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Laetitia Maes-Bolle: "Partager un patrimoine artistique du vivant des parents est souvent apaisant"

"La valeur d’une œuvre ou d’un patrimoine va de quelques milliers d’euros à des montants illimités!", explique Laetitia Maes-Bolle. ©ANTONIN WEBER / HANS LUCAS

Laetitia Maes-Bolle est experte en œuvres d’art. Elle s’est spécialisée dans l’évaluation et le partage des patrimoines artistiques dans le cadre de successions et de donations.

Planifier sa succession, ce n’est pas seulement penser à qui va recevoir quel immeuble et à la manière dont un compte-titres sera transmis. Dans de nombreuses familles, il existe également un patrimoine artistique plus ou moins important qu’il est souvent très difficile d’évaluer soi-même: le propriétaire doit faire abstraction de la valeur esthétique ou affective de ses œuvres pour en connaître la valeur réelle sur le marché de l’art.

C’est pourquoi les particuliers font parfois appel à un expert en œuvres d’art pour gérer leur patrimoine artistique, et sa transmission. Lorsqu’il y a plusieurs héritiers, la question d’un partage équitable se pose directement.

"À l’origine, je suis spécialisée en peinture ancienne et plus particulièrement dans les œuvres de collaboration des petits maîtres anversois du 17e siècle. En travaillant pour les particuliers, mon expertise est devenue généraliste."

Laetitia Maes-Bolle
Experte en œuvres d'art

Laetitia Maes-Bolle est spécialisée depuis plus de quinze ans dans l’évaluation et le partage de patrimoines artistiques dans le cadre de donations et de successions.

"Ces missions reposent sur la confidentialité et la confiance. On n’entre pas dans les familles sans avoir été introduite. Les clients satisfaits de mon travail sont mes meilleurs ambassadeurs", explique-t-elle. Diplômée en histoire de l’art, elle a découvert son métier à Paris, et s’est familiarisée avec le marché de l’art en travaillant pour une grande maison de ventes aux enchères, mais aussi auprès d’experts reconnus. Elle a ensuite été appelée aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles au sein du département d’Art Ancien, avant de retourner à Paris travailler pour le département des peintures du musée du Louvre.

"À l’origine, je suis spécialisée en peinture ancienne et plus particulièrement dans les œuvres de collaboration des petits maîtres anversois du 17e siècle. En travaillant pour les particuliers, mon expertise est devenue généraliste. Dans tous les cas, spécialiste ou généraliste: on étudie toute sa vie dans un marché en perpétuelle mouvance. Aujourd’hui, je réalise des expertises d’œuvres picturales et graphiques, de sculptures, d’objets d’art, de porcelaine, d’argenterie et de mobilier couvrant un large éventail de disciplines artistiques au cours des siècles, que l’on retrouve souvent dans le cadre des successions".

Patrimoine moderne

Il existe deux valeurs dans la gestion d’un patrimoine: celle de l’achat (ou remplacement pour les assurances) et celle de la vente (ou vénale pour les successions). "L’estimation n’est pas une science exacte, même si nous faisons de notre mieux pour nous rapprocher de la réalité. La valorisation d’un patrimoine artistique par une personne permet d’assurer la même échelle de valeur, essentielle pour la réalisation d’un partage équitable. Si je dois approfondir des recherches sur certaines œuvres, j’ai la chance d’avoir des liens privilégiés avec des spécialistes grâce à mes années d’expérience au sein des musées et du marché de l’art", poursuit-elle.

L’expertise d’un patrimoine artistique n’est pas réservée aux grands collectionneurs. "Parfois, certaines personnes ne viennent que pour une ou quelques pièces… D’autres pour l’intérieur d’une ou plusieurs propriétés. La valeur d’une œuvre ou d’un patrimoine va de quelques milliers d’euros à des montants illimités!"
Laetitia Maes-Bolle décrit deux types de patrimoines, à commencer par le patrimoine "classique". "Il se compose de manière générale de mobilier, tableaux anciens, porcelaine de Chine et européenne, bronzes, etc."

"Aujourd’hui, c’est souvent la génération qui va transmettre le patrimoine qui prend les devants"

Laetitia Maes-Bolle
Experte en œuvres d'art

Il y a ensuite le patrimoine "moderne". "On le retrouve chez les amateurs qui ont pris la voie de l’art antiacadémique au tournant de la fin du 19e siècle, ouverte par les impressionnistes, ensuite les courants artistiques d’avant-garde du début du 20e siècle et l’art d’après-guerre. Aujourd’hui, les œuvres de ces époques (œuvres picturales, mobilier et objets d’art) sont très cotées, car très demandées : le marché suit la loi de l’offre et la demande. Cependant, le marché de l’art ancien reste très actif pour les œuvres de grands maîtres et de grande qualité, qui continuent à décrocher des records en salle de vente."

