Livrer des F-16 à l'Ukraine: pourquoi c'est si compliqué
Désormais, l'Occident envisage sérieusement l'envoi de F-16 en Ukraine. Six questions pour comprendre l'enjeu de ces avions au cœur d'un conflit semblant gelé.
Le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont pris la tête d'une coalition internationale visant à donner des avions de combat F-16 à Kiev. Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, réclame avec acharnement, depuis des mois, ces appareils occidentaux pour renforcer son armée de l'air.
Quels avions les alliés peuvent-ils envoyer en Ukraine?
On parle de F-16 américains, mais actuellement, on ne sait pas quels systèmes d'armement seraient fournis avec ces avions. "Or, un F-16 vide ne sert à rien", exprime Alain De Neve, chercheur à l'Institut royal supérieur de Défense (IRSD). "Les avions que fourniraient les alliés occidentaux disposeraient-ils de systèmes pour réaliser des frappes avec des missiles air-air ou des missiles air-sol?"
"On va sans doute livrer un moyen de combat moderne... mais pas hyper moderne!"
La semaine dernière, on apprenait que la Grande-Bretagne comptait fournir à l'Ukraine des missiles de croisière Storm Shadow, de conception européenne. "Ceux-ci ont une portée de 500 kilomètres et peuvent être emmenés par des F-16", relève Alain De Neve. Mais il y a un souci majeur: en fournissant ces missiles longue portée, le Royaume-Uni violerait le MTCR, le Missile Technology Export Control Regime, qui ne permet pas d'exporter de tels missiles à des États qui n'en sont pas producteurs, surtout s'ils conservent leur portée d'origine."
Pour Alain De Neve, la coalition fournirait probablement d'abord "des F-16 avec des Storm Shadow bridés à 250 kilomètres". De telles armes respecteraient le MTCR et éviteraient une des craintes des alliés, des frappes ukrainiennes en profondeur sur le territoire russe avec un matériel occidental. "On va sans doute livre un moyen de combat moderne... mais pas hyper moderne!"
"Un missile de croisière de type Storm Shadow a une valeur unitaire de 2,3 millions d'euros. Donc, on l'emploiera avec encore plus de parcimonie!"
À quoi serviraient ces F-16?
"L'idée des Ukrainiens reste de récupérer la Crimée. Ils devraient donc pour cela opérer des frappes à distance, mais les Occidentaux se montrent réticents à cette perspective", glisse Alain De Neve.
Les F-16 pourraient servir à toucher le territoire russe. "Mais la Russie a appris de ses erreurs et a placé ses aéronefs à distance de ses frontières, sans doute à plus de 500 kilomètres", estime Alain De Neve.
Ils devraient participer à la future contre-offensive. Mais il faudra des cibles réalistes. "On n'utilise pas un missile à 500.000 euros pour détruire quelque chose qui en vaut 10.000. L'Occident a souvent appelé l'Ukraine à utiliser les munitions avec parcimonie", rappelle l'expert en technologies de défense. "Un missile de croisière de type Storm Shadow a une valeur unitaire de 2,3 millions d'euros. Donc, on l'emploiera avec encore plus de parcimonie!"
Quand ces avions de combat occidentaux pourraient-ils être livrés à Kiev?
La réponse dépend surtout de la disponibilité de pilotes capables de manier ces avions.
La formation de pilotes ukrainiens, jusqu'ici rodés sur des Mig-29 soviétiques, à la conduite de ce matériel américain est un gros challenge. Le Premier ministre britannique Rishi Sunak et son homologue néerlandais Mark Rutte envisagent la création d'un groupe de formation de pilotes ukrainiens sur des F-16 en Occident.
"Des pilotes devront passer plusieurs mois en formation, alors qu'il y a déjà un important manque de pilotes côté ukrainien. Il ne s'agit pas seulement de leur expliquer le fonctionnement de leur appareil et de les entraîner sur simulateur et en condition de combat. Ils devront aussi pouvoir employer tous les systèmes de tirs. Il faudra plusieurs mois", juge l'expert de l'IRSD.
"Nos pays ne sont pas adaptés, en termes d'arsenaux, pour assurer des missions de défense au quotidien et fournir un appui à un 'allié'".
Combien de F-16 les alliés pourraient-ils livrer?
La réponse est inconnue à ce stade. Un cadastre des possessions, pays par pays, doit être établi. Des systèmes pourront être remis à niveau. On sait que plusieurs États, comme la Belgique, sont réticents à laisser partir des appareils qu'ils utilisent pour des missions de l'Otan et la formation. Ils pourraient changer d'avis.
"Il faut veiller à ne pas trop fragiliser les systèmes de défense des pays contributeurs. C'est toute la problématique de la contribution à l'Ukraine. Nos pays ne sont pas adaptés, en termes d'arsenaux, pour assurer des missions de défense au quotidien et fournir un appui à un "allié". Il y a un fragile équilibre à trouver", commente Alain De Neve.
La Commission européenne a lancé un système d'enveloppe collective, alimentée par l'UE et les pays membres, pour cofinancer la réalimentation des pays en munitions, logistique... "Mais la fourniture d'avions de chasse ne sera pas remplacée par des unités fraîchement produites, c'est impossible. Il faudra un accord, sans doute avec les États-Unis, pour compenser les transferts d'armements européens en faveur de l'Ukraine."
Pourquoi les Occidentaux se décideraient-ils maintenant à fournir des avions de chasse occidentaux modernes?
Depuis le début de conflit, les pays alliés de l'Ukraine se montrent réticents à accepter les demandes de Kiev, avant de céder. On suit encore le même schéma.
"Les pays de l'Otan ont regardé ce qui se passait à Bakhmout pour évaluer la contre-offensive russe, qui ne s'est révélée ni coordonnée ni massive. Quand ils ont compris cela, ils ont réenvisagé leurs fournitures", glisse l'expert de l'IRSD.
Désormais, les ministres britannique et allemand de la Défense estiment qu'il revient "à la Maison Blanche" de décider d'une éventuelle livraison à Kiev d'avions de combat F-16. "Nous n'avons pas de F-16 et nous n'allons pas livrer d'(avions) Typhoon mais nous pouvons évidemment contribuer à la formation et au soutien, dans les limites du fait que nous n'avons pas de pilotes de F-16", a expliqué le ministre britannique Ben Wallace ce mercredi à Berlin, lors d'une conférence de presse commune avec son homologue allemand Boris Pistorius.
Ces F-16 pourraient-ils changer la tournure de la guerre?
"Je ne pense pas", répond tout de go l'expert de l'IRSD. "On assiste à un conflit gelé, les positions ne changent pas beaucoup. De plus, on ne peut pas utiliser des frappes aériennes dans n'importe quel contexte. Par exemple, à Bakhmout, le relief est tel derrière la ville que les avions de combat sont exposés à des tirs de la défense antiaérienne ennemie."
"Et y aura-t-il des cibles d'opportunité à frapper?", s'interroge l'expert de l'IRSD. "L'essentiel du rapport de force, dans ce conflit, se décide au niveau du combat terrestre..."
Dossier spécial sur la guerre en Ukraine, lancée le 24 février 2022 par Vladimir Poutine: toute l'actu et les dernières infos sur le conflit armé entre l'Ukraine et la Russie.
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