Vincen Beeckman: "Je rencontre ceux qu’on voit, mais qu’on ne regarde pas"
Passionnante exposition que celle organisée par la Centrale for contemporary art dans le grand hall d’accueil de l’Hôpital Saint-Pierre à Bruxelles: "piKuur". Ici, on met en lumière les travailleurs de l’ombre...
Les quatre vitrines, où se mêlent à la fois photos, archives et notes personnelles des travailleurs de l’hôpital, ne sont en fait que la partie émergée de l’iceberg. Et pour cause: elles ne constituent qu’une étape dans le long travail initié par le photographe Vincen Beeckman, et leur contenu sera d’ailleurs réactualisé tous les deux mois. L’idée est d’initier une démarche artistique qui soit avant tout une aventure humaine et qui partirait à la rencontre des habitants de la véritable «ville dans la ville» qu’est Saint-Pierre.
À l’heure où les photos sont partout (et donc nulle part), Vincen Beeckman leur redonne un sens. Quand il rencontre les membres du personnel de la section nettoyage ou sécurité, l’idée pour lui n’est pas de se transformer en photographe prédateur, mais bien en interlocuteur. Ses photos, il les fait souvent à la demande des principaux intéressés, qui retrouvent alors dans le processus cette charge qui donne subitement un sens.
Ainsi, dans le très intéressant podcast qui accompagne l’initiative, les personnes rencontrées s’expriment: "Exposer ces photos-là, ça crée du respect…", "Se voir dans le hall de l’hôpital, ça donne confiance". Confiance, respect, écoute, partage… Les travailleurs de l’ombre se souviendront longtemps de ce photographe qu’ils ont d’abord vu débarquer avec méfiance. Aujourd’hui, partout dans l’hôpital, on l’appelle "l’Artiste". Pour beaucoup, Vincen est devenu un ami. Rencontre.
"Je ne me vois pas comme l’artiste omnipotent, qui décide tout, qui doit étaler son 'talent incroyable de professionnel'."
Quel est votre parcours?
J’ai travaillé 18 ans avec Recyclart. Je devais créer des liens avec le quartier, j’étais médiateur. Quand il fallait faire des photos, souvent j’y allais moi-même, ça marchait comme ça, j’étais comme en résidence, et j’invitais d’autres personnes. Pour un travail dans les Marolles, on a proposé un mélange de textes, de dessins, de photos, de sons. On a présenté ça dans une salle d’expo du Centre culturel Bruegel. C’était une expérience globale, avec un travail sonore plutôt expérimental, des textes écrits sur ce qui s’entendait dans les salles d’attente, des dessins sur le vif. Je n’arrive pas à m’arrêter quand c’est intéressant. J’ai donc proposé à la Ville de Bruxelles un projet uniquement autour de l’hôpital.
Parlez-nous du podcast disponible sur le site de la Centrale, qui raconte très bien l’ambiance de votre démarche…
L’idée est de décrire comment s’est installée la relation, sont inclus des messages téléphoniques que m’ont laissés les gens… Ils participent un maximum. Je ne me vois pas comme l’artiste omnipotent, qui décide tout, qui doit étaler son "talent incroyable de professionnel". Les gens apportent des documents à eux, parfois même de petits textes, des poésies. Je motive les choses mais il faut que chacun s’y retrouve. J’essaie de créer une relation, voir sur quoi ça débouche, en évitant surtout que les personnes se sentent dépossédées.
Quel impact le Covid a-t-il eu sur votre travail?
Vu la confiance instaurée, ils m’ont dit: "Viens, tu peux passer. En te protégeant et nous protégeant, pas de problème, la vie continue, tu fais partie des meubles, tu vis ta vie". J’ai hésité, par peur d’ajouter une couche à tous les tracas. Mon ressenti personnel, c’est que le stress était plus à l’extérieur de l’hôpital, dans la vie réelle où l’on interprète ce qui se passe à l’intérieur. Les nettoyeurs doivent travailler plus intensivement, plus précisément, avec beaucoup d’attention. Mais c’est leur travail et ça doit continuer. L’ambiance n’était pas du tout fébrile, ils tenaient le coup. La fonction fait que tu es là. La personne qui nettoie, en plus dans un hôpital, elle le fait avec une certaine passion, un sens du détail, c’est une forme de vocation, de conviction profonde – sinon tu n’y vas pas, tu changes de métier.
On a l’impression que vous faites le portrait d’un hôpital, d’une communauté, d’une ville, d’un monde différents…
Je trouve forcément des gens qui ne sont pas dans les radars. Les gens du service nettoyage ou du service sécurité, on les voit mais on ne les regarde pas. Ils ne sont pas toujours visibles, ni dans l’hôpital ni dans les news à la télé. Ils vivent leurs vies qui ne semblent pas intéressantes, mais qui sont bien sûr passionnantes. Ils ont tous une histoire à vous raconter. Il suffit de s’approcher.
Dans le grand hall du CHU Saint-Pierre, Bruxelles,
du 28 janvier au 28 mars, du 1 avril au 6 mai et du 10 juin au 8 août 2021.
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