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Rogê, être de chair et de samba

©Nathalie Johns

Artisan des musiques brésiliennes, Rogê chante son pays depuis Los Angeles. Nouveau pan d'une trilogie entamée l'an dernier, l'album "Curyman II" navigue entre bossa nova et samba pour illuminer l'hiver. De la plus belle des manières.

"Je me souviens de la victoire de la Belgique contre le Brésil!" À l'heure d'évoquer son nouveau disque, Rogê revit la coupe du monde 2018 avec passion. "Quelle équipe! Eden Hazard était un magicien. Il était aussi brillant que des garçons comme Pelé et Ronaldinho." Cette digression footballistique n'est pas anodine. Sur la pochette de "Curyman II", le chanteur s'élève dans les airs, s'apprêtant à placer une tête sur un ballon en lévitation. "C'est une allusion à mon passé. Jusqu'à mes 15 ans, j'imaginais faire carrière dans le football."

Mais la guitare en a décidé autrement. Formé au conservatoire de Rio de Janeiro, Rogê construit sa réputation sur les planches du légendaire "Carioca da Gema". "Pendant dix ans, je me suis produit dans ce club chaque dimanche soir", retrace-t-il. "J'y jouais des reprises de Tim Maia, de Caetano Veloso, de Carlos Jobim, de Dorival Caymmi ou de Gilberto Gil. Ma culture musicale s'est forgée sur cette scène."

100% samba

L'essence de la samba

Ce lieu est également le théâtre d'une rencontre déterminante avec Arlindo Cruz. "C'est lui qui m'a éveillé à l'essence de la samba", affirme Rogê. Les deux hommes se lient d'amitié et animent bientôt une émission de radio dans laquelle ils reçoivent des personnalités de la musique populaire. "À la fin de chaque émission, on enregistrait une chanson avec les invités du jour." L'initiative séduit les pontes d'une grande maison de disques. Compilation de titres servis par Rogê et Arlindo Cruz, l'album "Na Veia" sort en 2016 avec, en prime, une nomination aux Latin Grammy Awards. "Les planètes s’alignaient, mais mon ami Arlindo a fait un terrible AVC. Il ne pouvait même plus parler... À partir du moment où il était hors-jeu, je l'étais aussi. C'était une période déprimante."

Pour ne rien arranger, le Brésil connaît alors une succession de crises socio-économiques. Une situation qui sourit au populisme de Jair Bolsonaro. Élu président en 2019, le militaire annonce des changements radicaux. "C'était une spirale négative", commente Rogê. "Après l'effondrement de ma carrière musicale, le résultat électoral venait ébranler mes convictions citoyennes. J'étais marié, père de deux enfants, et l'avenir me semblait extrêmement sombre. Le moment était peut-être venu de quitter le Brésil..." La possibilité d'un tel exode le titille depuis qu'il a visité Los Angeles aux côtés du producteur Mario Caldato Jr. (Beastie Boys, Bebel Gilberto) pour y finaliser "Nômade", un album au titre prophétique. "C'est le dernier disque que j'ai sorti au Brésil", explique le chanteur.

©Nathalie Johns
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"Mon passage à Los Angeles m'a ouvert les yeux. Cette ville pouvait offrir un futur à ma famille. Elle répondait à toutes nos exigences: le soleil, une scène musicale foisonnante, de bonnes écoles et une place importante accordée au sport (son épouse enseigne la méthode Pilates, NDLR). Quand je suis rentré à la maison, le Brésil était en proie à une vague de violence urbaine. Des gens se faisaient descendre sans raison dans la rue. J'ai pris cela comme un signe: il était temps de changer de vie."

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Le Quicy Jones brésilien

Toutefois, pour Rogê et sa famille, les débuts du rêve américain virent au cauchemar. "À notre arrivée, les enfants ne parlaient pas un mot d'anglais. Ma femme ne trouvait pas d'emploi. Moi, je multipliais des jobs alimentaires. Nous étions fauchés et complètement déboussolés." Pour arrondir ses fins de mois et s'acclimater à la scène locale, le Brésilien s'engage alors comme musicien de session. Il enregistre notamment des disques avec le chanteur Robin Thicke ou la siffleuse vintage Molly Lewis. C'est comme ça qu'il croise la route de l'Américain Thomas Brenneck, cheville ouvrière de formations soul-funk comme le Menahan Street Band ou El Michels Affair. Ce dernier a participé à l'enregistrement du mythique "Back To Black" d'Amy Winehouse. Passionné, il a aussi reconstitué quelques légendes de la soul, ressuscitant notamment les carrières d'artistes comme Lee Fields, Sharon Jones ou Charles Bradley. "Un jour, Thomas est venu me voir en m’expliquant qu'il rêvait d'enregistrer un album de musique brésilienne..."

"Au pays, les Brésiliens ne comprennent pas toujours la force de leurs traditions musicales. Je pense que l'éloignement m'aide à valoriser cet héritage culturel."

Épaulé par le producteur américain, Rogê donne alors le meilleur de son pays natal dans des chansons bercées de samba, de bossa nova et de tropicalisme. Après l'enregistrement, l'heure est aux arrangements. "J'ai directement songé à contacter mon ami Arthur Verocai", glisse Rogê, comme si de rien n'était. "Au début, Thomas Brenneck pensait que je rigolais. Parce qu'à ses yeux, Arthur Verocai est un peu le Quincy Jones de la musique brésilienne... J'ai pris mon téléphone et je l’ai appelé en FaceTime."

"Cette trilogie, c'est une carte postale de ma vie d'expatrié."

Légende vivante, Verocai – 79 ans – a publié un album majeur en 1972, avant d'orchestrer des disques essentiels pour Célia, Jorge Ben ou Gal Costa. Redécouvert aux États-Unis au début du XXIème siècle, Verocai y possède l'aura d'un Serge Gainsbourg ou d'un Ali Farka Touré. "J'ai bien cru que Thomas Brenneck allait s'évanouir en voyant le visage d'Arthur apparaître sur mon écran de GSM", raconte Rogê. En quelques minutes, l'affaire est entendue: "Il s'est engagé à faire tous les arrangements de cordes de ma trilogie."

"Cette trilogie, c'est une carte postale de ma vie d'expatrié", assure Rogê. "Comme le précédent, le nouveau 'Curyman II' représente la musique brésilienne à l'étranger. En Californie, je suis d'ailleurs perçu comme une sorte d'ambassadeur. Être loin du Brésil, ça me permet de mieux le contempler. Au pays, les Brésiliens ne comprennent pas toujours la force de leurs traditions musicales. Je pense que l'éloignement m'aide à valoriser cet héritage culturel. Le Brésil vit désormais à travers mes chansons." Soleil et dépaysement garantis.

Samba-Bossa Nova - 4/5*. "Curyman II", par Rogê. Diamond West/City Slang

Samba-Bossa Nova

"Curyman II"

Par Rogê

Diamond West/City Slang.

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