Comment Trump a changé
le visage de Washington
Ce 6 novembre, les électeurs américains seront appelés aux urnes pour des élections de mi-mandat qui, même si elles ne seront pas un référendum sur les politiques de Donald Trump, en auront la couleur et le goût. L’Echo est allé à la rencontre de huit personnalités symbolisant huit thématiques du microcosme ultra-politisé de Washington DC histoire de voir si la présidence Trump y a réellement changé la donne.
Par Catherine Mommaerts - 30/10/2018 Développement: Benjamin Verboogen"Je m’inquiète pour mon statut de citoyen naturalisé américain"
Le 27 janvier 2016, Donald Trump fermait la porte des Etats-Unis aux réfugiés syriens et aux résidents de six autres pays majoritairement musulmans créant un chaos indescriptible dans les grands aéroports américains. Remanié, son « travel ban » a été confirmé par la Cour suprême des Etats-Unis l’été dernier.

Samer Khalaf
Président de la Commission antidiscrimination américano-arabe (ADC). Naturalisé américain, il est né à Damas de parents palestiniens et libanais.
Quel impact le «travel ban» a-t-il eu sur les activités de l’ADC?
Il a décuplé notre masse de travail. Au début, on a dû travailler 24 heures sur 24 pour répondre aux gens qui nous appelaient. Il faut savoir que cette nouvelle loi impacte bien plus de gens que ce que l’on pensait au départ. Elle ne se limite pas aux musulmans. Nous avons reçu des coups de fils d’Iraniens juifs et de Syriens chrétiens touchés, eux aussi. Et même si le texte prévoit des exceptions, 90% des demandes introduites ont été rejetées.
Vous sentez-vous menacé par les politiques de Trump?
Oui, je m’inquiète pour mon statut de citoyen naturalisé américain. Trump a en effet laissé entendre qu’il pourrait ordonner la réouverture de certains dossiers de naturalisation, voire révoquer la nationalité américaine à certaines personnes. L’administration ne pourra pas contrôler tous les dossiers et quelque chose me dit que ce n’est pas le dossier d’un Anglais naturalisé américain que l’on ira rechercher…
«Nous avons reçu des coups de fils d’Iraniens juifs et de Syriens chrétiens touchés, eux aussi, par le travel ban.» Samer Khalaf Président de la Commission antidiscrimination américano-arabe
Quels contacts l’ADC a-t-elle avec l’administration Trump?
L’administration Trump s’est isolée de tous les avis extérieurs. Nous ne sommes plus reçus que par des responsables du bas de l’échelle qui ne nous écoutent pas. Dans le passé, nous avions toujours maintenu des relations de travail avec les administrations successives, quel que soit le Président en place. Même après le 11 septembre 2001, à l’époque du président George W. Bush, nous avions accès aux responsables politiques.
"Le droit à l’avortement risque d’être remis en question"
Donald Trump est parvenu à placer Brett Kavanaugh à la Cour suprême. Le juge ultra-conservateur et accusé d’agression sexuelle a mobilisé contre lui des milliers de femmes galvanisées par le mouvement #MeeToo et inquiètes à l’idée qu’il puisse remettre en cause leur droit à l’avortement.

Alexandra De Luca
Attachée de presse d’Emily’s List, l’organisation féministe qui avait le plus activement soutenu Hillary Clinton en 2016 et a dépensé près de 40 millions de dollars pour les élections de mi-mandat.
Quelles politiques de Trump ont été les plus néfastes pour les femmes jusqu’à présent?
Le pire qu’il ait fait, avec les républicains du Congrès, c’est essayer de se débarrasser de l’Obamacare. Le soulagement a été énorme quand la proposition de loi allant dans ce sens a été rejetée grâce à la voix du sénateur républicain John McCain. Mais les femmes n’ont pas oublié. Les élus républicains qui ont voté pour abroger l’Obamacare seront dans leur viseur le 6 novembre.
Pensez-vous qu’avec Brett Kavanaugh à la Cour suprême le droit à l’avortement soit menacé?
J’en suis persuadée à 100%. Trump a menti au sujet de beaucoup de choses, mais pas de tout. Il a dit qu’il interdirait l’entrée des Etats-Unis aux musulmans de plusieurs pays, il l’a fait. Il a promis d’interdire les transgenres dans l’armée américaine, il a essayé de le faire. Il a promis qu’il ferait nommer à la Cour suprême des juges opposés au droit à l’avortement, il l’a fait. Il suffit désormais qu’un des recours introduits devant les tribunaux américains en faveur ou contre l’avortement aboutisse devant la Cour suprême pour que ce droit risque d’être remis en question.
«Le soir, je vais me coucher en paix avec moi-même car je sais que j’ai fait quelque chose pour lutter contre les politiques néfastes de Trump.» Alexandra De Luca Attachée de presse d’Emily’s List
Comment vivez-vous cette présidence?
Mes amis, qu’ils soient démocrates ou républicains modérés, se désespèrent en se demandant ce qu’ils peuvent faire pour changer les choses. Moi, j’ai la chance d’y travailler tous les jours. Le matin, je me lève fâchée, et le soir, je vais me coucher en paix avec moi-même car je sais que j’ai fait quelque chose pour lutter contre les politiques néfastes de Trump.
"Il faut faire la part des choses entre les grandes envolées de Trump et la réalité du terrain"
Donald Trump est parti à l’assaut des traités commerciaux qu’il juge non bénéfiques aux Etats-Unis. Il s’est également engagé dans une guerre commerciale sans précédent avec la Chine et menace régulièrement de taxer les exportations européennes vers son pays.

