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Internet, un espace public à réinventer pour mieux y vivre

L'exposition "Sexisme Pépouze" est présentée par l'autrice Myriam Leroy à la galerie That's what x said dans les Marolles.

Internet est un espace (violent) comme les autres, mais l'art pourrait bien aider à réparer les dégâts. C'est la brillante démonstration faite par l'exposition "Sexisme Pépouze" présentée par l'autrice Myriam Leroy à la galerie That's what x said dans les Marolles.

Quand on parle d'espaces de vie à repenser pour améliorer nos liens, objet de la série en six volets que nous vous proposons en cette fin d’année, il y a un "tiers-lieu" auquel on ne pense pas spontanément: internet. Pour la chercheuse en architecture Apolline Vranken, que nous interviewions déjà samedi dernier dans L'Echo, l'enjeu est colossal: "Il s'agit moins de sortir internet d'internet que de faire comprendre qu'il n'y a en réalité pas de différence entre ce qui se passe là et dans le reste de nos espaces."

Comment organiser la négociation?

Internet, c'est un espace public, plaide la fondatrice de l'asbl L'Architecture qui dégenre et des Journées du Matrimoine à Bruxelles: "Avec L'Architecture qui dégenre, on estime qu'il faudrait inventer des architectes et des urbanistes de l'internet, comme il en existe pour nos villes et nos maisons avec de la planification, des règlements régionaux d'urbanisme, des bouwmeesters. Pour l'instant, il y a les programmateurs, mais ils ne travaillent pas la régulation, ni le relationnel. Dans tant de secteurs, consommatrices et consommateurs s'organisent. Quand il s'agit des réseaux sociaux, cela paraît impossible."

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C'est un paradoxe auquel elle se sent confrontée: "Je trouve qu'Instagram est un espace génial, mais en même temps, on est sur une propriété privée. C'est comme organiser des chorales dans un super tiers-lieu, mais qui serait en fait la propriété d'un gros promoteur immobilier. Toutefois, je suis d'avis que, pour l'instant, il faut bosser avec ces promoteurs. Il faut négocier avec notre idéal, même si je comprends tout à fait les personnes radicales qui refusent cette négociation."

La question serait donc: comment organiser cette négociation? Cela semble toute l'originalité de la riposte que propose l'autrice, réalisatrice et journaliste belge Myriam Leroy dans une exposition qu'elle coordonne en ce moment et jusqu'au 26 janvier dans les Marolles, à la galerie That's what x said située au 142 rue Blaes. Elle s'intitule "Sexisme Pépouze", une expression brodée à partir de véritables cheveux de femmes par l'artiste Elyse Galiano sur une large chemise blanche, impeccablement lisse, pièce incontournable de l'exposition et qui la résume bien.

"C'était le bon temps, le sexisme pépouze" était un regret exprimé par l'un des quatres hommes membres de la "Jupiler League du LOL", un groupe Facebook secret créé en 2019 et dédié à se moquer des femmes en général et de Myriam Leroy en particulier.

Cette chemise d'homme qui symbolise l'assise masculine, le sérieux, toutes les émotions contenues avec ces petits boutons clairs fermés jusqu'en haut du col. "C'était le bon temps, le sexisme pépouze" étant un regret exprimé par l'un des quatres hommes membres de la "Jupiler League du LOL", un groupe Facebook secret créé en 2019 et dédié à se moquer des femmes en général et de Myriam Leroy en particulier. "Plaisanter sur ma mort, ma vie sexuelle ou encore mes oreilles qui les obsèdent pas mal", précise-t-elle. Oreilles d'ailleurs au cœur de la délicate création au crochet du plasticien Stephan Goldrajch, avec un scalp de laine entre les deux. Très fort.

La culture du "boys club"

Le nom "Jupiler League du LOL" a été inventé par ses membres en référence à une autre affaire de harcèlement, la "Ligue du LOL", dans laquelle une trentaine de journalistes français ont été accusés de s'organiser via un groupe privé pour harceler leurs consœurs. Un article du journal Le Monde à ce sujet concluait que les affaires de ce type "interrogent sur la culture du 'boys club', ces groupes d'hommes qui s'organisent pour se répartir les bonnes places et évincer les autres, et prospère bien au-delà du petit microcosme des médias parisiens." Un prolongement online de pratiques relationnelles existant depuis longtemps, comme le montre l'essayiste Martine Delvaux dans un essai sobrement intitulé "Le boys club" (Payot, 2021).

