Yves-Bernard Debie: "Parcours des Mondes opère une convergence magique"
L’avocat belge Yves-Bernard Debie dirige Parcours des Mondes, foire d'arts premiers qu’il a fondée en 2002 avec son ami Pierre Moos et qui se tient jusqu'à dimanche à Paris. "Une société belge", se félicite-t-il.
Parcours des Mondes est la foire mondiale de référence des arts d’Afrique, d’Océanie, d’Amérique et de l’archéologie. Pourquoi?
Si la recette était connue, on l’imiterait. Cela tient à la qualité des marchands et des œuvres présentées. Ils sélectionnent le meilleur, en apportant leur regard et leur savoir sur ces œuvres lointaines. Le public accepte d’être bousculé par l’esthétique d’œuvres hors des canons occidentaux, même si les artistes modernes ont notamment été influencés par l’art africain. Être collectionneur d’art non occidental, c’est être ouvert sur le monde, libéré du préjugé. À cet égard, Paris est un lieu privilégié grâce au musée du quai Branly-Jacques Chirac.
Enfin, Parcours des Mondes a été conçu par des amoureux inconditionnels des arts non occidentaux, notamment mon ami Pierre Moos, disparu en 2022, auquel je succède. J’ai eu le plaisir de siéger avec lui au conseil d’administration de la Société des Amis du musée du quai Branly-Jacques Chirac. Parcours des Mondes appartient à Tribal Art Management, sise à Nivelles, en tandem avec Primedia, société éditrice du trimestriel Tribal Art Magazine fondé en 2004. Les deux sont réunies sous Tribal Media (TM). C’est en devenant leur avocat que j’ai pris des parts du magazine et de la foire, avant de finir par diriger les deux.
À quoi veillez-vous?
Nous sommes très attentifs à la sélection, à la diversité des marchands, à leur accompagnement dans leurs expositions thématiques, en offrant au public de traverser les civilisations et les siècles: la statuaire africaine, les figures antiques, les dieux polynésiens ou la sagesse de l’Asie, les Indiens des Plaines ou du Nouveau-Mexique, l’art précolombien ou le rapport mystique des hommes du Grand Nord avec la nature. Et le prix Pierre Moos récompense le meilleur livre d’arts premiers de l’année.
"Être collectionneur d’art non occidental, c’est être ouvert sur le monde, libéré du préjugé."
Ces dernières années, les ventes majeures d’arts anciens d’Afrique ont eu lieu à Paris, ni à Londres ni à New York.
Cette place centrale de Paris est due à une triade: le musée du quai Branly-Jacques Chirac, Parcours des Mondes et les maisons de ventes qui organisent la dispersion de collections prestigieuses. Je crois à la magie de cette convergence. Tout visiteur du quai Branly en ressort avec l’envie d’appréhender l’art extra-européen et se tourne vers le marché de l’art. L’inverse est vrai: pas un achat en salle de ventes sans la visite d’un musée et la consultation d’ouvrages de référence. Entre le monde muséal, le marché de l’art et le monde de l’édition, Paris réalise la symbiose.
Parmi les pièces remarquables de cette édition 2024, mentionnons la galerie Montagut (Barcelone) propose un masque dogon du Mali, daté du XIXe siècle ou antérieur, figure altière d’athlète rituel. Arte y Ritual (Ana & Antonio Casanovas, Madrid) expose un masque Yaouré de Côte d’Ivoire.
Chez Harmakhis, fondée par le Bruxellois Jacques Billen, un somptueux masque funéraire (Égypte, Nouvel Empire, fin de la XVIIIe dynastie, vers 1319-1292 avant J.-C).
Duo Bruxellois émérite, Patrick et Ondine Mestdagh révèlent un très rare pectoral appelé civavonovono (une dent de cachalot et une huître perlière à lèvre noire fixée avec du métal), République des îles Fidji, XIXe siècle. Enfin, Entwistle (Paris et Londres) présente une figure de Proue nguzu nguzu ou musumusu, (Iles Salomon, Mélanésie), en bois et coquillage. | JFHG
Marc Ladreit de Lacharrière (Président de Parcours des mondes): "L’intérêt pour les arts contemporains non européens croît"
Marc Ladreit de Lacharrière a fondé FIMALAC en 1991, groupe de capital investissement (Warburg Pincus), de digital (Webedia), de spectacle vivant (FIMALAC Entertainment) et d’immobilier. Collectionneur émérite, il a créé l’Association des Musées Méconnus de la Méditerranée (AMMed). Il est président d’honneur de Parcours des Mondes 2024, première foire d’arts premiers du monde.
Que représente Parcours des Mondes?
Preuve éclatante du dynamisme de Paris, c’est la première manifestation au monde en ce domaine, gratuite, unique et chaleureuse, dans un quartier historique de la capitale (et pas un hall d’exposition). Son directeur-général, le Belge Yves-Bernard Debie, m’en a proposé la présidence d’honneur 2024. Je l’ai trouvé enthousiaste, convaincant: j’ai accepté avec plaisir.
"Avec sa faculté d’émerveillement infinie et une érudition sans faille, Jacques Chirac m’a fait entrer dans le secret de ces œuvres en préservant l’envoûtement du premier contact."
Quelle est la genèse de votre collection?