Stacy Ettinger
Directrice au sein du Trans Atlantic Business Council (TABC), une organisation active des deux côtés de l’Atlantique. Elle a défendu les intérêts commerciaux des Etats-Unis pour le compte des administrations Clinton, Bush (fils) et Obama.
Etes-vous inquiète des menaces commerciales exprimées par le président Trump?
Elles sont néfastes aux relations que nous avons avec nos proches alliés. Je comprends d’ailleurs qu’ils se montrent mécontents. Mais, il faut faire la part des choses entre les grandes envolées de Trump et la réalité du terrain. Il y a des entreprises américaines et des membres de l’administration Trump qui veulent maintenir des relations proches avec l’Union européenne. Et même si beaucoup de nos entreprises estiment que Trump a mis le doigt sur des problèmes bien réels, d’autres s’inquiètent des dommages collatéraux que cela cause sur le climat des affaires.
Est-ce la première fois qu’un président américain adopte de telles politiques protectionnistes?
C’est très inhabituel, en effet. Mais il ne faut pas tomber dans le stéréotype selon lequel les républicains sont favorables au libre-échange et les démocrates ne le sont pas. Cela fait 30 ans que je travaille dans le domaine des politiques commerciales, et s’il y a bien un domaine dans lequel il n’y a pas vraiment de clivages politiques, c’est le commerce.
«Beaucoup de nos entreprises estiment que Trump a mis le doigt sur des problèmes bien réels.» Stacy Ettinger Directrice (TABC)
Il y a des divergences de vues au sein même de la Maison-Blanche en ce qui concerne la manière dont il faut gérer les dossiers commerciaux. Cela vous étonne-t-il?
Dans toutes les administrations, il y a des divergences. C’est quelque chose de normal et de nécessaire. Le président doit être confronté à différentes opinions avant de prendre ses décisions. Maintenant, c’est vrai que les divergences qu’il y a au sein de cette administration sont plus visibles. Les médias sociaux n’y sont pas étrangers, ni le fait que certains membres de l’équipe Trump ne sachent pas tenir leur langue.
"Je doute que Trump partage l’opinion du Ku Klux Klan"
Donald Trump a fait sauter les verrous des discours racistes, donnant par la même occasion un nouveau coup de fouet à la cause noire. Les gestes contestataires et les appels au devoir de mémoire se sont multipliés depuis son élection.

Frank Smith
Fondateur du musée afro-américain de la guerre de sécession et activiste engagé depuis le début des années 60, lorsqu’il s’est battu pour le droit de vote des Noirs dans l’Etat du Mississippi.
Pensez-vous que le président Trump soit raciste?
Je ne pense pas qu’il le soit. Le Ku Klux Klan et les néonazis tiennent des discours suprémacistes. Je doute que Trump partage leurs opinions. Mais il a bâti sa campagne sur ce qu’il appelle la faction conservatrice du Parti républicain et que j’appelle sa faction raciste. Et je trouve que le simple fait qu’il soit prêt à soutenir en public le KKK et les suprémacistes blancs est dangereux.
La communauté noire de Washington se sent-elle menacée par la présidence Trump?
Non. Nous avons une communauté noire bien établie à Washington. C’est ici que l’on retrouve le plus d’Afro-Américains de la classe moyenne. Je ne pense pas que les piliers de cette communauté soient ébranlés par ce Président. Je pense aussi que beaucoup de Blancs comprennent ce que la communauté noire a apporté au pays, que ce soit au niveau de l’économie, de la culture, de la musique ou du sport.
«Ils sont combien de sportifs et d’artistes noirs à encore se faire contrôler au volant de voitures de luxe juste parce que des policiers blancs trouvent cela louche?» Frank Smith Fondateur du musée afro-américain
Certains blancs sensibles à la cause noire critiquent l’action du footballeur Colin Kaepernick. Qu’en pensez-vous?
Colin Kaepernick a choisi de mettre un genou à terre pendant l’hymne national pour dénoncer les brutalités policières à l’encontre des Noirs, des brutalités dont il est lui-même victime. Je ne le juge pas. Ils sont combien de sportifs et d’artistes noirs à encore se faire contrôler au volant de voitures de luxe juste parce que des policiers blancs trouvent cela louche? Kaepernick a payé cher le prix de son geste en se faisant exclure de la National Football League. Il s’est sacrifié comme tant d’autres défenseurs de la cause des droits civiques.
"Les journalistes dépassent parfois les bornes en s’en prenant au président sur Twitter"
Il ne se passe quasi pas un jour sans que le président Trump accuse un journal ou une chaîne d’informations continues de colporter les pires mensonges à son sujet. Sous pression, certains journalistes en oublient leur devoir de neutralité.

