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Comment Publifin a décroché le jackpot électrique

©EPA

Les décisions prises en 2008 par le ministre de l’Énergie Paul Magnette (PS) ont permis aux distributeurs énergétiques, Tecteo et Ores entre autres, de voir leur cagnotte exploser.

L’histoire – dans les milieux énergético-politiques belgo-belges – ressemble à celle du monstre du Loch Ness: on en parle, mais personne ne l’a jamais vraiment vu. Jusqu’à aujourd’hui. Comment l’entreprise publico-privée Tecteo/Nethys/Publifin a-t-elle pu faire exploser ses bénéfices ces dernières années et tirer des fonds de ses filiales en charge de l’énergie?

Pour être précis, il faut remonter à l’année 2008. Paul Magnette vient juste de débarquer au Fédéral, il a été désigné ministre en charge du Climat et de l’Énergie au sein du gouvernement Leterme I. Voilà donc Magnette dans le grand bain énergétique et avec son cabinet ministériel de l’époque, il s’attelle à la rédaction d’un arrêté royal relatif aux règles en matière de fixation et de réglementation des tarifs de l’énergie et à la maîtrise des coûts par les gestionnaires des réseaux de distribution d’électricité.

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Ainsi un arrêté royal est-il publié le 2 septembre 2008 au Moniteur. Et l’article 7 est particulièrement intéressant puisqu’il établit entre autres un facteur "Bêta", indispensable au calcul de la prime de risque des distributeurs énergétiques. Magnette opte alors pour un coefficient de 0,65 et effectue d’autres retouches favorables aux distributeurs:

• les capitaux investis par les distributeurs sont pris en compte à la hausse,
• les économies à effectuer sont divisées par quatre!,
• la base des coûts de référence est modifiée,
 des restrictions sont imposées à la Creg dans l’analyse des coûts.

L’intervention de Magnette est contestée avec force par le régulateur, mais entre-temps, l’arrêté royal entre en application et une loi passe en décembre 2009. Elle ne tiendra qu’un an. La Cour constitutionnelle rend un avis en mai 2011 et torpille l’intervention de Paul Magnette. "Les propositions de la Creg ayant conduit à l’arrêté royal ont été modifiées par le ministre compétent avant d’être soumises à la signature du Roi, (…) par conséquent le Roi s’est substitué à la Creg en violation de la directive sur l’électricité."

Reste que les différentes "retouches" du socialiste ont évidemment plusieurs impacts. L’un sur les consommateurs, l’autre sur les distributeurs.

L'impact Magnette

• Pour les consommateurs: 

En mai 2010, la Creg estime que les modifications des tarifs de distribution d’électricité et du gaz induites par le ministre par rapport à ses propositions ont entraîné une augmentation de 53 euros par an sur la facture d’électricité d’une famille de 4 personnes et de 65 euros pour le gaz.

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• Pour les distributeurs:

La loi Magnette est un véritable don du ciel. Jugez plutôt. En 2010, le régulateur publie une étude relative aux composantes des prix de l’électricité et du gaz naturel. La Creg constate qu’au 1er janvier 2008, chez le distributeur liégeois Tecteo, les prix du mégawattheure ont augmenté de 2 euros tant pour l’électricité que pour le gaz. Un jackpot pour l’entreprise liégeoise.

Un tour sur le site du président du conseil d’administration de Publifin André Gilles permet de constater que l’entreprise distribue 6.789.346 MWh/an de gaz et 3.415.511 MWh/an d’électricité. C’est écrit noir sur blanc, même si André Gilles ne précise pas à quelle année il fait référence. La plus-value réalisée en termes d’opération de distribution de gaz est donc de 13,578 millions d’euros tandis que celle réalisée pour l’électricité est de 6,831 millions d’euros.

20 millions €/an
L’impact du changement législatif imposé par le ministre Paul Magnette en 2008 a été de 20 millions d’euros chaque année pour le groupe Tecteo.

L’impact du changement législatif imposé par le ministre Paul Magnette en 2008 a donc été de 20 millions d’euros chaque année pour le groupe Tecteo.

Dès lors, si l’on s’en tient à la période 2008-2014, date à laquelle la compétence a été régionalisée et est passée entre les mains de la Cwape, c’est donc 140 millions d’euros qui sont tombés dans les caisses de Tecteo/Nethys grâce aux modifications du cabinet Magnette.