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"Le projet principal de ce groupe-ci, raconte Myriam Leroy, est de faire publier des informations supposément compromettantes à mon sujet dans les médias de droite et d'extrême droite, de préparer la défense du procès en harcèlement de l'un d'eux, et plus largement, de se défouler en s'échangeant l'adresse de mon domicile ou en commentant des photos de moi." Avec des conséquences bien réelles, puisque des articles paraîtront bel et bien, notamment dans le magazine Causeur.

"À part les messages en eux-mêmes, rien n'est 'cyber' dans cette affaire", fait-elle remarquer. Ainsi, l'œuvre de la plasticienne Pauline Reyre dans l'exposition, composée notamment d'un grappin, évoque une tête chercheuse qui ne laisse aucun répit: "Allégorie d'internet qui ne connaît aucune clôture, aucun mur, face auquel nous sommes littéralement à découvert", interprète Myriam Leroy. Et quand elle dit "nous", elle pense "en particulier aux personnes issues de communautés minorisées", cibles favorites des harceleurs, comme le montre également la journaliste Florence Hainaut dans son essai limpide sur le sujet Cyberharcelée, comprendre et lutter (De Boeck Supérieur, 2023).

Créer un discours brillant sur du discours répugnant

En mars dernier, lorsque la cinquième membre du fameux groupe Facebook, la seule membre féminine, en dévoile l'existence à Myriam Leroy et lui envoie, en signe de repentance, 50 jours de ces répugnants échanges (4.300 messages, soit 85 messages par jour), cette dernière a l'idée d'en faire "du compost" de qualité en confiant cette matière (qu'elle anonymise) à une douzaine d'artistes et à des étudiantes de La Cambre. Des étudiantes qui en feront un majestueux livre relié contenant l'intégralité de la conversation. Objet, vu son volume, qui ne peut se manipuler qu'avec un système de poulie.

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"J'ai redécouvert l'acte créatif sous l'angle de la colère, la colère qui crée de nouvelles réalités, de nouvelles œuvres, la colère qui vient de l'amour, de l'espoir d'un mieux."

Clémence Didion
Artiste

Qu'il s'agisse de la sculpture sur aluminium de Loïs Soleil, du vitrail de Lior de Pape, de la peinture de Garance Mor ou de l'installation de Justin Lalieux, tout est génial dans ces réappropriations et autres détournements. "J'ai redécouvert l'acte créatif sous l'angle de la colère, la colère qui crée de nouvelles réalités, de nouvelles œuvres, la colère qui vient de l'amour, de l'espoir d'un mieux", a écrit Clémence Didion à propos de sa création en céramique, sorte de tour de Babel infernale faite de motifs web. On sent aussi les très justes intuitions qui ont guidées la commissaire qui expose même le travail de son… avocat. Éric Jooris a rédigé une charte du harceleur exposée comme pour introduire le tout: "Il a sans doute eu pitié de moi et, confronté à l'impuissance de sa discipline, s'est investi de cette manière", rit la journaliste.

"J'observe que la haine à l'égard des femmes est plus clivée qu'il y a cinq ans."

Autant d'exutoires face à "la misère intellectuelle et au désœuvrement moral des auteurs des messages" qui rendent matériels et visibles un discours complotiste, misogyne et réactionnaire. Les trois adjectifs ne sont pas employés sans fondement. Ils ont été établis par une chercheuse et un chercheur de l'Observatoire de recherche sur les médias et le journalisme de l'UCLouvain, Clémence Petit et Louis Escoulfaire, qui ont analysé de leur propre initiative ce "corpus inédit": "La plupart des recherches existant sur le discours de nature sexiste en ligne ont été réalisées à partir de messages publics, (...) avoir accès à une conversation comme celle-ci permet d'en apprendre plus sur la manière dont le discours sexiste s'exprime dans des contextes de communication privée", lit-on dans leur étude.

