La réforme du travail de Kris Peeters a fait couler beaucoup d’encre. Elle a crispé, énervé. Beaucoup du côté syndical, un peu du côté patronal. En gestation depuis près de deux ans, elle a enfin été définitivement votée jeudi en séance plénière à la Chambre.
L’entrée en vigueur de la plupart des mesures est déjà réalité. La date calendrier, c’était le 1er février. Et c’est toute la vie des entreprises et de leurs travailleurs qui va en être impactée. Même si, comme le rappellent les secrétariats sociaux, beaucoup des mesures proposées existaient déjà, çà et là.
Ici, elles sont généralisées, pour tous les secteurs et les entreprises. Seul bémol: certains points doivent encore faire l’objet de conventions collectives de travail (CCT), sectorielles ou d’entreprises.
Annualisation du temps de travail, heures supplémentaires, télétravail, "plus minus conto", épargne-carrière: ces mesures restent encore floues dans la tête des travailleurs, et même des employeurs. Les secrétariats sociaux informent, mettent des sites spécialisés en ligne pour expliquer à leurs membres les tenants et aboutissants de la réforme. Voyons concrètement ce qui va changer dans les usines, sur les chantiers et dans les open spaces.
Le temps de travail
Les mesures prises ici réorganisent le temps de travail afin d’offrir plus de souplesse aux entreprises pour gérer leurs pics d’activité.
1. L’annualisation du temps de travail
C’est sans doute l’une des mesures les plus complexes de la réforme. Il s’agit ici de prendre comme référence pour la durée du travail légale (38h/semaine) une année complète (et non plus 3 ou 6 mois). C’était déjà le cas dans certains secteurs; ce sera le cas partout. "Un combat surtout idéologique, puisque c’était déjà possible", dit Yves Stox, chez Partena.
On appelle cette mesure la "petite flexibilité". Pourquoi "petite"? Parce qu’elle ne pourra pas dépasser 5h/semaine, à la hausse ou à la baisse (donc 33 ou 35h, et 40 ou 45h, suivant les types de contrats (38 ou 40h/semaine), 9h par jour. Si on dépasse 143 heures excédentaires, il faut obligatoirement faire une pause, et prendre ses congés compensatoires. Ces heures "supplémentaires" ne sont donc pas payées, mais récupérées.
L’employeur doit prévoir, sur l’année, les périodes qui nécessiteront de travailler davantage, ou moins. "On reste dans un principe très hiérarchique, top/down, dit Yves Stox. Ce n’est pas le travailleur qui décide, mais l’employeur." Pas question, donc, d’utiliser ce principe pour faire des heures sup’ en dernière minute. On tombe alors dans le système des heures supplémentaires plus classiques (point suivant).
2. Les heures supplémentaires
Prenons l’exemple d’une société active dans le domaine de la pub, qui emploie des graphistes. Sans pouvoir le prévoir, il arrive qu’un projet vienne s’ajouter à la masse de travail habituelle, ou prenne du retard. Les employés doivent mettre les bouchées doubles pour finaliser les choses, et se retrouvent à faire des heures supplémentaires. Ici, il y a la possibilité, sur la base d’un accord mutuel entre l’employeur et l’employé, de prester jusqu’à 100 heures supplémentaires (sur 6 mois), qui seront payées mais pas récupérées. Mais cela se fait sur une base volontaire, l’employeur ne pouvant l’imposer.
Si le travailleur accepte ce contrat de 100h (maximum), il s’engage alors à être disponible, mais garde encore la possibilité d’invoquer une raison personnelle impérieuse si le moment où son employeur lui demande de travailler plus tard ne l’arrange pas. Dans certains secteurs, on pourra aller jusqu’à 360 heures si une CCT sectorielle est conclue.
3. Le "plus minus conto"
Les fins limiers de la législation sur le travail connaissent déjà ce système, utilisé principalement dans le secteur de la production automobile. Son avantage: permettre aux entreprises de faire face à de gros pics d’activité. Produire rapidement une grosse commande de voitures par exemple. Qui pourrait être intéressé? "Les secteurs technologiques qui ont de nouveaux produits à développer par exemple", dit Nathalie Florent de chez Acerta.
Les entreprises intéressées devront conclure une CCT d’entreprise. Il faut par contre entrer dans certaines cases: faire partie d’un secteur à forte concurrence internationale, avoir de longs cycles de production, de fortes variations dans la demande du produit. On appelle aussi ce système la "grande flexibilité". L’employeur peut faire travailler son ouvrier 10 heures par jours, 48 heures par semaine, sans sursalaire, pendant une période déterminée, que l’on alterne avec des périodes où le temps de travail sera réduit (via le "repos compensatoire").