Le marché est en perpétuelle évolution et offre de belles surprises…mais pas toujours là où on les attend! "J’ai parfois découvert des chefs-d’œuvre accrochés derrière une porte, dans un petit couloir ou un endroit insolite, ce qui prouve que personne dans la famille n’avait imaginé la valeur de cette œuvre, qui se révèle parfois être le chef-d’œuvre de la collection. C’est pour cela qu’on fait appel à moi, pour connaître réellement le prix du patrimoine, loin parfois des légendes familiales!", insiste Laetitia Maes-Bolle.

"C’est un long, mais passionnant travail, qui aboutit à un rapport d’évaluation détaillé du patrimoine artistique, qui sera la base du partage entre héritiers" ©ANTONIN WEBER / HANS LUCAS

Anticipation

"Au début de ma carrière, c’était la génération qui venait d’hériter d’un patrimoine artistique qui me contactait. Aujourd’hui, c’est souvent la génération qui va transmettre le patrimoine qui prend les devants", constate-t-elle. "Désormais, conseillés par des spécialistes en gestion de patrimoine, les gens planifient longtemps à l’avance leur succession. Les partages réalisés du vivant des parents sont souvent apaisants. Les parents sont soulagés de savoir qu’ils éviteront certains conflits entre leurs enfants. Et pour les enfants, c’est aussi l’occasion d’exprimer une frustration: un manque d’équité est souvent ressenti comme un manque de reconnaissance. Pouvoir organiser la transmission et le partage du patrimoine de son vivant, en plus des avantages fiscaux, c’est une garantie pour la paix des familles", estime Laetitia Maes-Bolle.

La première étape du travail est l’inventaire du patrimoine. "Cela prend quelques heures à des jours, voire des semaines en fonction de l’importance et de la complexité du patrimoine artistique. Sur place, chaque œuvre est scrutée minutieusement, photographiée et décrite avec précision après un examen physique (sous lumière UV, rasante, loupe…). Toutes ces informations collectées in situ sont ensuite analysées au bureau", explique-t-elle. Différents critères entrent dans l’évaluation d’une œuvre: l’attribution à trouver ou à confirmer, l’authentification à prouver, la provenance et l’historique de l’œuvre à retrouver, la qualité technique de l’exécution, l’état de conservation… "Sans oublier que toutes les œuvres d’un même artiste n’ont pas la même valeur, en fonction des époques, des sujets, de la qualité des œuvres. C’est un long, mais passionnant travail, qui aboutit à un rapport d’évaluation détaillé du patrimoine artistique, qui sera la base du partage entre héritiers", explique l’experte.

Ensuite, vient l’étape du partage: sa préparation, son organisation et son animation entre héritiers. "La préparation est essentielle: il faut trouver les règles équitables qui vont convenir à tous. Cela commence souvent par un tirage au sort pour savoir dans quel ordre chacun pourra s’exprimer. Chaque œuvre est attribuée aux héritiers selon leur liste préférentielle. Certains feront le choix d’une œuvre importante en valeur marchande, d’autres d’une œuvre importante en valeur affective. Mais je conseille toujours que les héritiers offrent une seconde vie aux œuvres dans leur nouvelle demeure. Elles ont besoin d’être vues, car si elles sont prises pour être ensuite placées dans un garde-meuble, cela n’a aucun sens", estime l’experte.

D’autres préfèreront un partage réalisé comme une mise aux enchères, le plus souvent pour des héritiers indirects. À la suite du partage, les œuvres qui n’ont pas été attribuées partent en salle de vente. "J’accompagne la famille en conseillant et en négociant les meilleures conditions dans les maisons de vente. Toutes les œuvres ne partent pas de la même manière au même endroit. Lors de cette étape, une connaissance du marché est requise pour proposer les meilleures solutions et ainsi pouvoir clôturer le partage", précise Laetitia Maes-Bolle.

Le marché de l’art est comme tout autre marché économique: il fluctue en fonction de l’offre et de la demande". ©ANTONIN WEBER / HANS LUCAS

Et après

Il arrive que le donataire décède des années après l’estimation et le partage, et qu’entre-temps, certaines œuvres aient pris ou perdu de la valeur.

"Le partage est toujours juste et équitable tant qu’il est fait au même moment que l’estimation dans un temps ‘T’. Si l’on respecte de partager tout au même moment avec la même échelle de valeur, c’est juste. Même si un goût personnel évolue aussi avec les années, il faut choisir des œuvres et des objets que l’on aime et que l’on veut chez soi. Spéculer est une erreur. Personne ne connait l’avenir. Le marché de l’art est comme tout autre marché économique: il fluctue en fonction de l’offre et de la demande", conclut Laetitia Maes-Bolle.

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