Clap de fin pour la 70e édition d'Avignon
La 70e édition du Festival d’Avignon se confirme par son succès critique et un public exceptionnel. À ce jour, plus de 120.000 billets ont été délivrés sur 126.000 mis en vente, soit une augmentation de +6, 5% par à rapport à 2015. Et le taux de fréquentation est de 95%.
"Jamais, je n’ai vu dialoguer des artistes de manière aussi vive à travers leurs spectacles. Peut-être est-ce parce que l’état du monde nous le demande?!". Cette phrase d’Olivier Py prononcée le 24 juillet lors de la conférence de presse dans le jardin de la Rue de Mons illustre bien le matériau artistique de la 70e édition du Festival d’Avignon marqué par les attentats de Nice.
La plupart des artistes invités étaient là, en effet, extrêmement attentifs à l’état du monde, ne souhaitant pas céder aux tentations faciles ni aux raccourcis de la pensée, et évitant l’épate des effets-signatures. Leur volonté s’est imposée avec la même précision et la même rigueur dans leurs œuvres à travers l’inventivité formelle et l’audace ("Het Land Nod" de FC Bergman, "Espaece" d’Aurélien Bory) et des nouvelles manières de mêler les éléments fictionnels et documentaires dans la narration ("Les Damnés" d’Ivo Van Hove, "Ceux qui errent ne se trompent pas" de Maëlle Poésy, "Tristesses" d’Anne-Cécile Vandalem, "Yitzhak Rabin, chronique d’un assassinat" d’Amos Gitaï, "Eschyle, pièces de guerre" d’Olivier Py, "Tigern" et "20 novembre" de Sofia Jupither, "Fatmeh" d’Ali Chahrour ou "Hearing" d’Amir Reza Koohestani) et de faire du plateau un espace d’observation encore plus grand, face à un monde absurde et inquiétant, apparaissant-disparaissant dans sa confusion politique. Le festival nous a montré le chemin d’une création-essai, d’une presque guérilla poétique au service de la conscientisation civile et d’un surplus d’humanité. Il nous a ouvert davantage les yeux sur le réel, sur nos contradictions et choix, et les situations difficiles à démêler.
S’impose aussi le chef-d’œuvre, beaucoup plus sobre et mélancolique, de Kristian Lupa, "Place des héros", d’après l’œuvre éponyme de Thomas Bernhard qui contemple l’humanité (abîmée par le nazisme) s’acheminer vers sa perte, dans une dernière étreinte avec l’art et la philosophie, avant de mourir: "Peut-on passer toute sa vie à fuir dans la littérature et la musique?", interroge t-il en substance.
À côté du raz-de-marée d’unanimité critique qui a entouré la 70e année du Festival d’Avignon, nous ajoutons le controversé "La Dictadura de lo Cool" de Marco Layera, porté par des acteurs extraordinaires où tout n’y est que brillance, décadence et éclats de paillettes et où les vérités humaines y sont dites à travers des figures grimaçantes, dans la vitesse inouïe des actions et le pathos sirupeux du soap.
Naît la lumière
S’est imposé, entre autres, le chef-d’oeuvre de Kristian Lupa, "Place des Héros", qui montre une humanité s’acheminer vers sa perte.
Il est à noter qu’à côté de la noirceur, il y a des pièces où rien d’autre n’est à voir que la lumière, celle que peut-être personne ne voit actuellement mais qui, pourtant, enveloppe les êtres: "Babel 7.16" de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, et "Rumeur et Petits jours" du Raoul Collectif. Elles abordent le plateau comme une formidable machine à produire du vivre ensemble et des mondes nouveaux (une réparation?). C’est dans le fourmillement des imaginaires partagés que le plateau retrouve, ici, sa véritable capacité émancipatrice porteuse d’espoir et déborde explicitement le corsetage d’une communauté de destin asphyxiée. On se souvient des paroles de Valérie Lang qui, à propos du théâtre, écrit dans "Corps de bataille": "Puisqu’il nous change, nous, pourquoi ne changerait-il pas le monde?".
Et la promesse qui l’accompagne
En attendant 2086 et que soient exaucés les vœux des enfants repris dans le dernier volet de la folle odyssée mémorielle et futuriste "Le Ciel, la Nuit et la Pierre glorieuse, chroniques du Festival d’Avignon de 1947 à… 2046" de La Piccola Familia/Thomas Jolly – "des spectateurs en string sur des tapis volants" et "La semaine fériée" –, l’Afrique subsaharienne – dont nous déplorions l’absence –, sera à l’honneur en 2017. Comment ne pas penser au cycle de lectures "Ça va, ça va le monde" qui croise les imaginaires et donne à entendre d’autres histoires du monde, dirigé par Pascal Paradou (RFI) et le metteur en scène belge Armel Roussel, cette année. Nous y avons notamment découvert "Si tu sors, je sors" de Gustave Akakpo et Marc Adgbedjidji (Togo) et "Sank ou la patience des morts" d’Aristide Tarnagda (Burkina Faso). Il reviendra peut-être à la Belgique de répondre à cette promesse. Ce cycle était peut-être le commencement de "la République des imaginaires" si chère à la Ministre de la culture et de la communication française Audrey Azoulay.
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