Le dialogue culturel entre les formes déconstruites des artistes africains et Cézanne, Picasso, ou Braque, ne cesse de m’éblouir depuis toujours, mais n’a pas joué un rôle déterminant dans ma collection. Ce qui m’a amené des arts classiques, contemporains aux arts premiers, c’est ma présence au Conseil Artistique des Musées Nationaux, chargé d’acquérir les œuvres proposées par les Musées, auprès de Stéphane Martin, alors président du Quai Branly, de conservateurs, de collectionneurs, de galeristes. Ils m’ont permis de décloisonner mon regard esthétique, en résonance avec les arts premiers. Enfin, Jacques Chirac, mon ami, en a été le facteur essentiel.
Comment vous a-t-il «initié»?
Dans ses bureaux, surtout à l’Hôtel de ville, il m’a parlé avec amour et science des objets dont il s’entourait. Avec sa faculté d’émerveillement infinie et une érudition sans faille, il m’a fait entrer dans le secret de ces œuvres en préservant l’envoûtement du premier contact. Puis j’ai suivi de près, dès ses prémices, l’élaboration du Musée du Quai Branly, devenu Musée Jacques Chirac, dont je partage toute la philosophie. Son idée de créer un musée ambitieux, à hauteur des plus prestigieuses institutions françaises, consacré aux cultures non européennes et particulièrement à l’Afrique, m’a conquis. Ma collection ayant grandi, il m’a semblé naturel de la partager: la plupart de ces œuvres n’avaient pas d’équivalent dans les collections du Musée et les complétaient utilement.
Il vous a confié l’Agence France-Muséums, chargée de la création du Louvre Abou Dhabi.
J’avais fait mienne sa réflexion sur l’universalité et l’intemporalité artistique. Pour lui, le Louvre Abou Dhabi favoriserait le dialogue des cultures entre sculptures égyptiennes, vases étrusques et arts de l’Afrique, éclairerait les liens entre œuvres issues de continents et d’époques différents, maillons d’une chaîne qui relie esthétiquement le monde. Expérience passionnante: au terme de nos dix ans de présidence, Mohamed Khalifa Al Mubarak, mon interlocuteur, aura connu deux présidents du Louvre et six ministres de la Culture!
Quel a été le premier objet de votre collection?
Une planche d’ancêtre, de Nouvelle Guinée, milieu XIXe, aux proportions très stylisées. Le message m’attirait aussi: les esprits de ces planches transmettaient leur force à son… possesseur! Je n’achète que quelques pièces par an. Je demande des avis, me documente, écoute les conseils, mais je décide seul. Ces pièces ont existé avant moi, demeureront après moi, m’accompagnent une partie de mon existence, je suis leur compagnon provisoire. Je n’en ai jamais revendu, je n’ai ni «réserve» ni objets en caisse! Je m’intéresse peu à leur économie. Toutefois, après avoir inspiré nos artistes et occupé une place relativement secondaire sur le marché, ces chefs d’œuvres en rejoignent les premiers rangs. Les marchands m’ont beaucoup appris: leur savoir est complémentaire de celui des conservateurs.
"Je n’achète que quelques pièces par an. Je demande des avis, me documente, écoute les conseils, mais je décide seul."
Quel est le rôle de la recherche historique?
Essentiel: le président Chirac et le collectionneur-marchand Jacques Kerchache imaginaient dédier une salle du Louvre aux arts d’Afrique, on leur a signifié que ces objets étaient trop récents, le musée accueillant statutairement des œuvres antérieures à 1850. Or, une statue Lobi, du Burkina Faso, acquise chez Christie’s en 2023, serait datée entre 1632 et 1683. Et j’ai fait dater récemment la «Pileuse de mil», une statue Dogon acquise à mes débuts de collectionneur, située entre 1486 et 1643! Cette « Pileuse de Mil » sacralise un geste presque trivial de la vie villageoise et me touche: j’y vois un hymne à la vie et au rôle des femmes dans la survie et le développement des sociétés humaines.
Les politiques culturelles requièrent-elle le soutien du privé?
À la différence des pays anglo-saxons, l’État a considéré devoir reprendre la tradition monarchique de l’enrichissement des collections et du mécénat culturel et, depuis le Front Populaire, permettre au plus grand nombre d’accéder aux musées grâce à des subventions. Cette politique culturelle atteint ses limites: les coupes budgétaires d’avril 2024 en attestent, l’État ne pourra assumer l’ampleur des besoins du secteur culturel.
Notre devoir est de prolonger l’action des pouvoirs publics. Le soutien du privé sera de plus en plus indispensable, ce que nous faisons avec la Fondation qui porte mon nom et la Fondation d’entreprise de FIMALAC, Culture & Diversité. Vers les publics les moins familiarisés, les musées français sont en pointe: Culture et Diversité, que dirige ma fille Eléonore, soutient ces initiatives de longue date.
L’aile gauche de la galerie du Quai Branly qui porte mon nom et accueille ma donation d’art ancien expose des artistes contemporains, principe établi entre Stéphane Martin et moi, que ma fondation finance chaque année. Avec le président actuel, Emmanuel Kasarhérou, nous étudions son doublement afin de multiplier les expositions. L’intérêt pour les arts contemporains non européens croît: leur place au Quai Branly grandit.
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