Reportage en Israël: "S’il y a une guerre avec le Hezbollah, le Liban retournera à l’âge de la pierre"
L'Echo s'est rendu dans le nord d'Israël, où "une guerre à grande échelle" contre le Hezbollah, pour permettre le retour de milliers de déplacés, menace d'enflammer la région.
"L’opération à Gaza se termine, mais nous sommes inquiets de ce qui se passe au nord du pays. Nous avons 80.000 personnes déplacées à la frontière du Liban, et la situation devient invivable pour elles", dit Zohar Palti, ancien chef du Bureau politique et militaire de l’armée israélienne et de la Direction des renseignements du Mossad. Notre rencontre a lieu à Tel Aviv, dans le sous-sol d’un hôtel.
"Personne en Israël ne veut de cette guerre. Mais si cela ne s’arrête pas, nous la ferons."
Ce personnage trapu, au regard vif, a servi trente ans au plus haut niveau de l'État hébreu. Il connaît ses plans de bataille. "Nous allons repousser le Hezbollah, pour que ces familles rentrent chez elles. Nous allons le faire. Je parle d’une guerre à grande échelle", ajoute-t-il.
Neuf mois après le pogrom commis le 7 octobre par le groupe terroriste Hamas, au cours duquel 1.200 personnes ont été massacrées et 250 enlevées, Israël vient d’annoncer la fin des combats à haute intensité à Gaza. Les représailles ont coûté la vie à plus de 35.000 civils et militaires palestiniens, selon le Hamas.
Le pire reste à venir. Un conflit à grande échelle entre Israël et le Liban serait plus dévastateur que l'opération à Gaza, et risquerait d'enflammer le Moyen-Orient. "S’il y a une guerre avec le Hezbollah, le Liban retournera à l’âge de la pierre", avertit Zohar Palti. "Personne en Israël ne veut de cette guerre. Mais si cela ne s’arrête pas, nous la ferons."
Les familles déplacées du nord d’Israël, éparpillées à travers le pays, veulent rentrer chez elles. Mais le Hezbollah a fait de leur terre un no man’s land d'une profondeur de 5 kilomètres au-delà de la frontière. Cette distance correspond à la portée des missiles antichars tirés par le Hezbollah depuis des villages libanais, des projectiles qui ne peuvent être arrêtés par le dôme de fer, le système anti-aérien mobile qui protège le pays.
Dans cette zone, les maisons sont désertes ou détruites. Les champs ne sont plus cultivés.
Une question "de jours ou de semaines"
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Lorsqu’on l’interroge sur les détails de l’opération, Palti lève un coin du voile. "C’est une question de jours ou de semaines. Ce sera avant les élections américaines", dit-il. "Je sais ce qui va se passer, ce sera destructeur, même si je préfère parler de la manière de l’éviter. Le Hezbollah veut nous entrainer dans une guerre au sud du Liban, pour y piéger nos soldats. Nous ne le ferons pas. Nous allons frapper Beyrouth, là où se trouvent leurs armes", poursuit-il.
Le Hezbollah n’est pas le Hamas. Ce mouvement terroriste islamiste, dirigé par Hassan Nasrallah et financé par l’Iran, aligne plus de 100.000 hommes. Plus puissant que l’armée libanaise, il est équipé de dizaines de milliers de missiles, dont certains à haute précision. "Le Hezbollah a la capacité de tirer mille missiles par jour sur tout le territoire israélien pendant deux mois", selon une source militaire.
Zohar Palti doute d'une issue proche à cette crise, qu'il considère "comme la plus grave depuis quarante ans".
Au beau milieu de Beyrouth
"Personne ne sait quand il rentrera chez lui. Les enfants sont scolarisés dans des abris."
Nous nous rendons au nord, à la frontière israélo-libanaise. À mi-chemin, Google Maps et Waze nous situent au beau milieu de l’aéroport international de Beyrouth.
"Nous brouillons le système GPS dans toute la région pour éviter que les drones tueurs du Hezbollah s’infiltrent. Ils sont de fabrication chinoise et utilisent le GPS", confie un militaire.
