-t-il ouvert des perspectives?

Nous n’avons pas eu vraiment de contact, sinon avec les équipes techniques de Bozar concernant la faisabilité de la fresque. Il y a encore une frontière entre l’extérieur et l’intérieur de l’institution. Mais je trouve plus chouette d’être à l’extérieur avec le passage des gens et leur réaction directe. Cela prouve que les images ont leur place dans la rue, amènent un autre imaginaire, une fantaisie, et invitent les gens à se poser des questions et à se raconter des histoires.

"Les images ont leur place dans la rue, amènent un autre imaginaire, une fantaisie, et invitent les gens à se raconter des histoires." Chloé Perarnau

Les productions de Cuistax sont à voir rue Baron-Horta, à Bozar, à Saint-Jacques sur Coudenberg, au MIM et au Centre ABC (Schaerbeek). Rencontre le 5 novembre (17h) à l’Académie des Beaux-Arts. Dès ce vendredi, Cuistax expose également aux Chiroux, à Liège, et publie son fanzine à destination des enfants. @CuistaxFanzine sur Facebook & Instagram.

Stratégie

L’image de Kanal

Au Mont des Arts, qui fait la jonction entre la place Royale et l’Îlot sacré,on a senti le vent frais de Kanal, dont l’année de préfiguration vient de s’achever. Ce coup politique audacieux, cette friche industrielle tendance et la collection inépuisable du Centre Pompidou ont contraint Michel Draguet, des Musées royaux, et Paul Dujardin, de Bozar, à s’entendre, et à réinvestir l’ASBL Mont des Arts qui vivotait depuis 2008. 

Son projet, hérité de Bruxelles 2000, ne visait rien d’autre qu’à donner une identité forte à cet ensemble muséal impersonnel, à créer des synergies entre ses 13 grandes institutions culturelles, à mutualiser leurs moyens et à garantir la sécurité et la convivialité de la circulation alentours. L’ASBL ayant perdu son subside, chacun y a été de sa poche pour constituer un pot commun de 35.000 euros. 

Et de doubler la mise pour son premier projet: le festival Picture!, une version bruxelloise du festival marseillais Laterna Magica, qui donne les clefs de la ville à une brochette d’illustrateurs. Et cela tombe bien: chacune des six écoles d’art, à Bruxelles, possède une section illustration qui forme des promotions d’artistes tout prêts à porter "un regard indiscipliné, joyeux, poétique et ouvert sur un patrimoine jugé assez froid et élitiste", explique Marie Noble, la directrice générale de cette première édition. Séduites, la Ville de Bruxelles, la Région (via Image de Bruxelles) et la Loterie ont mis chacune 30.000 euros sur la table, tandis qu’une action de fundraising a porté le budget du festival à 220.000 euros. Mais, surtout, les équipes des institutions se sont parlées et se sont fixées 2030 comme horizon d’une gestion plus intégrée. Comme quoi, rien ne vaut un adversaire commun. 

  • 1er festival Picture!, du 31/10 au 10/11. Vernissage et Picture party, le 31/10 (dès 18h). Grande fresque participative de 1,5 km, Galerie Ravenstein… 90% gratuit: www.picturefestival.be

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