Armory Show: quel avenir pour les foires d’art aux USA?
L'Armory Show, qui s’est tenu du 7 au 10 septembre 2023 à New York, a été acquis cet été par Frieze, la grande foire d'art londonienne, pour rivaliser avec Art Basel. Cette acquisition signale en filigrane la constitution d’un duopole dans le monde de l’art contemporain.
À l’aube de son trentième anniversaire, l'Armory Show vient de conclure une édition particulière. La "foire de New York" a été acquise pendant l’été par Frieze London, une institution britannique spécialisée dans les foires et les médias.
L’annonce a été faite en même temps que celle du rachat de Expo Chicago, acté le 1er août dernier. Un double coup de maître pour Frieze, qui concrétise ainsi son expansion sur le marché américain. "Ces acquisitions marquent un moment pivot pour notre croissance et vont nous permettre d’étendre notre présence aux États-Unis", avait alors déclaré Simon Fox, PDG de Frieze, rappelant que l’Amérique représente le premier marché de l’art au monde.
"Rejoindre Frieze nous permet de bénéficier de ressources élargies ainsi que d’une marque réputée qui possède une profonde connaissance de l’industrie."
L’acquisition "n’a que du positif" selon Nicole Berry, directrice exécutive de l'Armory Show depuis 2017. "Rejoindre Frieze nous permet de bénéficier de ressources élargies ainsi que d’une marque réputée qui possède une profonde connaissance de l’industrie", explique l’ancienne institutrice qui a fait une ascension fulgurante dans le monde de l’art après une reconversion à 32 ans.
Effervescence en plein Manhattan
Créé en 1994, l'Armory Show est aujourd’hui le plus grand salon d’art contemporain de New York. "C’est une foire historique. C’est LA foire des New Yorkais", s’enthousiasme Julien Des Monstiers qui expose pour la première fois dans la Grosse pomme. Avec ses peintures à l’huile, l’artiste déjà bien implanté en France espère s’ouvrir au marché américain. "Ici, on rencontre un public averti et de grande qualité."
En ce week-end de fin d’été, c’est l’effervescence en plein Manhattan. Les talons hauts claquent sur le bitume, les tenues extravagantes se soulèvent au vent tandis que les gratte-ciels de Hudson Yards percent un ciel chargé par la foudre. New York est en pleine ébullition: l'Armory Show qui marque le début de la saison artistique coïncide avec la frénésie de l’US Open et de la Fashion Week.
Plus de 51.000 visiteurs, parmi lesquels la tenniswoman Venus Williams ou encore l’acteur Rami Malek, ont déambulé entre les œuvres de 225 galeries de plus de 35 pays. Si aucune des quatre plus grandes galeries du monde – Gagosian, Hauser & Wirth, Pace Gallery, David Zwirner – n’étaient présentes, le public a pu découvrir des galeries émergentes, représentant de nombreux artistes autochtones dont le travail interroge notre rapport à l’Histoire. L’édition de cette année était axée sur le thème des "récits historiques", et la section "Focus", constituée par la conservatrice Candice Hopkins, a été particulièrement acclamée.
"Les acheteurs font des choix plus réfléchis, plus considérés, moins impulsifs."
Delphine Lopez, directrice de la galerie Cécile Fakhoury à Dakar, confie que la foire n’a pas échappé à une "économie ralentie" où l’on sent que "les acheteurs font des choix plus réfléchis, plus considérés, moins impulsifs". L’énergie de l’événement a cependant été largement saluée par les collectionneurs comme les exposants.
Ces derniers ont rapporté des ventes positives et plusieurs galeries ont fait "sold out", c’est-à-dire vendu la totalité des œuvres exposées, comme Alexander Berggruen, Van de Weghe et Martin Art Projects. Parmi les ventes marquantes, on compte notamment les œuvres de Howardena Pindell, vendues entre 100.000 et 875.000 dollars, une peinture de Lynne Drexler qui s’est envolée à 800.000 dollars et une sculpture en bronze de Woody De Othello vendue à 400.000 dollars.
Des points d’interrogation
Le rachat par Frieze intervient à un moment où l'Armory Show a déjà subi d’importantes transformations. En 2021, la foire a déménagé des Piers 92 et 94 au Javits Center, un centre d’exposition gigantesque – plus de 27.000 m2 d’espace sous hauts plafonds – conçu par les architectes de Frederick Fisher and Partners.
Moins exclusive que d’autres foires, le Armory Show a la réputation d’être plus accessible et abordable, tant par les œuvres exposées que les prix de vente.
Les exposants sont unanimes: "Le lieu est beaucoup plus moderne et bien plus agréable. La circulation est plus fluide et plus aisée", atteste Bruno de la Vallade, cofondateur de la galerie Praz-Delavallade et ancien membre du comité de sélection des galeries l'Armory Show. "Le lieu précédent était vétuste."
En plus de changer de lieu, la foire a également changé de dates, en passant de mars à septembre. Mais certains spéculent déjà sur de nouveaux bouleversements, à l’heure où l'Armory Show coïncide avec la foire de Frieze Seoul – un conflit de calendrier qui représente un "défi", selon Kristell Chadé, la directrice exécutive des foires Frieze. D’autres s’interrogent sur l’intérêt de l’institution à chapeauter deux foires dans la même ville: Frieze New York et Armory Show.
Pour Alain Servais, homme d’affaires et collectionneur belge, "il y a la place pour deux foires d’art contemporain à New York, surtout avec des profils différents". Moins exclusive que d’autres foires, l'Armory Show a la réputation d’être plus accessible et abordable, tant par les œuvres exposées que les prix de vente. Alors, pour l’instant, c’est "business as usual", affirme la directrice Nicole Berry qui ne prévoit aucun changement pour l’année 2024 et sait pouvoir compter sur un "socle solide de visiteurs fidèles".
La constitution d’un duopole
L’acquisition s’inscrit dans la même lignée que l’expansion d’Art Basel, détenu par le groupe suisse MCH, qui l’année dernière a englouti la Fiac pour créer Paris+. "On rentre dans l’ère des monopoles des foires", déplore Delphine Lopez.
Cette concentration des foires était "inévitable", selon Alain Servais qui analyse le mouvement comme "une acquisition défensive". "En observant la stratégie et le management dans lequel Art Basel investissait, il était clair qu’Art Basel allait écraser Frieze. Frieze n’avait plus d'autre choix: acheter tout ce qui était disponible. Et la seule chose qui l’était encore, c’était Chicago et Armory", affirme le collectionneur.
Pour autant, Nicole Berry affirme que l'Armory Show va continuer d’avoir sa propre identité, combinant ancrage local et rayonnement global. "Nous avons une marque bien établie, à laquelle les gens associent New York. Nous nous efforcerons de préserver cette identité new-yorkaise à laquelle les gens se sont attachés au fil des années."
Les synergies attendues, tant dans la programmation que le marketing, seront quant à elles les "bienvenues" pour la cheffe d’orchestre de l'Armory Show qui rappelle en souriant qu’organiser une foire d’art représente "un effort sans relâche" tout au long de l’année. "Dès qu’une foire se termine, on attend à peine le lendemain pour commencer à préparer la suivante. On ne s’arrête jamais!"
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