Mohammed ben Salmane | Les 12 travaux du prince héritier
Âgé de 32 ans à peine, le prince héritier d’Arabie saoudite est devenu l’homme fort du royaume. Loin d’attendre sagement que son père lui laisse le trône, Mohammed ben Salmane s’est lancé dans une réforme en profondeur du pays. Objectifs poursuivis: se préparer à l’après-pétrole et offrir des perspectives d’avenir à la jeunesse saoudienne. L’homme privilégie la manière forte, ce qui ne semble pas trop déranger les investisseurs étrangers. catherine mommaerts
1. Devenir roi
C’est en 2015 que le monde fait la connaissance de Mohammed ben Salmane, le fils préféré du nouveau roi, Salmane ben Abdelaziz Al Saoud. Âgé de 29 ans à peine au moment où son père monte sur le trône, il est catapulté ministre de la Défense et président du Conseil des affaires économiques et de développement, deux postes clés. L’affaire ne fait aucun doute: le fils aîné de la troisième épouse du roi vient de doubler ses cousins et ses demi-frères aînés dans la marche vers le trône. Les choses se confirment en juin 2017.
Ben Salmane est alors désigné prince héritier en lieu et place de son cousin, Mohammed ben Nayef. On murmure dans l’entourage de la maison royale que le neveu du Roi avait perdu ses faveurs parce qu’il était accroc à la morphine et à la cocaïne. Une dépendance qu’il aurait développée pour soulager des douleurs liées à la présence d’un éclat d’obus dans son corps depuis une tentative d’attentat contre lui en 2009.
Mais il semblerait surtout que le roi Salmane a voulu privilégier son fils. Depuis, celui que l’on surnomme MBS, est d’ailleurs au cœur de tout ce qui se fait ou se défait dans le royaume alors que les rumeurs selon lesquelles son père se préparerait à abdiquer se multiplient.
2. Faire le ménage
Du 4 au 5 novembre 2017, l’Arabie saoudite a connu la plus grosse purge de son histoire, pourtant jalonnée de remaniements plus ou moins musclés. Pas moins de 11 princes, dont le chef de la garde nationale Mutaib bin Abdullah et le milliardaire Al-Walid ben Talal, sont arrêtés aux côtés de nombreux (anciens) ministres et hommes d’affaires. Officiellement, le roi Salmane vient de mener une vaste opération anticorruption. Officieusement, Mohammed ben Salmane, placé à la tête de la toute nouvelle Commission anticorruption, en profite pour faire le ménage autour du trône, histoire d’y placer sa propre cour de technocrates et de jeunes princes acquis à sa cause. Et tant mieux si la population a salué ce grand nettoyage comme le signe que les puissants ne seront désormais plus à l’abri d’une Justice réputée pour être plutôt expéditive.
3. Préparer l’après-pétrole
Avec des cours pétroliers végétant autour des 50-60 dollars/baril et un pic de la demande mondiale de pétrole attendu dans la prochaine décennie, l’Arabie saoudite n’a pas le choix: elle doit ôter sa perfusion d’or noir et se tourner vers d’autres sources de revenus. C’est le but premier de la "Vision 2030" présentée en avril 2016 par MBS et qui vise à tripler la part des exportations non-pétrolières du pays en moins de 15 ans.
D’autres objectifs se greffent sur ce plan qui s’inspire de "visions" déjà développées par les Emirats arabes unis et le Qatar. Hausse de la part du secteur privé, créations d’emplois, élimination progressive des subsides aux ménages et du déficit public (13% du PIB en 2016), mais aussi ouverture de la société saoudienne, voilà quelques-unes des autres finalités de "Vision 2030". Au prince héritier de concrétiser tout ça pour prouver qu’il est bien l’homme de la situation.
