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L'eau et le feu, symboles d'une amitié de trente ans

Thierry Tacheny et André Van Hecke, deux vieux complices qui ont fait les belles heures de l’audiovisuel belge.

Le boss du Cercle de Wallonie, André Van Hecke, et l’ex-patron de SBS, Thierry Tacheny, sont inséparables. Pourtant, tout a commencé par une relation de patron à subordonné.

Rencontrer André Van Hecke et Thierry Tacheny, c’est un peu retracer l’histoire des médias belges. Figures de proue du Landerneau médiatico-publicitaire depuis les années 80, les deux comparses sont intarissables, ressassant leurs vieux souvenirs et les nombreux coups qu’ils réalisèrent à une époque insouciante où tout, ou presque, semblait permis.

Au début des années 80, André Van Hecke 66 ans aujourd’hui — vient de quitter le bureau d’études de marché Sobemap (pour lequel il avait mis au point l’Audimétrie, le premier outil de mesure d’audience de la télévision) pour prendre la direction d’IP, la régie publicitaire de RTL (qui ne s’appelait pas encore TVI…), détenue par le géant Havas. Jeune trentenaire, formé à l’Ihecs, l’homme est entouré déjà d’une aura énorme. "Il était sorti de l’Ihecs avec la plus grande distinction et les félicitations du jury suite à son mémoire sur le média-planning; jeune étudiant en communication, je rêvais de faire un stage chez lui, se rappelle Thierry Tacheny, de dix ans son cadet. J’ai gratté aux portes et je me suis incrusté. C’est comme ça que j’ai fait sa connaissance."

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Le pied dans la porte

Le presbytère lasnois d’André Van Hecke

André Van Hecke nous reçoit dans son charmant presbytère, qu'il habite depuis plus de dix ans dans le hameau de Maransart, dans la très chic commune de Lasne. L'église est à deux pas. Une chapelle se terre au fond du jardin de 80 ares (photo). Une balançoire attend les 12 petits-enfants du maître des lieux, lui-même sept fois papa. "J'ai toujours rêvé de vivre dans un presbytère. J'ai acheté celui-ci en 2003. J'ai dû tout rénover. C'est du '18e de province', le charme de l'époque mais sans les ors. C'est une vraie maison de famille, idéalement située par rapport aux 3 antennes du Cercle de Wallonie." La maison, qui ne désemplit pas, accueille fréquemment Thierry Tacheny et son épouse: "Pas besoin de s'inviter, c'est spontané on passe l'un chez l'autre sans aucun formalisme", clament les deux copains.

Après ses stages, Tacheny commence à travailler en agence de pub. "Mais tous les soirs en rentrant du boulot, je m’arrêtais devant l’immeuble d’IP, avenue Lloyd George, en me disant: c’est là que je veux travailler, avec André". Sa persévérance est récompensée: il finit par être engagé au département marketing. C’est le début d’une longue histoire, empreinte d’abord de rapports professionnels, puis, très vite, de complicité qui se muera en amitié. "Au départ, c’est du travail, puis cela devient une vision partagée, des projets communs", témoigne André Van Hecke.

Mais si cette amitié va se développer c’est aussi parce que les deux hommes sont très complémentaires. André Van Hecke est créatif, volubile, et volcanique: "J’aime la provocation. Le politiquement correct est pompant et réducteur car il ne fait pas avancer les choses." Thierry Tacheny, lui, est d’un naturel plus réservé, réfléchi, analytique, pratiquant en outre un humour pince-sans-rire qui contraste avec les éclats de rire tonitruants de son comparse. "Il est mon garde-fou", dit de lui Van Hecke. "J’aime mettre des chiffres pour baliser la créativité", embraie Tacheny.

Le meilleur exemple de cette complémentarité, c’est la création de TVB en 1988. Pour soulager une RTBF très endettée, le gouvernement de la Communauté française lui autorise l’accès la pub. Pour ne pas léser la chaîne commerciale, RTL-TVI, les deux compères imaginent un système de partage des recettes pub: IP commercialise les espaces des deux chaînes par packages de trois spots (deux sur RTL, un sur la RTBF). Le système durera sept ans.

Mais parfois il arrive au tandem de se planter, comme lorsqu’ils ont imaginé des flashs infos toutes les heures sur RTL-TVI afin de multiplier les coupures publicitaires. "Comme on était en situation de monopole, on avait augmenté les tarifs et publié une plaquette un peu arrogante à destination des annonceurs intitulée ‘Incontournable’. Mais avec ces coupures, l’audience s’est effondrée de 25% du jour au lendemain. Les annonceurs étaient furieux et on a dû arrêter l’expérience", s’amusent-ils.

