Carles Puigdemont est venu à Bruxelles "par sécurité"
Le président catalan destitué Carles Puigdemont est venu à Bruxelles lundi pour interpeller l'Europe, préparer les élections du 21 décembre et, surtout, pour assurer sa propre sécurité et celle de ses conseillers.
Midi quarante. Les "Press Club" de Bruxelles est bondé. Près de trois cent journalistes attendent Carles Puigdemont, le président catalan destitué. La salle, prévue pour contenir une centaine de personnes, déborde. Les collaborateurs des députés européens catalans font le service d'ordre. Ils pressent photographes et caméramans d'ouvrir un passage vers la tribune. Il fait étouffant, la tension monte, c'est la bousculade. Maroun Labaki, le président du "Press Club", ramène le calme. C'est du jamais vu.
"Le voilà!". Carles Puigdemont fait son entrée, accompagné des membres de son exécutifs. Une mêlée se déplace sous le crépitement des dizaines de flashs.
En venant à Bruxelles, Carles Puigdemont fait coup double. Il s'installe dans la capitale du seul Etat d'Europe où le parti au pouvoir, la N-VA, est prêt à le soutenir. Et, surtout, il se place sous les projecteurs des centaines de journalistes en poste dans la capitale européenne. Bruxelles est, après Washington, le deuxième centre de presse du monde.
Un appel à l'Europe
Le président en exil prend la parole. En catalan, en français, en anglais et en espagnol. S'il a choisi "la prudence, la sécurité et la modération" après que le Parlement catalan ait voté l'indépendance vendredi, c'est parce que "des sources hautement crédibles" l'ont informé que "le gouvernement espagnol allait lancer une offensive très agressive et sans précédent" contre le peuple de Catalogne. Le décor est planté.
Légèrement en retrait, un policier belge en civil assure sa protection, ce qui tend à confirmer que des contacts étroits ont été pris avec les autorités belges, pour sa sécurité au moins.
"Je ne suis pas venu en Belgique, mais à Bruxelles, la capitale de l'Europe", lance M. Puigdemont. Il est là en tant que citoyen européen libre, pour "interpeller l'Europe" et mener sa campagne pour les élections du 31 décembre.
"Je ne suis pas venu en Belgique, mais à Bruxelles, la capitale de l'Europe"
Quelques minutes plus tard, il s'adresse à l'Europe. "A la communauté internationale et particulièrement à l'Europe, je lui demande de réagir. La cause des Catalans est celle des valeurs sur lesquelles l'Europe est fondée, comme la liberté, l'accueil et la non-violence".
Sera-t-il entendu? La déclaration d'indépendance, lancée le 10 octobre et votée vendredi dernier, n'a reçu aucun soutien de la part de la communauté internationale. L'Europe s'est rangée comme un seul homme derrière le gouvernement espagnol. Seule la N-VA, les nationalistes flamands, a fait exception. Il est permis de douter que cela change.
M. Puigdemont arrive à Bruxelles alors que le procureur d'Espagne requiert des poursuites contre lui pour "rébellion, sédition et malversation". Des faites pour lesquels il risque jusqu'à trente ans de prison. "Nous mettre en prison pour trente ans, c'est la fin de l'idée de l'Europe", insiste-t-il.
Pas de demande d'asile, mais...
Le leader catalan n'est pas venu pour demander l'asile politique. "Je ne suis pas ici pour demander l'asile à la Belgique. Ce n'est pas une question belge", dit-il.
Pourtant, dans son discours, il invoquera à plusieurs reprises sa sécurité. "Je suis ici (...) par liberté et sécurité". "Nous sommes venus ici à la recherche de garanties que nous n'avons pas en Espagne" a-t-il dit, avant d'insister sur le désir de "vengeance" et "non de justice" du gouvernement espagnol.