4. Écouter les jeunes
Pas moins de 70% de la population saoudienne a moins de 30 ans. Reliée au reste du monde via les réseaux sociaux où elle ose de plus en plus s’exprimer, cette jeunesse veut des divertissements et des perspectives d’avenir, ce qui passe notamment par des emplois, y compris peu qualifiés (et longtemps réservés aux étrangers). C’est précisément ce que propose MBS dans sa "Vision 2030". Mais ses promesses restent vagues et il va devoir les concrétiser au plus vite pour maintenir la paix sociale dont le pays a bénéficié pendant que d’autres étaient secoués par le printemps arabe.
5. Appliquer un islam moins strict
Le 24 octobre, le prince Mohammed ben Salmane jetait un pavé dans la mare en prônant le "retour à un islam du juste milieu, modéré" et en appelant à "détruire les idées extrémistes". Cela fait quelque temps que les autorités religieuses sentent le vent tourner dans le royaume wahhabite. En avril 2016, par exemple, le roi Salmane décrétait que la police religieuse ne pouvait plus procéder à des arrestations.
Les réformes voulues par MBS dans l’enseignement, la justice et la société, des domaines qui étaient jusqu’à présent dominés par les religieux, semblent inéluctables. Le clergé en est conscient. S’il continue à dénoncer les dangers liés à la musique, il ne l’interdit plus. Et quand le Prince décide d’autoriser l’ouverture de salles de cinéma, il ne bronche pas.
Mais MBS ne vise pas qu’à modérer l’islam. Il veut également en doper la dimension touristique. Son objectif est d’augmenter de 8 à 30 millions par an le nombre de pèlerins se rendant à Médine et à La Mecque en leur proposant de meilleures infrastructures, une plus large gamme de services et en facilitant les modalités d’obtention de visa.
6. Lâcher la bride aux femmes
A partir de juin 2018, les femmes pourront conduire en Arabie saoudite. Elles peuvent se rendre dans des stades depuis septembre 2017. En décembre 2015, elles ont pu participer pour la première fois à des élections municipales (comme électrices et candidates). Sous son règne, le roi Abdullah, le prédécesseur de l’actuel souverain, avait encouragé l’enseignement pour jeunes filles (la plus grande université pour femmes au monde se situe à Ryad) et élargi les secteurs dans lesquels les femmes peuvent postuler pour un emploi. Leur sort s’améliore petit à petit en Arabie saoudite.
Cela étant, il reste beaucoup à faire. Les Saoudiennes ont, par exemple, toujours besoin de l’accord de leur tuteur légal (un père, un mari, un frère) pour toutes leurs démarches et sont obligées de porter l’abaya dès qu’elles sortent de chez elles. Le fait que le pays ait rejoint la Commission de la condition de la femme des Nations unies en a d’ailleurs fait grimacer plus d’un(e). Mais MBS semble vouloir aller de l’avant comme l’indique le fait qu’il vise 30% de travailleuses sur le marché du travail d’ici 2030 (contre 22% actuellement).
7. Avoir le plus gros fonds souverain
L’Arabie saoudite veut mettre en vente 5% des parts du géant pétrolier Saudi Aramco au second semestre 2018. De quoi lever 100 milliards de dollars, espère-t-on à Ryad. Si l’Arabie saoudite se démène tant pour que l’Opep maintienne ses quotas de production, c’est notamment pour ça. Plus les cours de l’or noir seront élevés ou moins ils seront bas au moment de l’introduction en Bourse, plus cher sera valorisé Aramco et plus intéressante sera l’opération. Des investisseurs chinois se seraient montrés intéressés, mais la vente reste hypothétique.
Si l’opération aboutit, ses revenus viendront gonfler le fonds souverain saoudien ("Public Investment Fund" - PIF) appelé à dépasser en taille le fonds souverain norvégien. Enfin, c’est en tout cas l’objectif de MBS. D’autres projets de privatisation ont d’ailleurs été annoncés pour l’atteindre, comme la mise en vente partielle de l’aéroport international du roi Khaled à Ryad.