Réfugiés dans leur propre pays
Nous faisons halte au mochav de Regba, une communauté coopérative socialiste, proche de la frontière. Le sol est fertile et le soleil généreux. Ici, l’agriculture est l’activité principale depuis l'Antiquité.
Moshe Davidovitch, le chef des communautés locales, nous reçoit dans son quartier général, le conseil régional de Mate-Asher. Il y coordonne 18 kibboutz (collectivité agricole libérale), 12 mochavs et deux villages arabes.
"Depuis neuf mois, la vie s’est arrêtée. Nos citoyens vivent comme des réfugiés dans leur propre pays. Personne ne sait quand il rentrera chez lui. Les enfants sont scolarisés dans des abris", raconte-t-il.
"Le Hezbollah ne se soucie pas de savoir si vous êtes un civil ou un militaire, il tire sur tout ce qui bouge."
Dès le 7 octobre, il a mené l’évacuation des communautés exposées aux tirs du Hezbollah, sans attendre la décision du gouvernement, de peur que les islamistes reproduisent le pogrom commis au sud.
"Le Hezbollah doit être repoussé à dix kilomètres dans les terres libanaises pour qu’il cesse de nous bombarder", poursuit-il. Cette revendication repose sur la résolution 1701 de l’ONU, qui exige le désarmement du Hezbollah et lui impose de rester au nord de la rivière Litani.
Dans la "war room"
Le lieutenant-colonel de réserve Ishai Efroni assure la sécurité de la région. Arme en bandoulière, il nous fait visiter la "war room" du conseil, où des écrans permettent de surveiller la région.
"Le Hezbollah ne se soucie pas de savoir si vous êtes un civil ou un militaire, il tire sur tout ce qui bouge", dit-il. "Regardez", ajoute-t-il en pointant une maison sur l’écran. "C’est chez moi, et je ne peux plus m'y rendre."
Ces communautés, pour la plupart de centre-gauche, se sentent oubliées du gouvernement. "Ils vont nommer un coordinateur pour la réhabilitation de la région. Cela fait neuf fois qu’ils auraient dû le faire", dit-il.
"Tout le pays est derrière nous"
Nous allons vers la frontière, mais à quelques kilomètres du but, l’armée boucle le périmètre. La situation est instable. La veille, le Hezbollah a bombardé plusieurs localités.
Nous nous arrêtons à Mitzpe Hila, une colline protégée des tirs. Les montagnes s’étendent à perte de vue, vidées de leurs habitants par la guerre et marquées par les bombardements. Les touristes venaient en nombre dans cette nature sauvage. Désormais, la mort rôde.
Nous rencontrons les lieutenants-colonels Yarden et Oren, à l'ombre d'un grand arbre. Un drone de protection nous survole. Une batterie anti-aérienne mobile est tapie dans un recoin.
"Le Hezbollah s’entraine à envahir le nord d’Israël depuis la fin de la seconde guerre du Liban. Ils ont des drones, des mortiers, des missiles. En quelques mois, ils ont tué le tourisme et l’agriculture. Nous devons les repousser, et nous allons le faire", explique Yarden. "Tout le pays est derrière nous. Les familles, les entreprises. Ma femme m’a dit de ne pas rentrer tant qu’on n’a pas gagné."
"Le moral des troupes est bon", renchérit Oren, expert en nouvelles technologies dans la vie civile.
Ce n'est pas un secret: des signes d’épuisement se font sentir après neuf mois de guerre, la période la plus longue qu’ait connu Israël. Début juin, le soldat Eliran Mizrahi s’est suicidé, après avoir reçu l’ordre de retourner à Rafah malgré ses blessures. "Les soldats souffrant de stress post-traumatique sont pris en charge par des psychologues", dit Oren, "nous sommes là depuis le 7 octobre, cela demande de l’endurance."
Yarden estime que "l’armée est prête et déterminée à repousser le Hezbollah, si aucun accord de paix n’est conclu".
Plusieurs brigades, réparties dans la région, sont sur le qui-vive. Leur armement dépasse, de loin, les capacités des combattants islamistes.