"Je ne suis pas ici pour demander l'asile à la Belgique. Ce n'est pas une question belge"
Dimanche soir, le secrétaire d'Etat à l'Asile et à la Migration Theo Franckent (N-VA) avait affirmé dimanche que le leader indépendantiste pouvait demander l'asile politique. Le lendemain, M. Puigdemont arrivait à Bruxelles et engageait l'avocat belge Paul Bekaert, un spécialiste du droit d'asile.
S'il se défend de demander l'asile, Carles Puigdemont a répété à plusieurs reprises ce mardi qu'il craignait pour sa sécurité en Espagne. Le personnel "charge de sa sécurité m'a été retiré vendredi", a-t-il dit, mettant aussi en avant la gravité de la peine qu'il pourrait encourir s'il était condamné pour sédition, comme le demande le procureur espagnol. "La république ne peut être construite sur la violence", ajoute-t-il. "Nous n'avons jamais agi avec violence et on nous compare à des terroristes, c'est pourquoi nous avons besoin de votre aide".
En insistant aussi lourdement sur les dangers qu'il court dans son pays, M. Puigdemont prépare le terrain d'une argumentation juridique venant alimenter soit une demande d'asile, soit une défense contre une extradition que la justice espagnole demanderait à la Belgique.
En réalité, il a peu de chance d'obtenir l'asile en Belgique. Ce droit est rarement octroyé à des ressortissants européens. Selon le professeur de l'ULB Philippe De Bruycker, "les conditions de menace et de persécution ne sont pas remplies".
Le gouvernement belge est tiraillé par les sorties de Theo Francken et une volonté des partenaires de la coalition de ne pas importer la crise catalane en Belgique.
M. Puigdemont "sera traité comme n'importe quel citoyen européen"
M. Puigdemont, c'est clair, n'est pas accueilli à bras ouvert en Belgique."Il sera traité comme n'importe quel citoyen européen" a précisé ce mardi le Premier ministre Charles Michel. Il a assuré que la Belgique n'avait entrepris aucune démarche pour organiser l'arrivée de M. Puigdemont.
Quand rentrera-t-il en Espagne? "Cela dépend des circonstances. Si l'Etat (espagnol) peut nous garantir à tous, et surtout à moi, une procédure indépendante, nous retournerons en Espagne", répond M. Puigdemont.
Les élections en vue
Le gouvernement catalan, démis vendredi dernier par Madrid s'est scindé en deux. "Une partie des membres du gouvernement reste en Catalogne pour poursuivre ses activités en tant que ministres légitimes", l'autre sera à Bruxelles, a expliqué M. Puigdemont. Pour combien de temps? Au moins pour préparer les élections du 21 décembre auxquelles les indépendantistes vont se présenter, à moins qu'un juge ne décide d'ici-là de rendre M. Puigdemont et ses conseillers inéligibles.
Après les élections, tout dépendra de l'attitude du gouvernement espagnol. M. Puigdemont a demandé à Madrid de reconnaître le résultat des élections du 21 décembre. "Je pose la question à l'Etat espagnol. Etes-vous prêt à reconnaître le résultat des élections?" a-t-il lancé. "Si ce n'est pas le cas, c'est qu'il y a deux sortes d'électeurs en Espagne, de première et de seconde classe."
L'exécutif catalan avait lancé un appel à la résistance "démocratique" après que le gouvernement Rajoy ait repris la direction de la Catalogne en application de l'article 155 de la Constitution. Mais lundi, les 200.000 fonctionnaires sont aller travailler sans opposer de réelle résistance.
Après avoir répondu à quelques questions, M. Puigdemont s'en est allé avec ses conseillers. Dehors, des manifestants scandaient des slogans pro-espagnols et, pour quelques-uns, pro-catalans. Les séparatistes auraient préféré faire cette conférence de presse au Résidence Palace, mais les portes de l'immeuble, géré par l'Etat fédéral, leur ont été fermées.
Après la conférence de presse, des médias espagnols se plaindront de ne pas avoir reçu la parole, à l'exception ... de la radio télévision catalane TV3.