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interview

"Nous expliquons à nos clients comment le wi-fi fonctionne"

Ludivine Pilate, CEO de Puilaetco.

C’est chez elle que Ludivine Pilate a fêté son premier anniversaire en tant que CEO de la banque privée Puilaetco. "La crise du coronavirus n’a pas encore eu de réel impact sur la banque, mais notre métier de banquier privé devrait fondamentalement changer."

Comment les banquiers privés parviennent-ils à garder la tête froide alors que la pandémie ravage l’économie mondiale? Ludivine Pilate, qui dirige l’une des plus grandes banques privées du pays, a récemment commencé à faire du vélo.

"J’ai acheté mon vélo juste avant le confinement. J’ai vite compris que j’avais été bien inspirée, car aujourd’hui, je travaille 100% à domicile et mes journées sont souvent plus longues qu’au bureau à Bruxelles. J’ai remarqué aussi que mes collaborateurs travaillaient beaucoup plus pendant cette période de crise. A tel point que j’ai dû mettre en garde certains d’entre contre le dépassement de leurs limites. Les réunions en ligne sont beaucoup plus fatigantes que les réunions traditionnelles."

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"Nous n’obligeons personne à passer par nos services digitaux, mais nous les avons surtout déployés pour faciliter la vie de nos clients."

Ce serait un euphémisme de dire que Ludivine Pilate vient de vivre une année chargée. La CEO, qui fait partie du comité de direction de Puilaetco depuis 2015, a succédé à Amaury de Laet aux commandes de l’entreprise il y a tout juste un an. Dans les mois qui ont suivi sa nomination, la banque a entrepris un "rebranding" – laissant tomber le deuxième nom iconique "Dewaay" – s’inscrivant dans une vaste restructuration au niveau de la maison mère luxembourgeoise. En effet, l’actionnaire luxembourgeois KBL European Private Bankers est devenu Quintet et a également modifié sa gamme de produits. En même temps, il a mis en place une stratégie digitale poussée, beaucoup investi dans une infrastructure informatique unifiée et rafraîchi l’app de la banque.

Juste à temps, peut-on conclure a posteriori. "Grâce à ces investissements, nous disposions en mars de tous les outils pour pouvoir travailler à distance dès le début du confinement", explique Ludivine Pilate. "Après l’annonce des mesures prises contre le coronavirus, nous nous sommes fixé comme objectif que nos collaborateurs puissent télétravailler dans les 48 heures. Au final, nous étions prêts dans les 24 heures."

Les clients se sont-ils habitués rapidement à ces changements? Ne sont-ils pas réticents à l’idée de devoir discuter à distance de sujets parfois sensibles?

Nous avons mis en place plusieurs applications pour garantir le fonctionnement en ligne de pratiquement tous les services bancaires, comme la signature électronique, mais aussi les vidéoconférences. Certains clients préfèrent cependant continuer à recevoir leurs documents par la poste. Nous n’obligeons personne à passer par nos services digitaux, mais nous les avons surtout déployés pour faciliter la vie de nos clients. Tout a été testé avec plusieurs profils différents. Et les premières réactions étaient positives.

Private Banking

Le supplément Private Banking, ce jeudi 04/06, gratuit avec L'Echo

- Lorsque les rendez-vous à domicile ne sont plus possibles | Comment les banquiers privés entretiennent-ils le contact avec leurs clients à l’heure où tout le monde est confiné chez soi? Si les canaux digitaux s’imposent, ils ne sont pas la panacée pour autant.

- Transmission de patrimoine | Planifier sa succession suffisamment tôt n’est pas un luxe superflu.

Retrouvez notre dossier 'Private Banking' sur lecho.be/privatebanking

Nous nous sommes aussi montrés très proactifs pendant ce basculement digital. Nous avons envoyé à l’avance des mails à nos clients pour les informer de toutes les possibilités qu’offre le digital et de la manière dont ils pouvaient télécharger notre nouvelle application. Nous recevons tous les jours entre 20 et 50 appels téléphoniques de clients qui demandent des explications complémentaires. Ils n’aboutissent pas dans un call center, mais auprès d’un collaborateur qui les aide personnellement, sur mesure. Si nécessaire, nous prenons le temps de leur expliquer comment le wi-fi fonctionne.