Nick Johnston
Rédacteur en chef d’Axios et ex-correspondant de Bloomberg à la Maison-Blanche. Créé en 2016 par d’anciens de Politico, Axios s’est imposé comme le site d’informations le plus percutant de l’ère Trump.
Quelles sont les relations d’Axios avec la Maison-Blanche?
Quand la Maison-Blanche aime nos articles, elle nous aime. Quand elle n’aime pas nos articles, elle ne nous aime pas. Trump a de mauvaises relations avec certains médias. Mais je pense que c’est du show et que ça arrange certains de ces médias. Puis, les journalistes dépassent parfois les bornes en s’en prenant au président sur leur compte Twitter. Or, chaque mauvais tweet, chaque commentaire odieux, peuvent être utilisés contre nous. C’est quelque chose à quoi je suis très attentif au sein de ma rédaction.
Les médias américains semblent obnubilés par les moindres mouvements de Trump…
Parfois, c’est franchement exagéré. Comme le jour où les médias se sont enflammés parce qu’il avait du papier toilette collé à sa chaussure au moment de monter à bord d’Air Force One. Ce genre de chose détourne l’attention du public par rapport à d’autres sujets bien plus importants comme l’intelligence artificielle, la santé, le changement climatique.
«A la Maison-Blanche, tout le monde divulgue secrètement des informations à la presse, y compris le président lui-même.» Nick Johnston Rédacteur en chef d’Axios
Il y a énormément d’informations qui fuitent de la Maison-Blanche vers la presse. Aviez-vous déjà connu cela?
A la Maison-Blanche, tout le monde divulgue des informations à la presse, y compris le président lui-même. Certains vont jusqu’à orchestrer des fuites pour nuire à leurs collègues ou pour saboter une politique avec laquelle ils ne sont pas d’accord. Sous la présidence d’Obama, son équipe était soudée et lui était extrêmement loyale. Ils ne se tiraient pas dans les pattes et ils n’ont jamais dévoilé d’anecdotes indiscrètes au sujet d’Obama.
"Nous avons déjà passé trop de temps à combattre le sauvetage des centrales à charbon"
Depuis qu’il est arrivé à la Maison-Blanche, Donald Trump s’est évertué à détricoter les politiques climatiques et énergétiques de l’administration Obama tout en essayant de relancer la filière du charbon «Made in USA».

Nick Loris
Economiste spécialiste des questions énergétiques et environnementales à la Heritage Foundation, le think tank conservateur le plus puissant de Washington DC. Et le plus proche de la Maison-Blanche.
Était-ce vraiment nécessaire de claquer la porte de l’accord de Paris sur le climat comme l’a fait Trump?
Oui, cet accord n’est bon ni d’un point de vue économique ni environnemental, et il n’est même pas efficace. Il ne prévoit aucune sanction pour les pays qui ne s’y plieraient pas. En outre, la Chine et l’Inde sont soumis à des contraintes plus souples et peuvent donc continuer à polluer. Cela étant, je pense que c’est contreproductif de prétendre que le changement climatique est un «canular», comme Trump l’a fait dans le passé.
Que pensez-vous des efforts déployés par Trump pour relancer la filière charbon?
Je n’y suis pas favorable. Nous avons déjà passé trop de temps à combattre le sauvetage des centrales à charbon. Si le charbon avait un avantage économique sur les autres sources d’énergie et n’était pas néfaste à l’environnement, nous n’aurions aucun souci à l’idée de le voir se développer davantage. Mais ce n’est pas le cas. Il ne peut concurrencer ni le gaz naturel, ni les énergies renouvelables, ni le nucléaire.
«Ce n’est pas au gouvernement d’imposer des normes d’économie de carburant. C’est aux consommateurs de décider s’ils veulent acheter des voitures moins polluantes.» Nick Loris Economiste spécialiste
Qu’est-ce-qui vous a jusqu’à présent le plus satisfait dans les politiques de Trump en matière énergétique ou environnementale?
L’abrogation de réglementations datant de l’administration Obama. Nous sommes opposés à toutes les normes gouvernementales fixées arbitrairement. Ce n’est par exemple pas au gouvernement d’imposer des normes d’économie de carburant. C’est aux consommateurs de décider s’ils veulent acheter des voitures moins polluantes et s’ils sont prêts à payer plus cher pour ça.
"Trump m’a fait sortir de ma bulle élitiste et progressiste"
Siège de l’une des plus prestigieuses universités américaines, le quartier historique de Georgetown attire de nombreux intellectuels et politiciens. C’est ici que s’est ouvert, en avril dernier, le très select The Wing, premier espace de coworking 100% féminin de la capitale fédérale.