• Paul Magnette a réagit ce matin, démentant toute mesure prise en faveur de Tecteo alors qu'il était ministre fédéral de l'Energie. Il  conteste donc les 20 millions d'euros engrangés par Tecteo chaque année, étant donné que le calcul ne se fonde que sur les recettes et non les coûts. "Or, quand on calcule le bénéfice d'une entreprise, on doit soustraire les coûts des recettes. Le but n'a jamais été de hausser un bénéfice", commente-t-il.

 

"On fait des amalgames"

"Ce sont les Liégeois de Tecteo qui ont effectué le lobbying le plus intense sur Magnette à l’époque", se rappelle un expert. "Ils avaient un problème notamment au niveau de la prise en compte de certains facteurs et ils ont mis une pression colossale sur Magnette."

Les différentes sources interrogées par L’Echo et présentes à la Creg à cette époque pointent dans la direction de Christine Declercq, directrice de cabinet adjointe en charge de l’Énergie. "Elle a trifouillé dans tous les paramètres de fond en comble au profit des distributeurs wallons", dit une source sous couvert d’anonymat. Une autre: "La Creg a même été obligée de transmettre des grilles tarifaires confidentielles au cabinet du ministre."

Pour être de bon compte, il faut dire que tous les distributeurs énergétiques – tant wallons que flamands – ont profité des prix à la hausse corrigés par le cabinet Magnette. Ores, l’ancienne intercommunale d’électricité du Hainaut, également. Les modifications du ministre socialiste ont permis à Ores d’engranger quelque 30 millions d’euros supplémentaires chaque année, selon les mêmes calculs. Plus de 200 millions d’euros sur sept ans.

C’est précisément chez Ores que Christine Declercq trouve un emploi de directrice juridique en juillet 2008 en quittant le cabinet Magnette.

Contactée mercredi, Christine Declercq dit être étonnée de se voir interroger sur des textes datant de 2008. "Je rappelle que l’arrêté royal a été concerté avec les autres partis et que je n’avais certainement pas le pouvoir de procéder aux manipulations qu’on me prête! Pour le reste, je pense que faire le procès des arrêtés de 2008 pour justifier la croissance de Nethys, c’est un très mauvais procès. Nethys est un groupe multiple, on fait des amalgames. Mais je vous renvoie a mon ministre de l’époque, il a fait cela avec l’ensemble du gouvernement."

Magnette se défend

Paul Magnette, de son côté, défend pied à pied la politique qu’il a conduite comme ministre de l’Énergie à l’époque.

Un expert dans son entourage rappelle ceci: "La Creg, et Guido Camps en particulier, avait dealé toute une série de choses uniquement à l’avantage des distributeurs flamands, Magnette a vu cela et s’y est opposé fermement, il a en quelque sorte rétabli l’équilibre global pour que les distributeurs wallons ne soient pas les dindons de la farce."

"Toutes les décisions que j’ai prises ont été transparentes."

paul magnette

Interrogé, Paul Magnette indique ceci: "Je rappelle que ces arrêtés royaux ont été adoptés dans le cadre d’un processus transparent et d’un débat contradictoire qui requérait différents avis de la Creg. Les décisions que j’ai prises ont été approuvées par le conseil des ministres et on retrouvait évidemment les libéraux au gouvernement à cette époque… La Creg nous avait laissé toute une série de marges d’interprétation pour déterminer certains paramètres, nous l’avons fait quand nous l’avons fait, ils ont indiqué qu’ils n’étaient plus d’accord. Tout le monde se souvient de l’ambiance tendue qui régnait entre le régulateur, le gouvernement et le secteur."

Pour le reste, l’ex-ministre de l’Énergie Magnette ajoute ne pas "penser que les décisions prises à l’époque ont fait augmenter la facture du consommateur; la facture du consommateur a été au contraire la priorité de mon action en tant que ministre de l’Énergie au niveau fédéral". Et de rappeler "les nombreuses mesures qui ont été adoptées pour diminuer la charge énergétique sur les ménages". Entre autres la mise en place de la contribution de répartition des centrales nucléaires amorties et la mise en place de l’accès automatique au tarif social pour le gaz et l’électricité. "Faire baisser les prix était notre obsession", termine-t-il.

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