Ces jeunes qui prennent le pouvoir
Ils s’appellent Bouchez, Rousseau ou Maouane. N’ont pas trente ans, ou à peine, et montent à l’assaut des principaux partis belges. Comment expliquer la vague de rajeunissement que connaît le monde politique? Ravalement de façade ou mutation profonde? Et que cela augure-t-il pour demain?
Il souffle comme un petit vent frais à la tête des partis politiques belges. Ce vendredi, Georges-Louis Bouchez a emporté la présidence du Mouvement réformateur. Le voilà à la tête d’un des principaux partis francophones, à 33 ans. Ce qui ne lui permet toutefois pas d’empocher le titre de plus jeune président; Conner Rousseau est passé par là, prenant, début du mois, les rênes d’un sp.a aux abois, à seulement 26 ans. Il y a Sammy Mahdi, aussi, qui, du haut de ses 31 ans, reste en lice pour succéder à Wouter Beke à la tête de l’ancien parti roi de Flandre, le CD&V. En septembre dernier, il y a eu Rajae Maouane, encore, consacrée coprésidente d’Ecolo alors que son compteur personnel n’affiche que 30 printemps. Et puis, difficile de l’occulter, il y eut, en 2014 déjà, Tom Van Grieken pour ouvrir la voie, reprendre à son nom et moderniser le fonds de commerce raciste du Vlaams Belang, avec un succès certain dans les urnes.
Que se passe-t-il? La jeune génération ferait-elle main basse sur les principaux leviers de pouvoir belges? Faut-il y voir une petite révolution? Les retombées de ce qui s’apparenterait à un climat de jeunisme ambiant? Une évolution naturelle? On a tenté de faire le point.
Plus jeunes et plus nombreux
Il n’y a jamais eu autant d’aussi jeunes en même temps.
Cela commence par une petite séance de mise en contexte, afin de relativiser un brin. Des nouvelles têtes, il en arrive sans cesse, en politique. Notamment par le biais des élections, grandes ordonnatrices du va-et-vient au sein des parlements. "Le scrutin de 2019 a œuvré à un grand renouvellement, c’est certain, note Régis Dandoy, politologue à l’ULB. De nouveaux partis, des fins de carrière accélérées et un certain rajeunissement." Pour autant, il n’est pas courant de voir autant de "jeunes" à ce niveau de responsabilité, confesse le politologue Vincent Laborderie (UCLouvain).
Ne nous méprenons pas. De jeunes présidents ou présidentes, cela s’est déjà vu, en nos contrées. Prenez Guy Verhofstadt, arrivé à la présidence du PVV (futur Open Vld) à 29 ans. Caroline Gennez, Charles Michel, Wouter Beke ou encore Joëlle Milquet: ils avaient tous entre 30 et 40 ans au moment de s’asseoir dans le fauteuil du "boss". La différence, c’est qu’ils sont actuellement plus jeunes, et plus nombreux. "Il y a un faisceau", pointe Régis Dandoy. "La situation est exceptionnelle", renchérit Vincent Laborderie. "Il n’y a jamais eu autant d’aussi jeunes en même temps", ramasse Caroline Close, professeure en science politique à l’ULB (Charleroi).
Un fameux concours de circonstances
Comment expliquer ce phénomène? Par un fameux concours de circonstances, pointe Régis Dandoy. Une multitude de facteurs, venus se renforcer les uns les autres. "Déjà, nous sortons d’un cycle électoral intense, note Caroline Close. Des scrutins à tous les niveaux de pouvoir, auxquels se sont greffées des élections internes dans presque toutes les formations politiques, donnant l’impression d’un grand chambardement, surtout que peu de présidents étaient candidats à leur propre succession." Circonstances essentiellement subies par les partis, ces "organisations conservatrices, qui s’imprègnent difficilement d’idées nouvelles", estime Régis Dandoy.
Mais pour un Bouchez, combien de jeunes sacrifiés? Ils sont nombreux, ceux qui se sont lancés, pleins d’espoirs. Et qui en sont sortis frustrés et désabusés.
Certes, certaines formations politiques ont effectué un grand exercice d’introspection, se rendant compte du lien distendu, si pas brisé, avec la jeune génération et de la nécessité vitale de le resserrer, ou raccommoder. Mais elles ne se sont pas délibérément secouées afin de placer des jeunes pousses à leur tête, à l’exception, peut-être, d’Ecolo, qui a l’habitude de jouer le tandem "expérience-jeunesse" dans les duos dont il se dote. "Il ne faut pas y voir du jeunisme." Parce que, même si le rajeunissement de la classe politique peut constituer l’une des clefs pour déminer la crise de la représentation qui rôde à nos portes, "être jeune constitue toujours un fameux handicap au sein des partis".
