Avec près de 19 millions d’abonnés sur Twitter, le onze de base des Diables rouges possède une redoutable force de frappe marketing. L’Echo a extrait une dizaine de milliers de tweets pour analyser la stratégie en ligne de ces footballeurs-influenceurs.
Par Nicolas Baudoux | 22 juin 2021 Coordination: Nicolas Becquet | Développement: Benjamin Verboogen
Pour les sponsors, l’Euro 2020 est une occasion en or de surfer sur l’image de leurs joueurs vedettes afin de mettre en valeur leur marque et leurs produits.
Quand on sait que l’ensemble des joueurs de la sélection nationale belge représente une valeur cumulée de près 700 millions d’euros, on ne s’étonnera pas que chaque publication sur les réseaux sociaux représente d’importants enjeux financiers.
Une influence lucrative, donc. Le milieu de terrain Kevin De Bruyne toucherait 75.500 dollars (environ 63.000 euros) par post sponsorisé sur le réseau Instagram selon Hopper HQ, une société britannique spécialisée dans les réseaux sociaux.
“Il ne faut pas sous-estimer leur force. Ils ont un impact, de l’influence sur la vie de leurs fans qui les suivent à la télé, sur YouTube, sur les réseaux sociaux. Cela va même jusqu’à l’achat d’une certaine marque de vêtements, car elle sponsorise un des joueurs”, confirme Jonathan Vanooteghem, Social Media Officer des Diables.
Voici le onze idéal que nous avons choisi pour notre analyse, il est basé sur l’équipe type habituellement sélectionnée pour porter le maillot rouge et noir. Chaque joueur pèse en moyenne 1,7 million d’abonnés sur Twitter.
Eden Hazard est le grand champion en termes d'abonnés, avec plus de 7 millions de followers. Il est loin devant Courtois (2,7 millions) et De Bruyne (2,68 millions), respectivement deuxième et troisième.
Les influenceurs du gabarit d’Eden Hazard peuvent gagner entre 8.000 et plusieurs centaines de milliers d’euros par post sponsorisé, d’après une étude de Kolsquare, une société de marketing d’influence.
Une fourchette très large qui dépend de la plateforme utilisée, du type de contenu proposé (photo, vidéo, story), de la réalisation du contenu par l’influenceur ou non, ou encore, de la possibilité d’utiliser la campagne sur d’autres canaux.
7209. C’est le nombre de mentions “J’aime” que les Diables obtiennent en moyenne par tweet. Il s’agit d’un des deux indicateurs utilisés pour mesurer l’influence des personnalités présentes sur les réseaux sociaux.
“En plus du taux d’engagement, c’est-à-dire de la capacité à générer du like, des commentaires et du partage, la taille de l’audience est le deuxième facteur qui va déterminer la capacité d’influence.”
“Étant donné leurs performances en ligne, on peut donc considérer les Diables comme des macro-influenceurs.” Damien Renard, professeur de communication digitale (UCLouvain)
En termes de “likes”, Kevin de Bruyne (20.777 en moyenne) et Eden Hazard (18.763) sont au coude-à-coude. On peut en conclure que Kevin De Bruyne est deux fois plus “efficace” que son coéquipier, car il compte deux fois moins d’abonnés à son compte.
Chaque joueur semble privilégier le réseau de son choix pour toucher son propre public: ici, Carrasco est le dernier de la sélection, avec le plus petit nombre de likes reçus. Pourtant, au niveau de l'engagement (aimer et commenter du contenu), il est dans le top 3 des Diables sur Instagram. C'est ce que révèle Auxipress, une agence spécialisée dans le suivi et l'analyse de la couverture médiatique des marques.
Parmi les Diables, le tweet le plus aimé et le plus partagé est celui d’Eden Hazard, posté lorsqu’il a intégré le Real Madrid. Simplissime, le tweet a obtenu 346.182 “J’aime” et 61.456 partages avec un simple hashtag accompagné d’une photo…
Kevin De Bruyne
Alexander De Croo
Alexander De Croo peine à dépasser les 90 likes par tweet, alors que Kevin De Bruyne, lui, frôle les 21.000 likes.
Notons qu’Alexander De Croo n’a été réellement mis sur le devant de la scène qu’en octobre 2020, depuis sa nomination comme Premier ministre, et qu’il a rejoint le réseau social en 2009, au début de sa carrière politique.