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Arrogance et générosité

À l’époque, la pub vit encore sur un nuage. La première Guerre du Golfe n’a pas encore eu lieu, Internet n’existe pas, c’est le règne de l’argent fou et les publicitaires, à l’instar d’un Jacques Séguéla, sont des demi-dieux, invités dans tous les shows télé. Les deux comparses sont à l’image de leur époque: "Pour les 50 ans d’IP, on avait affrété un Boeing et invité tous les patrons d’agence de pub au Maroc pour une sorte de chasse au trésor. Sur place à Ouarzazate, on avait mobilisé 4 hélicos, des 4X4, des motos. C’était à la fois de l’arrogance et de la générosité. Des anciens patrons d’agence m’en parlent encore. C’est un temps révolu: on ne fait plus ça", raconte, un brin nostalgique, André Van Hecke. "Il a fait la tambouille pendant 5 jours pour 150 personnes. Cela a permis de convaincre les derniers sceptiques qu’il aurait mieux fait de faire de la cuisine que des médias", raille Thierry Tacheny.

Cap sur Paris

Dans les années nonante, André Van Hecke est appelé à Paris. Son expertise lui vaut de prendre la direction de toutes les activités télé de la régie. Tout naturellement, il fait appel à son bras droit pour devenir directeur marketing du groupe. Là encore, le tandem va se montrer inventif avec la filiale Peaktime, qui développe des logiciels d’optimisation d’audience et d’achat de spots aux enchères en temps réel: "C’était révolutionnaire à l’époque, le marché n’y a pas cru; aujourd’hui, c’est monnaie courante sur l’internet", observe Thierry Tacheny.

Lorsque RTL rachète IP au début des années 2000, les deux hommes quittent le navire, non sans avoir organisé un dernier barnum sous forme de spectacle de cirque mis au point par les collaborateurs, réunissant 1.300 employés et cadres au Cirque d’hiver de Paris. Ils rachètent Peaktime, s’associent avec l’entrepreneur Christian Dumolin (Koramic) avant de revendre l’affaire au groupe anglais Netgem en 2003. André Van Hecke s’en va rejoindre Stéphan Jourdain au Cercle de Lorraine et Thierry Tacheny crée sa société de consultance en médias Divedia.

Phalanstère

Leurs chemins auraient pu se séparer là lorsque Thierry Tacheny apprend qu’un manoir est à vendre sur les hauteurs de la Meuse à Namur: "En sirotant un rosé, on s’est demandé ce qu’on pourrait en faire: et pourquoi pas un phalanstère, une communauté de vieux où chacun aurait son indépendance!", plaisante André Van Hecke. Ce sera l’antenne wallonne du Cercle de Lorraine, malgré les réticences de Stéphan Jourdain. Ces deux fortes têtes finiront par se disputer avant qu’André Van Hecke ne rachète les lieux pour y développer le Cercle de Wallonie. "J’avais trouvé les lieux et il s’en est même fallu de peu qu’on fasse ce cercle ensemble", révèle aujourd’hui Thierry Tacheny. "Oui, mais tu venais de commencer tes activités dans la télé interactive avant d’être débauché par les Flamands!", tonne son comparse en faisant allusion à l’arrivé de son ami chez SBS Belgique (les chaînes Vier et Vijf).

Aujourd’hui, les deux amis semblent inséparables. "On ne s’est jamais disputé; c’est exceptionnel", s’enthousiasment-ils. Leur amitié s’est solidifiée durant leur vie professionnelle mais aussi privée. "Cela fait trente ans qu’on part en vacances ensemble", raconte André Van Hecke. Pendant 10 ans, ils ont loué une maison en Grèce, sur l’île d’Ios, puis pendant quatre ans à Bali. "Des endroits où on refait le monde!" Quand André Van Hecke a acquis une maison en Provence, Thierry Tacheny et son épouse, l’avocate spécialisée en droit des médias Agnès Maqua, s’y sont rendus régulièrement. À présent qu’il l’a revendue (au patron d’HSBC…), il s’apprête à tester un nouveau point de chute estival en Toscane. Avec Thierry Tacheny, bien sûr: "Il n’a pas le choix, il doit venir! Et puis il a une femme bavarde dont je suis amoureux… J’attends qu’il meure!". "Moi aussi!, enchaîne Thierry Tacheny; on est comme des vautours…" Et les deux galopins de partir dans un énième éclat de rire…

3 questions à Thierry Tacheny

1. Que faites-vous si André vous appelle à 4 heures du matin en disant qu'il a un cadavre dans sa voiture?

J'arrive pour voir de qui il s'agit! Je vais l'aider et lui demander ce que je dois amener : des bottes, une tronçonneuse, un tuyau d'arrosage... Et puis, il y assez de chambres froides au Cercle de Wallonie pour entreposer un cadavre (rires).

2. Vous avez travaillé pour André Van Hecke. Quelle était votre relation?

A part au tout début, cela n'a jamais été une relation hiérarchique. C'est très vite devenu une sorte de ping-pong, motivée par l'expression un peu triviale: "Fuck the rules": on essayait de changer d'angle, d'être créatifs...

3. Quels sont ses qualités et ses défauts?

C'est un fonceur, un créatif, capable de marcher dans l'air. André, c'est aussi la générosité même : on ne peut pas lui dire non. C'est parfois démesuré. Il a donc les défauts de ses qualités : sa créativité est parfois excessive. Il n'est pas toujours nécessaire d'aller aussi loin et aussi fort. Or, rien ne va jamais assez vite pour lui, il est impatient. C'est un peu un despote éclairé mais c'est ça qui a fait bouger les choses.

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