Noir, c'est noir
Présenté dans le cadre du D Festival, "Monsters" plonge dans les entrailles de l’après-monde, noircies par le plastique noir.
Didier Béclard
Dès les marches qui mènent au Labo du Théâtre Marni, le ton est donné. Le public est accueilli dans un espace monstrueux où le noir domine. Sur scène, la vie surgit de la matière plastique noire. L’énorme sac-poubelle devient vivant et part en contamination de son environnement. Les sacs empilés en tas s’ébranlent, se déplacent, suscitant un sentiment de peur et d’angoisse. Des profondeurs de ce magma de noirceur s’élève une voix: un manifeste sur la nécessité de se libérer de l’image et une invitation à une parade monstrueuse. "L’idée est de prendre un objet caché et rejeté et d’y trouver de la beauté, explique la danseuse roumaine Sabina Scarlat. La beauté est partout".
Ce spectacle multiforme a déjà trois années d’histoire sous la forme de "work in progress". Sabina Scarlat et le circassien argentin Nicanor de Elia avaient d’abord élaboré "Monsters" en une version jeune public. Le spectacle déjà joué à six reprises à chaque fois différente tout en gardant la contamination comme point commun a pris maintenant sa forme définitive, que les artistes entendent déposer. Quitte à l’attaquer par l’autre bout, à le déformer, à le déconstruire sur les bords. "Nous aimons les propositions multiples, dit Nicanor de Elia. Nous pourrions déborder du plateau, ne pas être confinés dans une forme classique. Tous les théâtres sont différents, ce sont donc des représentations uniques à chaque fois".
Et lorsqu’on leur demande où ils situent leur spectacle entre théâtre, danse et cirque, les deux artistes répondent: "On ne le situe pas, il se situe tout seul. Il y a une grande écriture chorégraphique, une recherche, une façon de réfléchir le mouvement qui fait penser à la danse. Le travail avec l’objet se rapproche du cirque mais la forme finale va plus loin. La théâtralité est là depuis le début. Le mouvement est engagé par la contrainte ou l’émotion et cela fait un discours, parfois abstrait, parfois concret, mais toujours un discours. Théâtre, danse et cirque sont tous trois dans une dialectique constante."
Il y a un véritable dialogue entre le corps et l’objet et lorsque l’objet est un costume avec des contraintes particulières comme l’impossibilité de baisser les bras par exemple, l’objet impose une physicalité au comédien. Au fil du temps, le spectacle s’est également enrichi de musique, de lumières et d’images vidéos. "Tout se déroule en ‘live’, insiste Nicanor de Elia, même les lumières dansent avec nous tous comme les vidéos puisque le projeteur peut choisir la rythmique en fonction de ce qui se passe sur scène."
Après-monde
Partant d’un travail autour de l’objet de plastique noir, "Monsters" traite de l’histoire du monde après le monde. La matière reste après l’homme, à l’image de ce monde qui se remplit de plastique jusque dans les entrailles des dauphins. Le spectacle en pose la question: "Si l’unique réalité qui reste après le monde était le plastique noir, comment vivrait-on dans un monde plastifié?" La réponse semble être que l’on vivrait de la même manière, on trouverait de la joie et de la nourriture dans les poubelles. L’homme ne va pas s’arrêter parce que tout est plastifié. "L’après-monde est une synthèse du monde, commente Sabina Scarlat. L’amour et la haine, le noir et le blanc s’amalgament pour devenir une réalité à côté de laquelle on ne peut plus passer, qu’il faut prendre à bras-le-corps. Si demain le monde est une énorme merde, il faudra vivre dedans."
Si "Monsters" évoque la réalité dans le futur, il parle du monde d’aujourd’hui, comment nous pouvons embrasser notre réalité, y vivre ou y survivre. "Ce n’est pas dans le recyclage que se trouve la solution, ajoute Nicanor de Elia. Nous ne donnons pas de réponse, nous soulevons un état des choses, pour faire vivre l’idée de la contamination de façon concrète, du théâtre à la rue, de la rue au théâtre."
"Monsters" les 11, 12 et 13 juin au Théâtre Marni à Bruxelles. Rés.: 02/639.09.82 ou www.theatremarni.com.
Les plus lus
- 1 La Cour suprême valide la loi interdisant TikTok aux États-Unis
- 2 Thierry Breton: "Face à Donald Trump, l'Europe doit présenter un seul visage"
- 3 L'UE pourrait "utiliser une loi belge datant de la guerre" pour sauver les sanctions contre la Russie
- 4 Francisca Bostyn (Sûreté de l’État): "Des enquêtes sont en cours sur le recrutement d’espions par la Russie en Belgique"
- 5 Affaire Reynders: ING s'est-elle rendue complice de blanchiment d'argent?