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interview

Svante Pääbo (prix Nobel de médecine): "L’Homme de Néandertal vit toujours un peu en nous"

Spécialiste en génétique évolutive, Svante Pääbo est à l’origine de la description de l’Homme de Denisova. ©Valentin Bianchi / Hans Lucas

Le scientifique Svante Pääbo, qui s’est vu attribuer le prix Nobel de médecine en 2022 pour ses travaux en paléogénétique, vient de recevoir le titre de docteur honoris causa de l’université de Liège

Prix Nobel de médecine 2022 et pionnier de la paléogénétique, Svante Pääbo est directeur émérite du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology à Leipzig. Il vient de recevoir le titre de docteur honoris causa de l’université de Liège. Rencontre avec un scientifique qui nous fait remonter, à travers ses recherches, aux origines de l’humanité...

Qu’est-ce que la paléogénétique?

La paléogénétique consiste à revenir dans le passé afin d’observer l’évolution génétique en temps réel. L’objectif est d’observer les génomes de nos ancêtres dans le but de les comparer avec les génomes présents. On peut faire de la paléogénétique avec les humains, bien sûr, mais aussi avec de nombreux animaux, et suivre ainsi leur évolution.

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"Quand j'ai décidé d’étudier l’égyptologie à l’université, j’ai sans doute imaginé un peu vite que je serai une espèce d’Indiana Jones."

Svante Pääbo
Spécialiste en génétique évolutive

Comment vous est venue l’idée de créer cette espèce de "machine à remonter dans le temps"?

Quand j’étais enfant, j’étais fasciné par les momies. Plus tard, j’ai donc décidé d’étudier l’égyptologie à l’université. J’ai sans doute imaginé un peu vite que je serai une espèce d’Indiana Jones, car les études ne correspondaient à mes attentes. Après une petite crise existentielle, j’ai commencé à étudier la médecine et j’ai obtenu un doctorat en biologie.

Vous êtes à l’origine de la description d’un autre genre d’humain: les Dénisoviens. Comment les avez-vous découverts?

Nous avons beaucoup appris avec les archéologues russes, en explorant notamment un site dans les montagnes d’Altaï, en Sibérie. Dans ces grottes, ils ont trouvé des Néandertal, mais aussi un petit morceau d’une phalange appartenant probablement à un enfant. Lorsque nous avons réussi à extraire l’ADN de cette phalange, qui était très bien conservé grâce au froid, nous avons été très surpris de constater que cet ADN ne correspondait ni à un Néandertal ni à un humain moderne. Ce que nous avons découvert, c’est que le Néandertal partage avec l’Homme de Denisova un ancêtre commun remontant à environ 450.000 ans. On a donc pu attester d’une sorte de relation entre les Hommes de Néandertal et des Hommes venant de l’Est. Les ancêtres de Néandertal se sont manifestement mélangés à des ancêtres d’Hommes venant de l’Asie actuelle. Nous avons ainsi pu identifier une forme d’humain totalement disparue juste avec une séquence du génome.

"L’être humain a toujours été génétiquement divers. Nous portons les traces de métissages d’autres espèces d’humains apparues avant nous."

Svante Pääbo
Spécialiste en génétique évolutive

L’humanité est donc fondamentalement mélangée, mixte?

L’être humain a toujours été génétiquement divers. Nous portons les traces de métissages d’autres espèces d’humains apparues avant nous. Quand certains Hommes sont partis d’Afrique, ils ont rencontré les Néandertal et ils se sont mélangés avec eux. Ensuite, ces derniers ont rencontré les Dénisoviens et se sont également mélangés avec eux.

Svante Pääbo.
Svante Pääbo. ©Valentin Bianchi / Hans Lucas

D’un point de vue génétique, qu’avons-nous conservé du Néandertal?

Un exemple récent m’a beaucoup marqué: durant la pandémie, nous avons montré que le plus grand facteur de risque génétique de devenir sévèrement malade si vous êtes infecté par SARS-CoV-2 vient de la variante Néandertal… C’est un effet génétique très fort. L’héritage génétique de Néandertal nous rend donc potentiellement plus sensibles au covid.

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"L’Homme moderne se distingue par une volonté de se déplacer et d’être curieux. Aujourd’hui, nous voulons aller sur Mars, par exemple. Personne ne peut m’expliquer les raisons précises qui nous poussent à aller sur Mars, mais nous allons y aller."

Svante Pääbo
Spécialiste en génétique évolutive

Il y a donc encore, d’une certaine manière, beaucoup de Néandertal en nous?

Néandertal ne s’est pas vraiment éteint. L’Homme de Néandertal vit toujours un peu en nous. 60% de son génome existe encore actuellement. Le passé, en fait, ne disparaît jamais totalement. Nous portons un certain nombre de nos ancêtres en nous.

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Quelle est l’importance des nouvelles technologies et de l’IA dans votre travail?

C’est vraiment crucial.  L’IA a déjà une influence fondamentale sur nos recherches, sur la façon dont nous interprétons la variation de notre génome. À l’avenir, elle sera un facteur de plus en plus important pour comprendre et prédire les variations génétiques.

Quel est le grand mystère qu’il vous reste à percer?

Ce qui fait la spécificité de l’Homme moderne, homo sapiens. Il y a des milliers d’années, il y avait plusieurs formes d’humains sur Terre: Néandertal, Dénisovien, etc. Aucun de ce groupe ne dépassait 100.000 individus. Or, le groupe de l’Homme moderne se caractérise par un très grand nombre d’individus, qui se distinguent par une volonté de se déplacer et d’être curieux. Or ça, c’est une caractéristique que Néandertal n’avait pas, c’est quelque chose qu’il n’a pas fait. Aujourd’hui, nous voulons aller sur Mars, par exemple. Personne ne peut m’expliquer les raisons précises qui nous poussent à aller sur Mars, mais nous allons y aller. C’est la question la plus importante de l’évolution humaine récente, selon moi: qu’est-ce qui a fondamentalement changé entre Néandertal et Sapiens? Comment comprendre ce changement?

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