L'écriture inclusive, c'est moche
Il faut leur reconnaître ça. En France, leurs débats ont plus d’allure; ils savent s’écharper avec un certain sens de la formule. Prenez ce manuel scolaire tout fraîchement publié par Hatier et rédigé en respectant l’écriture inclusive.
Inclu-quoi? Inclusive.
Vous savez (ou pas), celle utilisant le point médian afin d’embarquer féminin et masculin dans le même mot. Cela donne ceci, par exemple: mes ami•e•s. Pas de jaloux.
Et donc, cela part dans tous les sens. On a lu quelque part "agression de la syntaxe par l’égalitarisme, un peu comme une lacération de la Joconde, mais avec un couteau issu du commerce équitable". Il était également question des "cicatrices" que sont les mots, contre lesquelles le mercurochrome du féminisme ne pouvait rien.
Ouh là, on se calme.
Avant qu’on ne se fasse traiter d’infâme paternaliste, laissez-nous dire ceci. La règle grammaticale actuelle, voulant que le masculin l’emporte systématiquement sur le féminin, est absurde. Voire violente.
C’est n’importe quoi, mais remarquez comme cela est bien emballé. En Belgique, on a la réputation d’être un tantinet moins "drama queen" et plus pragmatiques. Soyons donc à la hauteur de notre réputation.
L’écriture inclusive, c’est moche.
Désolé, mais ami•e•s, ou lecteur•trice•s, c’est moche. Pas incroyablement lisible, non plus. Cela vous a un petit air de questionnaire administratif à choix multiple, où par peur de manquer quelque chose, on n’aurait rien biffé du tout et précieusement conservé tous les astérisques.
Avant qu’on ne se fasse soi-même écharper et traiter d’infâme paternaliste rétrograde, laissez-nous dire ceci. On est d’accord. La règle grammaticale actuelle, voulant que le masculin l’emporte systématiquement sur le féminin, est absurde. Voire violente. Imaginez: elles ont beau s’y mettre à 37, dans la même barque, il suffit qu’un seul mâle mette le pied à bord pour faire pencher la balance. "Ils". Bam.
On voit bien comment pareille règle a pu éclore. Quitte à ne pas s’encombrer de nuances: des siècles d’impérialisme phallocrate. Car en voilà un, de bel outil de domination, tout symbolique soit-il.
À vrai dire, il n’y a pas plus de raisons que le féminin l’emporte. Mais bon, en guise de gage de bonne volonté, on serait prêt à l’accorder, comme une sorte de retour de balancier. Julie et Jules se sont bien amusées.
Notez que le plus finaud, ce serait tout de même de n’imposer aucune prépondérance. De laisser le choix, en se fendant d’une règle neutre. Unisexe, si vous voulez, comme pour les fringues. On accorde avec le genre qui est le plus en nombre. Julia, Julie et Jules se sont bien amusées. Ou simplement avec celui qui est le plus proche du verbe. Jules et Julie se sont bien amusées; Julie et Jules se sont bien amusés. Et dans les dictionnaires, on ouvre grand la porte aux fonctions féminisées qui n’y ont pas encore trouvé de place.
Bref, on combat les sexismes et on éduque nos marmots en évitant tant que faire se peut les clichés – non, le masculin ne l’emporte pas toujours.
Bien sûr, il ne suffira pas d’un petit coup de stylo magique pour faire cesser le flot incessant d’injustices faites aux femmes sur cette jolie planète. On parle d’un symbole. Mais celui qui taxe le symbole d’inutile n’a sans doute pas tout compris sur la portée que celui-ci peut avoir.
Tout cela, tellement volontiers. Mais l’écriture inclusive, par pitié, non. C’est moche. Et lourd – on aurait tendance à trouver que la langue et les mots, ça devrait viser la légèreté et la fluidité.
Allez, on vous laisse. C’est que se tient, à l’instant même en Wallonie, le premier week-end du cheval. On s’en voudrait de rater ça. Et on souhaite à Elio Di Rupo de devoir encore se taper les 14 éditions suivantes.