Kevin De Bruyne
Georges-Louis Bouchez
Qui dit homme politique sur Twitter dit… Georges-Louis Bouchez. Le président du Mouvement réformateur en est accro, au point de publier plusieurs fois par jour sur le réseau. Malgré son hyperactivité, il dépasse tout juste la barre des 100 mentions “J’aime” par tweet, en moyenne.
Eden Hazard
Cristiano Ronaldo
Autre échelle, autre perspective. Christiano Ronaldo, l’attaquant portugais de la Juventus, l’un des footballeurs les plus populaires et les mieux payés pour ses posts sponsorisés sur les réseaux sociaux, obtient 116.856 likes, en moyenne. C’est six fois plus que l’attaquant belge.
Eden Hazard
Kylian Mbappé
L’attaquant du PSG Kylian Mbappé détrône aussi Eden Hazard avec 38.658 mentions “J’aime” en moyenne. Il fait deux fois mieux, et ce, avec 1 million d’abonnés en moins.
Romelu Lukaku
Bill Gates
Bill Gates, l’homme derrière Microsoft et la fondation philanthropique Bill et Melinda Gates, atteint les 54 millions d’abonnés. Avec 24 fois moins d’abonnés, Romelu Lukaku dépasse le génie de l’informatique.
Romelu Lukaku
Marc Coucke
Propriétaire du RSC Anderlecht, copropriétaire du parc zoologique Pairi Daiza, fondateur de l’entreprise pharmaceutique Omega Pharma, Marc Coucke n’est plus à présenter dans le milieu entrepreneurial belge. Romelu Lukaku obtient pourtant en moyenne 52 fois plus de likes par tweet.
Valeur financière rime-t-elle avec popularité? Y a-t-il un lien entre la valeur marchande d’un joueur et son influence en ligne?
La réponse est oui. Les footballeurs les plus chers sont aussi ceux qui ont le plus grand nombre d’abonnés. À deux exceptions près:
#1 Yannick Carrasco. Cinquième en termes de valeur marchande, il est pourtant le petit dernier du groupe avec seulement 123.000 abonnés. Il ne semble pas (plus) affectionner le réseau, son dernier tweet datant de mai 2020.
#2 Eden Hazard est le plus populaire, et pourtant il est loin derrière Kevin De Bruyne, Romelu Lukaku ou Thibaut Courtois en termes de valeur sur le marché. L’explication est très simple: sa valeur a chuté de 110 millions d’euros en deux saisons à la suite d'absences et de blessures. En 2019, il pesait 150 millions d’euros, ce qui l’aurait placé en tête en termes de valeur et d’abonnés à son compte.
Jugée trop dangereuse pour l’image de marque, l’improvisation n’a pas sa place dans la communication des sportifs-influenceurs. Une partie de la valeur marchande des joueurs est liée à leur image et à leur réputation, qui est elle-même dépendante de leur publication sur les réseaux. Ces plateformes peuvent vite devenir le point de départ d’une crise de réputation. Il n’y a donc pas droit à l’erreur.
“Tout n’est pas naturel. Tout est très normé, réfléchi. Au-delà de leur performance, il y a une logique, une stratégie de communication. Les clubs ou l’entourage des joueurs sont probablement derrière pour leur donner de la visibilité.” Damien Renard, professeur de communication digitale (UCLouvain)
“Les Diables savent ce qu’ils font. Les jeunes joueurs sont très agiles avec les réseaux sociaux. Ils savent qu’il y a des sujets sensibles à éviter, ils se rendent compte que ce qu’ils disent peut avoir de lourdes conséquences par la suite. Ils gèrent vraiment leurs réseaux de manière intelligente.” Jonathan Vanooteghem, Social Media Officer des Diables rouges
En 2018, Romelu Lukaku annonce qu’il travaillera désormais avec Roc Nation, qui compte déjà en son sein des membres VIP, comme Alicia Keys ou Rihanna. La société américaine, fondée par le rappeur et homme d’affaires Jay-Z, s’occupe également du management et des droits à l’image de Romelu Lukaku, Kevin De Bruyne et Axel Witsel.