Et les 38h/semaine, ils passent à la trappe? Non. Ils devront être respectés, mais sur une moyenne calculée sur… 6 ans.
4. Les horaires flottants
Le principe est bien connu. Plutôt que d’avoir un horaire fixe 9h-17h, le travailleur peut arriver entre 7h et 9h par exemple, et repartir entre 15h et 17h. Cela se fait déjà dans beaucoup d’entreprises, mais sans cadre légal. Le travailleur a donc la possibilité, certains jours, de prester plus d’heures que ses 38h semaine, et de récupérer (en partant plus tôt) un autre jour. Il y a un plafond: 12h flexibles par 3 mois. Et à nouveau, on ne peut dépasser 9h/jour et 45h/semaine.
Beaucoup des mesures existaient déjà. Mais elles seront généralisées à tous les secteurs et entreprises, moyennant parfois une CCT.
Les congés
1. L’épargne-carrière
Ici, il s’agit de permettre aux travailleurs d’économiser du temps pour prendre congé plus tard. Donc, mettre dans un pot les heures supplémentaires volontaires ou des congés extra-légaux, et les utiliser ultérieurement (même 5 ans après, même pour prendre 3 mois de congé si on en a en suffisance). Mais attention: l’employeur doit prévoir qu’il devra payer son travailleur, le jour où il utilisera ces jours de congés épargnés.
Se basera-t-on sur le salaire perçu au moment où on a mis son jour de congé de côté, ou celui touché au moment de la prise du congé? S’il y a un grand décalage dans le temps, cela peut tout changer. Cette décision dépendra d’une CCT à conclure en entreprise ou dans les secteurs. Mais le principe général, lui, sera rendu possible dans tous les secteurs, une fois que le Conseil national du travail aura conclu une CCT intersectorielle.
2. Les congés spécifiques
Le travailleur a le droit de prendre un crédit-temps (maximum 51 mois), à condition qu’il soit motivé: pour s’occuper d’un jeune enfant (moins de 8 ans), un membre de la famille malade, un enfant handicapé ou des soins palliatifs à un proche.
3. Le don des jours de congé
Si le secteur a conclu une CCT permettant le don des jours de congés entre travailleurs, ces derniers pourront céder à un collègue des jours de congés (uniquement les extra-légaux ou les jours de RTT). Seule condition: les congés seront utilisés pour s’occuper d’un enfant gravement malade, handicapé ou victime d’un accident.
L’organisation du travail
1. Le télétravail occasionnel
Un travailleur doit rester chez lui pour accueillir le plombier. Il peut dorénavant demander pour faire du télétravail. L’employeur peut refuser, mais doit motiver son refus. Cela doit néanmoins être écrit dans une CCT ou le règlement de travail.
2. Le travail de nuit
Cette mesure n’est applicable qu’à certains secteurs précis: les services logistiques et de soutien liés au commerce électronique. L’employeur, après concertation avec les syndicats, pourra demander aux employés de travailler entre 20h et 6h du matin. Ici aussi finalement, rien de révolutionnaire, puisque cela existait déjà dans certaines commissions paritaires.
3. Le travail à temps partiel
Ici aussi, on simplifie les règles du temps partiel. Le contrat mentionne juste le régime de travail, et non plus un horaire précis. Les jours de travail, et les horaires, sont fixés dans un règlement de travail. Par contre, les horaires peuvent être variables, mais doivent toujours être signalés au minimum un jour à l’avance.
L’aide à l’emploi via le groupement d’employeur
La nouvelle loi sur le travail faisable et maniable contient aussi une mesure destinée à soutenir l’emploi. Elle répond au problème vécu par certaines entreprises qui embaucheraient volontiers des travailleurs, mais ne sont pas en capacité de leur offrir du travail régulier tout au long de l’année. Plusieurs entreprises peuvent se mettre ensemble pour se partager un pool de travailleurs. "Une sorte de mini-agence d’intérim, en somme", dit Yves Stox.
Un exemple simple: plusieurs médecins qui forment un cabinet médical et emploient une secrétaire. Avantage: les différents employeurs se partagent les frais liés à l’embauche d’un seul travailleur. Le travailleur, lui, a son contrat à temps plein, valable chez plusieurs employeurs différents.
Le système du groupement d’employeurs existait déjà dans la législation sociale. Kris Peeters simplifie les règles pour les entreprises. Il faut par contre une autorisation du SPF Emploi.