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Vers un prix sur le carbone de tous les Européens

Les législateurs européens ont conclu un accord pour la mise en place d’un système de tarification des émissions liées au chauffage des bâtiments et aux carburants des voitures.

Ce qui émet du dioxyde de carbone doit coûter plus cher: l’Union européenne a décidé, dimanche 18 décembre, d’envoyer ce "signal prix" à tous ses citoyens. Les représentants des deux colégislateurs de l’UE, le Parlement et le Conseil (États membres), ont scellé un accord politique sur les marchés carbone qui doit permettre d’atteindre l’objectif de réduire d’au moins 55% les émissions du continent pour 2030. En plus de resserrer les boulons du marché carbone auquel est soumise l’industrie, la réforme met en place un second marché pour les logements et les déplacements.

Une extension massive

La réforme comporte deux volets bien distincts. Le premier est une mise à jour du marché carbone existant. En 2005, l’Union a créé pour ses industries les plus émettrices le système européen d’échange de quotas d’émissions (ETS): les émissions de chaque grande industrie sont plafonnées; celles qui émettent moins que leur quota peuvent vendre ces droits d’émissions à celles qui dépassent leur quota. Pour réduire le risque que des industries délocalisables s'en aillent, l’Union leur a délivré des quotas gratuits en masse, retirant d’une main l’incitation à décarboner qu’elle avait donnée de l’autre.

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"100% des revenus seront alloués à la transition juste. C’est massif. On parle de centaines de milliards d’euros."

Pascal Canfin
Eurodéputé libéral

L’Union s’apprête à sortir de cette impasse avec l’adoption d’une "taxe carbone" sur des importations de biens industriels (Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, MACF). Parallèlement à l’entrée en vigueur de cette mesure, elle va réduire les crédits carbone alloués gratuitement – qu'elle n'octroiera plus qu'à des industries qui auront mis en place des plans de décarbonation. Ces quotas gratuits diminueront de moitié d'ici à 2030, avant de disparaître complètement en 2034.

La réforme va en outre élargir la base de l’ETS: le secteur maritime commencera à acheter des crédits à partir de 2024, l'aviation intra-européenne est également concernée, et l’accord prévoit d’inclure le secteur de l’incinération des déchets en 2028. Les recettes générées vont donc augmenter. "100% des revenus seront alloués à la transition juste. C’est massif. On parle de centaines de milliards d’euros", soulignait lundi l’eurodéputé libéral français Pascal Canfin, qui a participé à la négociation.

"L’industrie a énormément profité des quotas gratuits – environ 50 milliards d’euros par an – mais a peu investi, par manque d’anticipation."

Camille Defard
Institut Jacques Delors

"L’industrie a énormément profité des quotas gratuits – environ 50 milliards d’euros par an – mais a peu investi, par manque d’anticipation", observe de son côté Camille Defard, spécialiste énergie au think tank européen Jacques Delors. "Ici, c’est une mesure équilibrée qui est prise: on supprime les quotas gratuits pour alimenter un fonds pour l’innovation dans les énergies bas-carbone."

Alors qu’aujourd’hui les États membres font ce qu’ils veulent de leurs quotas ETS, ils devront à l’avenir consacrer 100% de ces revenus au climat et à la transition juste.

Les négociateurs ont ménagé un filet de sécurité pour les industriels: si le MACF rencontrait un problème au démarrage – ce qui est loin d’être exclu –, un frein d'urgence sera activé sur la baisse des quotas ETS gratuits.

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Un prix et des aides

Les Vingt-Sept ont fini par convenir de la nécessité d’envoyer un "signal prix" commun sur les émissions des bâtiments et des véhicules particuliers, via les fournisseurs de carburants, de gaz et de mazout de chauffage.

À côté du volet industriel encadré par le système ETS, chaque État gardait jusqu’ici la pleine responsabilité de réduire les autres émissions de gaz à effet de serre – des bâtiments, des transports et de l’agriculture, notamment. Pour accélérer le mouvement, les Vingt-Sept ont fini par convenir de la nécessité d’envoyer un "signal prix" commun sur les émissions des bâtiments et des véhicules particuliers, via les fournisseurs de carburants, de gaz et de mazout de chauffage. L’Union crée donc un deuxième système d’échange de quotas d’émissions (ETS2).

