Les économistes et l'art de la prévision…
Toute décision économique est soumise à des aléas importants en termes de résultats. Car l’environnement social est changeant. Deux exemples avec la taxe sur la spéculation "à la belge" et la politique de la Banque centrale européenne. Dani Rodrik (Harvard University) prône une nouvelle approche de la fonction d’économiste.
"Dieu a créé les prévisionnistes économiques afin de rendre les astrologues plus respectables." Cette citation cinglante pour la corporation des économistes est attribuée à John Kenneth Galbraith, lui-même économiste. Dans leur grande majorité, les économistes n’ont pas vu arriver la crise financière de 2008. Pourtant, la création de bulles spéculatives ou les périodes de paniques bancaires ne sont pas vraiment des phénomènes très neufs dans l’histoire. Face à un tel bilan, l’économiste du XXIe siècle doit se montrer "prudent et modeste". C’est Dani Rodrik qui le professe dans son livre "Economics Rules". Le professeur de Harvard était l’invité jeudi de la conférence "New Insights" organisée par "L’Echo" et "De Tijd", avec la firme EY. En fait, dit-il, il n’y a pas un modèle économique qui serait "LE" modèle ultime à suivre. L’économie, c’est plutôt une collection de modèles. Et toute décision économique est soumise à des aléas importants en termes de résultats. Car l’environnement social est changeant.
Jusqu’à quand les économistes devront-ils supporter cette comparaison humiliante avec les astrologues?
Prenez la Belgique, avec une décision économique jusqu’ici plutôt désastreuse. Le gouvernement a instauré de nouvelles taxes et espérait forcément en tirer de nouveaux revenus. Pure logique économique. Mais patatras. La nouvelle taxe sur la spéculation risque de coûter de l’argent à l’Etat, car les recettes fiscales vont baisser. Non seulement certains essaient de contourner cette taxe de 33% sur les plus-values sur actions (réalisées endéans les 6 mois), mais en outre la baisse constatée des transactions en Bourse de Bruxelles devrait forcément faire baisser les revenus issus d’une autre taxe, celle sur les opérations de Bourse (TOB). Selon des chiffres d’Euronext, les transactions sur les petites valeurs ont baissé de près de 50% à Bruxelles lors des quatre premiers mois de l’année. Ceci concerne le "Bel Small Index", qui comprend des valeurs comme Atenor, Mithra, Roularta ou Sioen. Mercredi, la Bourse a éternué lors du premier jour de cotation d’Asit Biotech. Un comble pour une société qui veut guérir le rhume des foins. Plus inquiétant, les particuliers belges n’ont jamais autant boudé une société biotechnologique lors de la souscription. Un tout petit 1% des actions a été souscrit par des particuliers belges (contre 9% dans le chef des particuliers français). Peut-être faut-il y voir la conséquence d’un avis négatif de la lettre de placements "L’Investisseur" qui conseillait de ne pas souscrire à l’opération? Mais comment ne pas y déceler aussi l’impact de la nouvelle taxe? Qui ose encore prendre le risque de participer à une souscription à de nouvelles actions, si c’est pour être taxé très rapidement à 33% sur la plus-value? Le gouvernement ferait bien de faire marche arrière avant que le pays ne devienne un désert boursier pour les petites valeurs.
Humilité
Mais prenons encore une autre décision économique, celle de la Banque centrale européenne (BCE) d’injecter massivement des liquidités dans l’économie. En temps normal, une telle décision est censée créer de l’inflation. C’est ce que nous enseigne la théorie économique. Mais rien de tel aujourd’hui, l’inflation reste plate en zone euro, désespérément plate. Et, dans le même temps, les achats d’obligations par la BCE sont en train de créer une énorme bulle obligataire. Une bulle qui est appelée à se dégonfler tôt ou tard.
Alors pourquoi cette absence d’inflation? Parce que l’environnement "post-crise 2008" reste empreint d’une confiance très fragilisée. Même si les hélicoptères de la BCE déversaient des liasses de billets sur la population, il n’est pas sûr que, dans les circonstances actuelles, l’argent récolté serait utilisé à des dépenses.
Plutôt qu’une science pure et dure, l’économie reste un art – Peter Praet, le "chief economist" de la BCE, devrait être d’accord sur ce point. Aujourd’hui, indique Dani Rodrik, l’économiste doit naviguer entre les modèles et déterminer quel modèle s’applique le mieux à un cadre donné. C’en est fini de ces économistes qui expriment des vues catégoriques.
Parmi ses 10 commandements aux économistes qui clôturent son ouvrage "Economics rules", Rodrik stipule qu’un économiste ne doit jamais avoir peur de dire: "Je ne sais pas." Cette humilité, telle que prônée par l’économiste de Harvard, devrait permettre aux économistes d’être davantage respectés dans la société. Et, pourrait-on ajouter, de ne plus devoir supporter cette comparaison humiliante avec les astrologues, chère au grand John Kenneth Galbraith. Les économistes valent mieux que cela…
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