Fédérer

"Leur travail valide ce que je m'efforce de dire, commente Myriam Leroy, mais j'observe que la haine à l'égard des femmes est plus clivée qu'il y a cinq ans. Depuis la publication de mon roman 'Les Yeux rouges', j'interviens beaucoup dans les classes où il y a toujours eu un, deux ou trois élèves aux propos misogynes. À présent, ils sont sept, huit, neuf. Et ils sont lettrés, ouvertement hostiles, biberonnés aux youtubeurs masculinistes, une communauté qui nous échappe complètement à nous, adultes."

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"On a réussi à être un espace où il était possible pour beaucoup de personnes, notamment de la communauté LGBTQIA+, de sentir à l'aise, d'être elles-mêmes."

Rébecca Prosper
Cofondatrice de la galerie That's what x said

L'exposition ouvre un espace inédit: "Il y avait énormément de monde lors du vernissage, ça a été une immense fête avec des personnes heureuses d'être là." Preuve de la capacité du sujet à fédérer: "Il y avait en tout cas une grosse envie d'exultation. Cette massivité me donne l'impression qu'il y a une résistance, un contre-discours." Le finissage de l'exposition le 26 janvier sera sans doute aussi un moment festif, d'autant qu'il correspondra à la fermeture définitive de la galerie That's what x said. "Financièrement, ce n'est pas viable", explique Rébecca Prosper, cofondatrice avec Elisa Huberty de la galerie, "on est en amélioration, mais les gens qu'on attire n'ont pas d'argent. L'art militant ne correspond pas aux propositions des galeries en général."

"Mais, on ne regrette rien, poursuit Rébecca Prosper, on a réussi à être un espace où il était possible pour beaucoup de personnes, notamment de la communauté LGBTQIA+, de sentir à l'aise, d'être elles-mêmes, et, à l'échelle du quartier, on a réussi à être utiles. On préfère fermer plutôt que s'adapter au marché de l'art, à son côté snob et m'as-tu vu. Mais je pense qu'on a tout de même ouvert une brèche et d'autres pourront prendre le relai pour continuer à dire que l'art contemporain, ça peut être autre chose."

Notre série d’hiver sur les lieux qui recréent du lien

Mardi 24.12 | Changer les règles du théâtre
De plus en plus de lieux culturels se donnent pour mission d’accueillir des publics exclus des salles de spectacles. Un concept nommé «Relax».

Jeudi 26.12 | Détourner une friche industrielle
Le 104, à Paris, ex-friche industrielle devenue centre culturel participatif emblématique, est foisonnant et se veut l’incarnation d’un carrefour entre les pratiques culturelles et artistiques.

Vendredi 27.12 | Changer les règles du net
L’autrice Myriam Leroy, victime de cyberharcèlement, ouvre ainsi à la galerie That’s what x said un espace de dialogue nouveau, en plein dans les Marolles, pour montrer l’ampleur de la misogynie et en faire un compost magistral.

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Mardi 31.12 | Inventer dans un quartier coopératif
Depuis 2012, le «Holzmarkt 25» s’est installé sur les rives de la Spree, à Berlin. Sur un site verdoyant de plus 12.000 m², le quartier fait la part belle au street-art, aux arts et à la gastronomie. 

Jeudi 02.01 | Promouvoir la diversité et la créativité
Le RAW Gelände, situé dans le quartier de Friedrichshain, est l’un des lieux emblématiques du Berlin “alternatif”. L’espace est ici tout entier dédié à la diversité et la créativité.

Vendredi 03.01 | Sortie de la ville, faire des cabanes
Les jeunes urbains sont de plus en plus nombreux à construire leur collocation en milieu rural, dans de véritables tiers-lieux qui s’ouvrent un peu partout en Wallonie.

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Des Israéliens et des Israéliennes se rassemblent à Tel Aviv, ce dimanche 19 janvier, pour suivre en direct la libération de trois otages par le Hamas.
Les trois otages israéliennes sont libérées et de retour en Israël
Le Hamas et Israël ont confirmé que les trois otages israéliennes qui devaient être libérées dans le cadre du cessez-le-feu ont été remises à la Croix-Rouge. Elles sont arrivées, quelques dizaines de minutes plus tard, en Israël.
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