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Marielle Morales donne une forme au temps

©doc

La chorégraphe et danseuse présente sa nouvelle création, "Rushing stillness", au festival In Movement, une pièce qui explore la durée et déjoue la perception du temps qui passe.

Rendez-vous pris dans un "repère d’artistes" qui a la particularité de demander à ses clients de passer commande au comptoir. Elle insiste pour aller chercher les boissons, mais doit attendre avant d’être servie. Elle revient, s’excuse et souligne que ce laps de temps "aurait été une belle matière à travailler". Le temps en transformation perpétuelle, en construction, en déconstruction est au cœur du travail de Marielle Morales.

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Franco-espagnole née en France, Marielle Morales a étudié la danse au Conservatoire de Bordeaux, notamment avec Alain Gonotey, et les lettres à l’université. "J’ai toujours été partagée entre la littérature et la danse", dit-elle. Titulaire d’un DEA (diplôme d’études approfondies, dans le système d’enseignement supérieur français), elle préparait un doctorat lorsqu’elle a passé une audition à Madrid. Elle a été prise, elle ne reprendra jamais sa thèse, ce sera la danse. Interprète de Compagnies comme Provisional Danza à Madrid ou Sol Pico à Barcelone pendant 7 à 8 ans, Marielle Morales arrive en Belgique fin 2003. "J’avais fait beaucoup de choses, j’ai appris énormément et je suis venue voir ce qui se passait en Belgique."

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Dans le travail de Marielle Morales, mouvement, théâtralité et aspect plastique ont la même importance.


Elle avait envoyé une candidature pour une audition avec Pierre Droulers, pour laquelle elle n’avait pas reçu de réponse. Qu’importe, elle se présente quand même et la rencontre est déterminante. "Ca a été une évidence pour moi, et je pense pour lui, qu’on allait travailler ensemble. Il travaille dans la lignée de l’impro performance comme je l’entendais, il m’a amené un univers plastique que je continue à traîner; parfois c’est lourd, parfois j’ai juste envie de danser. Il m’a révélé la densité de la matière, il a un travail tellement précis, il est tellement exigeant, ça m’a fascinée et c’est resté en moi." Entre les deux, cela fonctionne tout de suite et aujourd’hui encore, l’un et l’autre restent attentifs et apprécient le travail de l’autre. "On se fait des retours mutuels, explique la danseuse, en général c’est direct, parfois je sais presque ce qu’il va dire avant qu’il ne le dise."

Impermanence

Marielle Morales crée sa propre Compagnie, la "Cie mala hierba" (mauvaise herbe en espagnol) tout en travaillant aussi sous la direction de Thierry de Mey, Fré Werbrouk, Stefan Dreher, Lise Vachon et Michèle Noiret avec laquelle elle participe notamment à "Hors champ", un long-métrage scénique mêlant danse et cinéma qui la conduira jusqu’en Chine. Mais pourquoi "mauvaise herbe"? "Cela évoque la sous-jacence, quelque chose qui est toujours là, sous le ciment, elle arrive toujours à pousser quelque part. La mauvaise herbe évoque aussi l’idée d’impermanence, tout est en travail, les cellules, le minéral, le végétal et elle va chercher à sortir quelque part. J’espère que ce n’est pas moi la mauvaise herbe", sourit-elle.

©Sara Sampelayo

Depuis 2007, les pièces de Marielle Morales sont programmées en Belgique, France, Espagne, Grèce, Angleterre. À côté de son travail de chorégraphe et d’interprète, elle est également pédagogue, ce qui l’amène à intervenir de manière régulière dans divers centres de formation en Belgique, en Espagne, en Hollande, en Tunisie, au Costa Rica et jusqu’au Conservatoire de Bordeaux.

Dans le travail de Marielle Morales, mouvement, théâtralité et aspect plastique ont la même importance. À l’image de "Le pli", une pièce qu’elle crée en 2011 avec Antia Diaz et où le sol était couvert de talc, offrant plusieurs couches à cette performance (en talons aiguilles): l’aspect visuel, l’odeur caractéristique… La même trinité se retrouve dans "Espiritu I" (2011), un solo – encore que l’interdépendance entre la danseuse, la lumière (Marc Lhommel) et le décor sonore (Michiel Soete) est telle qu’on pourrait presque parler de trio – où elle oscille sur une chaise (reliée aux cintres par un élastique), produisant un effet hypnotique qui semble effacer le temps qui passe.

Quiétude accélérée

"Rushing stillness", sa nouvelle création qu’elle présente aux Brigittines en ouverture du festival In Movement (voir encadré), poursuit cette exploration des durées et de la perception du temps. "J’ai essayé de créer des outils scéniques pour construire une des métaphores possibles de la durée du mouvement du temps." Le titre paradoxal, qu’on pourrait traduire par l’immobilité précipitée ou la quiétude accélérée, joue sur les temporalités comme le font certains cinéastes; elle cite Bill Viola et Andrei Tarkovsky. "Il s’agit d’aller chercher un langage de l’ordre du rêve pour donner ces états de distorsion du temps et faire vivre une expérience physique au spectateur."

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©Sara Sampelayo

Le langage de Marielle Morales sur le mouvement du temps est né d’un travail sur le cycle, la répétition des cycles. Sur le plateau, trois interprètes (Ares d’Angelo, Agathe Thevenot et Marielle Morales) issus de deux générations différentes qui n’ont donc pas la même perception de la durée. "Rushing stillness" explore cette différence par rapport aux âges. La chorégraphe reste discrète sur le dispositif scénique (simple) pour ménager ses effets. Elle révèle toutefois la présence d’un drap blanc, tel une peau de chagrin, qui crée une atmosphère et confère un aspect plastique et se réjouit de pouvoir occuper la chapelle de l’ancienne église des Brigittines. "C’est le cadeau, s’émerveille-t-elle, c’est un lieu magique qui arrive à se transformer à chaque fois."

"Rushing stillness" les 8 et 9 mars, aux Brigittines à Bruxelles, les 31 mai, 1er et 2 juin au Théâtre Marni.

Troisième édition pour le festival In Movement, qui s’est étoffé depuis sa première édition en 2012. Si l’événement propose davantage de soirées (14 pour 11 spectacles de 11 compagnies en 22 représentations), il conserve son ancrage bruxellois, avec des chorégraphes qui vivent ou travaillent à Bruxelles et qui, par le corps, se réapproprient le monde. À nouveau, beaucoup de formes courtes qui permettent d’enchaîner deux voire trois pièces sur la soirée.

L’affiche propose autant de découvertes que de valeurs sûres: Meytal Blanaru, Maria Eugenia Lopez, Lisbeth Gruwez, Shantala Pèpe, Arco Renz, Harold Henning, Leslie Mannès, Sitoid & Vincent Lemaître ou Thomas Hauert & Group LaBolsa. Epinglons, en pure subjectivité, Marielle Morales, bien sûr, Erika Zueneli qui revient avec "Vai e passa", créé à Liège en janvier dernier, et le sublime "Phasme" de la Compagnie D’ici P./Fré Werbrouck, deuxième volet des "Variations sur l’immobile", avec Lise Vachon, enchâssée dans une table.

Le festival programme également 8 rencontres avec le public et 3 conférences: philosophique, "Nouveaux visages de la tyrannie" par Dany-Robert Dufour; anthropologique, "Déclinaisons du corps dans les mondes contemporains" par David Le Breton; et sociologique, "Re- (Structuring) Potentialities" par Rudi Laermans.

Festival In Movement du 8 au 26 mars aux Brigittines à Bruxelles, 02/213.86.10, www.brigittines.be.

 


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