En 2018, Romelu Lukaku annonce qu’il travaillera désormais avec Roc Nation, qui compte déjà en son sein des membres VIP, comme Alicia Keys ou Rihanna. La société américaine, fondée par le rappeur et homme d’affaires Jay-Z, s’occupe également du management et des droits à l’image de Romelu Lukaku, Kevin De Bruyne et Axel Witsel.
Pour déterminer si une communication a été soigneusement préparée ou si elle est spontanée, il faut analyser les sentiments exprimés par les Diables dans leurs messages.
Nous avons donc passé au crible des milliers de tweets en utilisant la méthode Vader. Particulièrement adaptée aux réseaux sociaux, elle prend, notamment, en compte les émojis pour déterminer la probabilité qu’un message soit positif, négatif ou neutre.
81% des messages sont considérés comme étant émotionnellement “neutres”, une tendance qui démontre que les tweets des Diables véhiculent très peu d’émotions, positives ou négatives.
Selon Damien Renard, “c’est un marqueur du caractère très professionnel de leur communication”. La relation avec leur communauté en ligne semble donc bien réfléchie, alors que les réseaux sociaux encouragent l’expression des sentiments et les prises de position.
Enfin, une dernière tendance à suivre est le moment auquel les tweets sont postés. Une heure aura-t-elle plus d’impact qu’une autre?
“Aujourd’hui, la tendance en matière de stratégie digitale est de lier le ‘hors ligne’ et le ‘en ligne’. Il faut penser le digital comme la prolongation de ce qui se passe hors ligne. Il faut prolonger l’évènement avec la communauté virtuelle. C’est là tout l’enjeu des réseaux: faire en sorte de faire converser les gens et d’être au centre de ces conversations. En tant que personne-marque, c’est primordial.” Damien Renard, professeur de communication digitale (UCLouvain)
Notre analyse confirme la stratégie observée lors du mondial 2018: “les premiers posts doivent sortir quelques secondes à peine après le match, car c’est à ce moment-là que les chances de retweets et de likes sont les plus élevées”.
Des moments-clés à saisir pour être au centre des conversations.
Heure belge à laquelle les Diables rouges postent leurs tweets
Lukaku
Hazard
De bruyne
Witsel
Alderweireld
Vertonghen
Meunier
Courtois
Mertens
Chadli
Carrasco
Les Diables tweetent, en effet, plutôt en fin d'après-midi et en soirée, c'est-à-dire après les matchs. Meunier est le seul à avoir publié du contenu le plus souvent avant midi. Carrasco, quant à lui, est plus étalé sur la journée.
Avec des joueurs-stars comme Eden Hazard, Kevin De Bruyne ou Romelu Lukaku, les Diables rouges sont une marque qui rapporte. L’Euro à peine démarré, force est de constater qu’ils occupent les espaces publicitaires, en rue ou en ligne, au grand bonheur des sponsors.
En 2021, les Diables ne doivent plus se contenter de marquer des buts pour satisfaire les fans de foot, ils se doivent aussi de séduire les potentiels clients qui peuplent leurs communautés en ligne.
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Méthodologie
Les données collectées ont été extraites de Twitter.
Nous avons décidé de sélectionner tous les tweets sur la période allant de juin 2016 à fin mai 2021, juin 2016 marquant le début de L’Euro 2016.
Pour chaque compte, nous avons pu extraire 3.200 tweets, la limite imposée par la plateforme Twitter. Ce plafond ne nous a pas posé problème, car il y a, pour chaque Diable, moins de 3.200 tweets de 2016 à aujourd’hui. Seuls Alexander De Croo et Georges-Louis Bouchez échappent à la règle. L’analyse des publications de Georges-Louis Bouchez porte sur un échantillon de tweets publiés depuis début 2021. Étant donné le volume de messages envoyés chaque jour, il a vite atteint la limite des 3.200 tweets téléchargeables.
Après avoir extrait les données, nous avons classé les messages en trois catégories: les tweets originaux, les réponses et les retweets. Nous nous sommes concentrés sur les tweets originaux, ce qui fait déjà plus de 5.000 tweets à analyser, rien que pour le onze de base.
Les heures des tweets ont été nettoyées (heure UTC vers heure belge, selon heure d’été/hiver) et arrondies au quart d’heure pour les regrouper et ainsi pouvoir les analyser plus facilement.
La valeur marchande de chaque joueur provient du site Transfermarkt (données récoltées le 9 juin 2021).