Karin Tanabe
Journaliste et auteure américaine d’origine belgo-japonaise ayant établi ses pénates à The Wing. Son livre, “The Gilded Year”, retraçant l’histoire de la première étudiante noire de l’université de Vassar, va être adapté au cinéma. Sortie prévue en 2019.
Qu’avez-vous ressenti lorsque Donald Trump a été élu?
Cela a été la douche froide. J’ai pleuré pendant trois jours. Il faut dire que j’avais fait campagne pour Hillary Clinton en Virginie. En plus, je venais d’accoucher de ma fille et j’espérais pour elle qu’une femme soit enfin élue à la présidence des Etats-Unis. Cette tristesse s’est ensuite transformée en colère.
Pensez-vous que les écrivains doivent prendre ouvertement position au sujet du président Trump?
Certains écrivains prétendent que si l’on se tait, on se rend complice des politiques de Trump. Je n’irais pas jusque-là. J’éprouve des difficultés à exprimer ouvertement mes opinions politiques. Et je comprends que des personnes travaillant pour certaines organisations aient à rester neutres. Mais dès que Trump s’est mis à attaquer le droit des femmes et à parler d’elles de façon méprisante, j’ai ressenti le besoin d’exprimer ouvertement mon désaccord, d’aller manifester. J’ai également ressenti une plus grande envie d’écrire l’histoire de personnages féminins à la personnalité forte et complexe.
«J’ai également ressenti une plus grande envie d’écrire l’histoire de personnages féminins à la personnalité forte et complexe.» Karin Tanabe Journaliste et auteure
Quel impact la présidence Trump a-t-elle eu sur votre vie?
Trump m’a fait sortir de ma bulle élitiste et progressiste. Il m’a fait m’intéresser aux raisons qui ont poussé tous ces gens à voter pour lui. On ne peut évidemment pas dire que la moitié des électeurs américains soient de mauvaises personnes. Je pense que le Parti démocrate ne s’est pas suffisamment intéressé aux habitants des zones rurales. Ce sont des gens qui ont toujours été méprisés et mal compris par les habitants de la côte est et de la côte ouest. Mon mari est originaire d’une petite ville du Nebraska et il a bien connu cela.
"Les étudiants républicains se sentent plus à l’aise pour s’exprimer en public"
Il ne fait pas bon exprimer des opinions conservatrices sur les campus des grandes universités américaines. Mais, depuis l’élection de Trump, les étudiants républicains de l’université George Washington, l’une des plus politisées du pays, se sentent plus libres de parler.

Caroline Hakes
Etudiante en journalisme et en politique internationale. Elle est chargée des relations publiques du groupe des étudiants républicains de l’université George Washington (GWU).
Les étudiants républicains de GWU soutiennent-ils tous le président Trump?
Certains étudiants républicains du campus ne sont pas d’accord avec ses politiques. Mais les divergences étaient plus importantes pendant la campagne. Une fois que Trump a été élu, les étudiants de GWU ont eu tendance à s’aligner derrière lui et à se montrer plus enthousiastes. Et ils se sentent plus à l’aise pour s’exprimer en public. Il faut en effet un certain courage pour exprimer des opinions conservatrices dans une université américaine.
En tant qu’étudiante en journalisme, que pensez-vous de la manière dont les médias américains couvrent la présidence Trump?
Ils ne sont pas objectifs. Mais, il faut admettre que le président Trump communique très mal les bienfaits de ses politiques. Au lieu de vouloir à tout prix monopoliser le flux d’actualités, il devrait davantage réfléchir à comment mieux communiquer. Et les médias devraient arrêter de penser que chacun de ses tweets est une breaking news.
«Trump communique très mal les bienfaits de ses politiques.» Caroline Hakes Etudiante
Quelle politique de Trump a eu un impact positif sur votre famille?
Sa réforme fiscale. Grâce à elle, mes parents ont vu leurs impôts baisser. Mon père est promoteur immobilier et son entreprise a également profité des baisses d’impôts. Au final, mes parents ont plus d’argent en poche à la fin du mois. Cela tombe bien parce que mes deux jeunes frères iront bientôt à l’université, eux aussi!