45
euros
Dans l'ETS2, qui concernera les bâtiments et les carburants routiers, le prix de la tonne de CO2 sera plafonné à 45 euros jusqu'en 2030.

Ce nouveau marché carbone doit entrer en vigueur en 2027, mais sera reporté si les prix de l’énergie n’ont pas baissé d’ici-là. Et le prix de la tonne de CO2 y sera plafonné à 45 euros au moins jusqu'en 2030.

Les États membres qui, comme la France, ont déjà mis en place une taxation du carbone à un prix équivalent ne verront pas grande différence.

Mais ce signal prix devrait inciter les gouvernements à accélérer la transition bas-carbone pour rendre ladite transition la plus indolore possible, en investissant massivement dans la rénovation énergétique des bâtiments, les pompes à chaleur et panneaux solaires, les alternatives à la voiture individuelle fossile... "Il y a de l’argent disponible pour que les États membres protègent les citoyens, ils devraient commencer à le faire dès maintenant", souligne Peter Liese, eurodéputé chrétien-démocrate allemand, citant notamment des revenus nationaux de l’ETS qui ont déjà beaucoup augmenté. Un an avant l'entrée en vigueur du nouveau marché carbone, ils pourront aussi compter sur l'avènement d'un nouveau "Fonds social climat" de 86,7 milliards d’euros, pour soutenir les régions les plus vulnérables.

Un signal prix aux conséquences sociales "proches de zéro"

Majorer le prix du chauffage ou du carburant, cela pourrait-il annoncer un réveil des tensions sociales? Le spectre d’un effet "gilets jaunes" a hanté la discussion depuis que les institutions européennes ont pris la direction du prix carbone pour tous, avec le second système européen d’échanges de quotas d’émission (ETS2).

Le Parlement européen avait initialement voulu épargner les particuliers, en limitant l’ETS2 aux émissions des bureaux et des camions. L’accord que ses négociateurs ont finalement conclu avec le Conseil (États membres) prévoit de garder ce signal prix pour tous, mais en y ajoutant deux garde-fous: pas d’entrée en vigueur en 2027 si les prix de l’énergie ne sont pas redescendus; et une tonne de CO2 garantie bon marché, à 45 euros.

Pour les États qui ont déjà une taxe carbone en place, le changement sera léger. En France, le prix de la tonne est déjà de 44 euros, ce qui fait dire à l’eurodéputé français et négociateur Pascal Canfin (Renew, libéral) que "les conséquences sociales sont proches de zéro". Par ailleurs, les États auront les moyens de compenser avec les recettes générées par le système. "On a travaillé sur base d’estimations de la Commission qui démontre qu’avec cet argent, on peut compenser les 40% des personnes les moins riches avec des vouchers ex ante. Donc il n’y a pas de coût additionnel, pas d’impact social", assure-t-il.

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Au think tank progressiste européen Institut Jacques Delors, Camille Defard se montre sceptique. "C’est une mesure qu’on a toujours considérée comme risquée", indique cette spécialiste énergie. "Je ne serais pas aussi confiante sur le fait que les États membres vont investir dans la transition énergétique des bâtiments et de la mobilité d’ici à 2027. Pour avoir des résultats dans cinq ans, il faudrait commencer aujourd’hui. Voire hier."

Et de poursuivre : "Un signal prix pur, sans accompagnement, n’incite pas les acteurs à investir, ça grève leur capacité d’investissement." En l’espèce, craint-elle, l’Union est peut-être en train de se créer un problème de calendrier en envoyant le signal prix aux citoyens avant de s’assurer que les investissements nécessaires dans la décarbonation ont été faits dans les États membres.

On ne note pas d’inquiétude particulière à l'Organisation du consommateur européen (Beuc), où l’on se félicite avant tout de l’accord et son fonds de 86,7 milliards d’euros pour soutenir la transition pour les plus vulnérables.

Le résumé
  • Pour accélérer la transition et respecter ses objectifs climatiques, l'Europe a décidé d'envoyer un signal prix qui concernera tous les citoyens.
  • Les entreprises qui leur vendent le carburant de leur voiture ou le mazout de leur chaudière seront soumises à partir de 2017 à un nouveau "marché carbone". Mais des garde-fous sont prévus pour limiter l'impact social de la mesure.
  • Les législateurs n'oublient pas l'industrie, qui va voir "son" marché carbone, sérieusement renforcé avec la disparition progressive des quotas d'émission gratuits.
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