Dans l’antre de Rafael
"La situation économique n’est pas bonne. Nous souffrons du manque de touristes."
Pour mieux comprendre cette force de frappe, nous nous rendons au quartier général de Rafael, une entreprise de développement d'armes de haute technologie. Sa création la plus réputée est le dôme de fer, qu'il équipe désormais de logiciels de guidage par IA.
Le vice-président, Gideon Weiss, nous ouvre les portes de son implantation ultra-protégée, située près de Haifa. Les portables et les appareils photo restent à l’entrée.
Rafael était au cœur de l'action, le 14 avril, lorsque l’Iran a tiré plus de 300 missiles balistiques contre Israël. "Ce jour-là, les systèmes de guidage de nos alliés n’ont pas tous fonctionné, car ils dépendent de satellites. Nos missiles Python, équipés d'une caméra, guidés par une IA et indépendants du GPS, ont pu stopper les projectiles adverses avec une haute précision", raconte-t-il.
Il nous fait découvrir des équipements inconnus dans la plupart des armées. Le Trophy APS, un mini-dôme de protection équipant les chars, qui détruit les projectiles antichars avant l’impact.
Leurs drones Spike Firefly, d’une trentaine de centimètres de haut, équipant l'infanterie, peuvent se fixer sur une cible à une distance de 200 mètres, où ils sont inaudibles et invisibles.
"Nous devons arrêter la guerre"
"La priorité est de ramener les 120 otages restants, nous n’attendons que cela."
Alors que la guerre menace de s'étendre, les Israéliens ressentent de plus en plus la crise. L’économie tourne au ralenti, l'inflation est forte et la réputation du pays dans le monde se détériore.
Sharif, un arabe israélien, tient une boutique dans le village arabe d’Abou Gosh. "La situation économique n’est pas bonne. Nous souffrons du manque de touristes", dit-il, "les relations avec les Juifs sont bonnes, en tout cas ici. Elles le sont moins en Cisjordanie."
La grogne monte. Un entrelacs de revendications, liées à la guerre, au coût de la vie et aux otages du Hamas pousse de plus en plus de gens à manifester. L’appel aux élections grandit, comme l’envie de voir le Premier ministre Benyamin Netanyahou s’en aller. Seule l'armée a encore la confiance du peuple.
Luis Har, un otage du Hamas détenu à Gaza, libéré le 12 février par une unité des forces spéciales, est un de ces personnages qui rassemblent les Israéliens. Depuis qu’il est sorti des griffes de ses geôliers, il se consacre à la libération des autres otages.
La perspective que la guerre s’étende au nord ne le réjouit pas. "Nous devons arrêter la guerre. La priorité est de ramener les 120 otages restants, nous n’attendons que cela", dit-il.
La guerre avec le Liban aura-t-elle lieu? Ehud Yaari, journaliste pour Channel 12, un des experts du Moyen-Orient les plus réputés, n'y croit pas. "Ce n’est pas le moment. Le Hezbollah et Israël ont un accord, personne ne veut la guerre", analyse-t-il. Dans ce cas, le nord du pays restera désert. "Plus ce sera long, et plus ce sera difficile de convaincre les gens de retourner dans leur maison."
Israël est, comme jamais, au milieu du gué. La guerre, menée tambour battant par un gouvernement marqué par l’extrême droite, peut s’aggraver. Tout comme elle peut s’arrêter, par un accord de paix.
- Dans ce reportage, L'Echo s'est rendu à la frontière entre Israël et le Liban, où l'armée israélienne se prépare à repousser le Hezbollah à dix kilomètres dans les terres libanaises. L'objectif est de permettre aux populations du nord d'Israël de rentrer chez elles.
- Les forces israéliennes sont déterminées à intervenir. Dotées d'un équipement technologique de haut niveau, elles font face à un Hezbollah surarmé par l'Iran.
- Après neuf mois de conflit, Israël accuse le coup. L'économie tourne au ralenti. Personne n'a envie que cette guerre se prolonge.
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