Comment les clients ont-ils réagi au cours des premières semaines de la pandémie? Etaient-ils stressés?

En fait, ils ont réagi de manière très contrôlée. Nous n’avons pas constaté de panique. Au contraire. Nous avons remarqué que les clients voulaient surtout savoir comment miser sur la reprise éventuelle des marchés. Bon nombre d’entre eux ont d’ailleurs franchi le pas et recommencé à investir.

"Nous devons trouver des solutions digitales pour l’ensemble de nos services, mais il est aussi indispensable de conserver un lien émotionnel avec nos clients."

Parallèlement au rebranding, nous avons élargi notre gamme de produits. En plus de nos fonds patrimoniaux ou flexibles (fonds qui investissent dans des actions, des obligations et en cash, NDLR), nous proposons des investissements dans de l’immobilier coté et non coté. Et grâce à notre partenariat avec Triodos, nous sommes également bien positionnés dans le segment des investissements durables. Cette formule est populaire et explique en partie nos assez bons résultats au premier trimestre. Mais bien entendu, nous proposons également des services sur mesure. Nous sommes par exemple une des dernières banques privées à aider leurs clients à investir dans l’art. 

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Puilaetco a été la première banque à pénaliser les clients disposant de plus de 5 millions d’euros de liquidités sur un compte. Comptez-vous appliquer ce taux négatif à des montants inférieurs également? Avec la crise du coronavirus, les banques centrales ont ouvert encore plus grand les robinets, ce qui accroît la pression sur les banques.

Non, ce plafond n’a pas été abaissé. Le nombre de clients à qui nous avons appliqué ce taux négatif est par ailleurs très restreint. Ils étaient tout au plus vingt. Certains avaient une bonne raison de conserver autant de cash sur leur compte, par exemple pour réaliser un investissement important. Mais la plupart d’entre eux n’avaient pas de raison précise. Pour eux, ce taux négatif a finalement servi d’incitant à s’intéresser à d’autres opportunités d’investissement, plus intéressantes.

Ces dernières années, Puilaetco a beaucoup investi dans la mise au point d’une nouvelle stratégie. Devrez-vous la revoir suite à la crise du coronavirus?

Je ne pense pas que la crise aura des conséquences directes sur les services et les produits que nous proposons aujourd’hui. Nous avons entièrement revu notre gamme au cours des dernières années. Et à l’heure actuelle, nous ne recevons quasi aucune demande de services que nous ne pouvons pas encore proposer.

Mais cela ne veut pas dire que notre métier de banquier privé ne changera pas fondamentalement. Avant la crise, nous misions bien entendu déjà aussi sur la digitalisation. Mais elle portait sur une partie marginale de notre façon de travailler ou d’attirer de nouveaux clients. Aujourd’hui, nous devons trouver des solutions digitales pour l’ensemble de nos services, ce qui n’est pas toujours évident. Il est aussi indispensable de conserver un lien émotionnel avec nos clients, ce qui n’est pas toujours possible avec des mails strictement administratifs. Nous devrons mettre en place des outils plus interactifs afin de garder intacte notre relation avec nos clients.

Dans le passé, les banques privées et les gestionnaires d'actifs misaient sur l’événementiel pour fidéliser leurs clients. Ce temps est-il également révolu?

Dans le meilleur des cas, nous pourrons encore organiser quelques petits événements après l'été. Nous sommes en train de préparer des webinaires où nos principaux stratégistes et d'autres experts éclaireront davantage la situation économique. Mais nous constatons aussi que certains clients préfèrent parfois entendre parler de golf ou d'autres sujets life style plutôt que de bourse. Pour ces clients également, nous aimerions prévoir quelque chose en ligne.

Avant la crise du coronavirus, le secteur semblait prêt pour une nouvelle vague de consolidation. La pandémie changera-t-elle la donne?

La crise devrait encore accélérer le mouvement. Les banques privées et les gestionnaires de patrimoine étaient déjà fortement sous pression à cause des taux bas et des investissements indispensables pour s’adapter aux nouvelles réglementations. Aujourd’hui, vient s’y ajouter le coronavirus… Il ne fait aucun doute que certains acteurs se retrouveront en difficulté.

Mais peu de choses devraient changer à très court terme. Pour le moment, tout le monde se démène pour faire tourner les affaires aussi bien que possible.

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