Des parts dans Uber
C’est que le PIF fait partie intégrante de la stratégie économique développée par le prince héritier dans "Vision 2030". Il doit servir de source de financement au développement de nouveaux secteurs de croissance et développer les investissements internationaux du pays. En juin 2016, le PIF décidait ainsi d’investir 3,5 milliards de dollars dans l’Américain Uber. En mai dernier, on apprenait qu’il participerait à un projet d’investissements de 40 milliards de dollars dans les infrastructures américaines. Et fin octobre, le fonds annonçait avoir signé un protocole d’entente avec le groupe Virgin de Richard Branson en vertu duquel il pourrait investir jusqu’à 1,5 milliard de dollars dans le développement des activités de Virgin Galactic (tourisme spatial) et de Virgin Orbit (lancement de satellites).
8. Bâtir une nouvelle Silicon Valley
Neom, quatre lettres pour résumer le rêve le plus mégalo de Mohammed ben Salmane: une cité de 26.000 km² qu’il souhaite bâtir sur les rives de la mer Rouge à un jet de pierre de la Jordanie et de l’Egypte. La vidéo promotionnelle de cette future Silicon Valley parle d’"une start-up de la taille d’un pays". Neuf secteurs d’activités sont appelés à s’y développer (des biotechs aux technologies digitales en passant par les médias et les énergies renouvelables). Neom aura également sa station balnéaire où hommes et femmes pourront librement barboter (les expats en tout cas). Coût prévu: 500 milliards de dollars.
9. Doper le made in Saudi Arabia
Pour se libérer du pétrole tout en inversant l’importance relative des secteurs public (prédominant) et privé et en créant des emplois, l’Arabie saoudite doit révolutionner son modèle économique. Fini de tout importer grâce aux pétrodollars, il faut produire à domicile via des partenariats avec les grands groupes internationaux et employer de la main-d’œuvre locale, deux objectifs au cœur de "Vision 2030".
Premier marché automobile du Golfe, l’Arabie saoudite abrite déjà plusieurs chaînes de montage de véhicules utilitaires dont sortent notamment des camions Mercedes et Volvo. Ryad encourage désormais les constructeurs automobiles à fabriquer des véhicules de tourisme sur le marché saoudien et les fabricants en amont de la chaîne à les suivre. Et les choses sont effectivement en train de bouger. En mars 2017, on apprenait par exemple que le Japonais Toyota, numéro un sur le marché automobile saoudien, envisageait une telle possibilité.
Le deal kalachnikov
Autre secteur clé: la défense. L’Arabie saoudite est le premier importateur d’armement au monde et MBS voudrait que cela change. Il veut porter à 50% la part d’armements "made in Saudi Arabia" (contre 2% actuellement). Pour y arriver, les autorités saoudiennes ont mis sur pied un groupe public d’armement appelé à créer 40.000 emplois. Ici aussi, il s’agira de travailler en partenariat avec des multinationales. Des accords ont notamment été signés avec l’américain Lockheed Martin pour l’assemblage d’hélicoptères Black Hawks, et avec l’agence russe Rosoboronexport pour la production de Kalashnikovs AK-103.
A chaque fois, ces accords s’accompagnent de contraintes en termes d’engagements de main-d’œuvre locale. Mais certains investisseurs étrangers se plaignent de ces quotas. Ils disent éprouver des difficultés à trouver du "middle management" local. Conscient du problème, MBS ambitionne de relever la qualité de l’enseignement, y compris universitaire, en Arabie saoudite et de mieux faire coller les programmes de formation aux besoins des industries de pointe.
10. Contrer l’Iran
Mars 2015, Mohammed ben Salmane, alors ministre de la Défense, monte une coalition internationale pour écraser la rébellion menée par les Houthis chiites contre les forces gouvernementales sunnites au Yemen voisin. Près de 9.000 personnes, essentiellement des civils, ont déjà perdu la vie dans ce conflit qui est en train de virer en nouveau Vietnam pour MBS. Et les critiques se font entendre jusque dans son royaume où certains ne comprennent pas l’entêtement du prince, d’autant que cette guerre coûte cher et que l’Arabie saoudite est accusée d’y faire de très nombreuses victimes civiles. Mais le Yemen est devenu le principal champ de bataille de la guerre larvée qui oppose l’Arabie saoudite à l’Iran chiite, et MBS compte bien la gagner.
Succès iraniens
La détermination du prince héritier est d’autant plus grande que l’Iran est en train d’asseoir sa position de puissance incontournable dans la région. Que ce soit en aidant le régime irakien à combattre l’Etat islamique ou en soutenant les opérations du Hezbollah libanais aux côtés des forces de Bachar el-Assad en Syrie (où les Saoudiens ont soutenu plusieurs groupements rebelles), Téhéran a habilement placé ses pions. Ce qui ne cadre évidemment pas avec les ambitions de Mohammed ben Salmane.
En novembre, Ryad tentait de reprendre les choses en main au Liban en séquestrant le Premier ministre libanais Saad Hariri et en l’obligeant à démissionner. On lui reprochait de vouloir ménager le Hezbollah dans un souci de stabilité intérieure. L’affaire a fait grand bruit, Paris allant jusqu’à interférer auprès de Ryad pour débloquer la situation. Hariri a finalement pu rentrer au Liban. Mais le malaise reste et les Saoudiens ne vont certainement pas en rester là.
11. Maintenir le Qatar isolé
Le Qatar et l’Arabie saoudite sont des royaumes wahhabites, mais ce n’est pas la garantie de bonne entente. Que ce soit à cause du soutien apporté par le Qatar aux Frères Musulmans (qualifiés de terroristes par Ryad) en Egypte, de la tribune dont jouissent les détracteurs du régime saoudien sur la chaîne qatarie Al-Jazeera, ou des relations qu’entretient Doha avec Téhéran, leurs relations se sont tendues ces dernières années. Ici aussi, MBS semble avoir poussé le roi Salmane à serrer la vis. Début juin, soutenu par les Emirats arabes unis, Bahreïn et l’Egypte, Ryad décrétait un boycott contre le Qatar. Parmi les motifs invoqués: le soutien du Qatar au terrorisme (Ryad n’a pas toujours été très regardant en la matière, pourtant) et ses relations avec l’Iran. Doha nie en bloc, mais s’est empressé de reprendre ses relations diplomatiques avec l’Iran (suspendues en janvier 2016, à la demande de Ryad).
12. Nouer de solides alliances
Fin 2015, Ryad lançait une coalition islamique anti-terroriste regroupant 34 pays (du monde arabe, d’Afrique noire et d’Asie) sous l’impulsion de MBS. Active au Yémen, elle a également participé à la lutte contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie. Forte aujourd’hui de 40 Etats, elle représente une alliance stratégique face à l’Iran.
Les liens unissant l’Arabie saoudite et les Etats-Unis sont également stratégiques. Basés essentiellement sur le pétrole et les armes, ils s’étaient distendus sous les administrations Bush fils (après les attentats du 11 septembre) et Obama (suite au conflit au Yémen et aux négociations nucléaires avec l’Iran). Depuis l’élection de Donald Trump, dont les critiques à l’égard de l’Iran ont tout pour plaire à Ryad, les relations semblent s’être réchauffées. MBS s’entendrait bien avec Jared Kushner, le beau-fils et conseiller de Trump, sur les questions israélo-palestiniennes. Kushner peut donc l’aider dans le rapprochement stratégique qu’il est en train d’opérer en douce avec Israël, sur le dos de l’Iran. A voir si ce rapprochement résistera aux tensions engendrées dans la région par la décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.
Équation russe
Mais ceux que les Saoudiens cherchent le plus à séduire, ce sont les Chinois, les plus gros importateurs de pétrole au monde. Et ce d’autant plus que la Russie vient de les doubler comme premier fournisseur de la Chine. La Russie, avec qui les relations sont tendues sur le front syrien (Moscou soutient le régime Assad aux côtés de Téhéran), mais qui reste leur principal interlocuteur lorsqu’il s’agit de limiter la production mondiale d’or noir.
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