Georges-Louis Bouchez, tenez, puisqu’il tient son heure de gloire. Même si les barons libéraux l’ont adoubé durant la campagne – à moins qu’ils n’aient plié le genou devant lui –, l’ex-trublion devenu président n’est pas arrivé au sommet parce que la voie était tracée pour lui, parce qu’il était, dès le départ, le dauphin désigné. "Il s’est fait à la force du poignet et s’est battu pour créer sa place." Intelligence politique, opportunisme, audace et coïncidences – ah! l’art mystérieux d’être là au bon endroit et au bon moment – ont fait le reste. "Mais pour un Bouchez, combien de jeunes sacrifiés? Ils sont nombreux, ceux qui se sont lancés, pleins d’espoirs. Et qui en sont sortis frustrés et désabusés. Ce qui se passe ici est donc très intéressant, puisqu’une fenêtre d’opportunité s’est ouverte, permettant de rebattre les cartes."
Des partis en crise
Un parti qui se maintient ne change pas de leader.
Si les partis ne se sont pas démenés pour en arriver là, leur état a par contre grandement aidé. Bien sûr, tous ne le sont pas, mais beaucoup de partis dits "traditionnels" – même si l’appellation est aussi bancale qu’usée – sont K.-O. debout. À différents stades, s’entend bien. "Le sp.a traverse une véritable crise existentielle", glisse Vincent Laborderie. Initialement stable, son électorat s’est évaporé au fur et à mesure. Et le parti s’est encore mangé une claque électorale en 2019, tout comme le CD&V, qui décline inexorablement au fil du temps. Pour le MR, la désillusion électorale est moins profonde, même si cette année, les bleus ont laissé pas mal de sièges dans la bataille.
En crise, donc, à des degrés divers. Ce qui instaure une atmosphère propice aux remaniements. "Un parti qui se maintient ne change pas de leader", résume Régis Dandoy. Vous connaissez ce classique: on ne change pas une équipe qui gagne. Ou du moins, ne perd pas (trop). Avec, en, corollaire, le risque de se retrouver, un jour, avec une direction vieillissante. Par contre, des résultats en berne, il n’y a rien de tel pour vous accentuer la pression en interne.
Au sp.a aussi, aucun candidat naturel ne se détachait. À ce petit jeu, tout le monde peut tenter sa chance, en ce compris des plus jeunes.
Un vide de pouvoir
Ajoutez à cela le vide de pouvoir auquel ces partis en crise sont confrontés, et qui découle de ladite crise. "Aucun leader ne s’impose naturellement, analyse le politologue Nicolas Bouteca (UGent). Au CD&V, règne une sorte de doux chaos. Qui détient le pouvoir? Ce n’est pas très clair. Auparavant, les élections pouvaient se montrer téléguidées, avec en général un dauphin, candidat de l’establishment." Là, les jeux sont nettement plus ouverts; ils étaient sept sur la ligne de départ. "Au sp.a aussi, aucun candidat naturel ne se détachait. À ce petit jeu, tout le monde peut tenter sa chance, en ce compris des plus jeunes." Situation proche au MR, avec Charles Michel et Didier Reynders ayant fait leurs valises, et un Willy Borsus attendu, mais qui ne se lance guère, préférant rester ministre wallon.
Vide de pouvoir, et ce sentiment diffus qu’il faut renouer avec les citoyens, et surtout les plus jeunes d’entre eux. "À Bruxelles, le MR a eu du mal à séduire les jeunes", rappelle Nicolas Bouteca. Au CD&V, la situation est encore plus préoccupante. "Environ 50% de ses membres sont âgés de plus de 65 ans! Et ses électeurs ne sont pas radicalement plus jeunes." De quoi instiller l’idée que la jeune génération pourrait constituer un solide atout dans cette lutte, cette reconquête. "L’exemple du Vlaams Belang est là pour le montrer." À 28 ans, Tom Van Grieken hérite d’un Belang lessivé, menacé de disparaître des radars et siphonné par la N-VA. En quelques années à peine, cet as de la communication investit les réseaux sociaux, cible la jeunesse et fait revivre sa formation dans les urnes.
Un mode de scrutin plus démocratique
Le dégagisme s’exprime plutôt à l’encontre de certains partis, favorisant les extrêmes, à gauche comme à droite.
D’autres facteurs ont encore joué. Comme le mode d’élection. "Dans les années 1990, le poids des fédérations se faisait nettement plus sentir lorsque se jouait la présidentielle interne, indique Caroline Close. Depuis, le mode de scrutin s’est démocratisé, rendant le pouvoir aux membres. Le fait que se tiennent à présent de ‘vraies’ élections n’est pas sans impact. Surtout que la manière de mener campagne a évolué, notamment grâce à l’irruption des réseaux sociaux, faisant peser la balance en faveur des plus jeunes candidats. Ces réseaux ont bouleversé la manière dont les campagnes électorales se déroulent en Belgique, en mettant à disposition des outils permettant de cibler ses messages, et de viser notamment les plus jeunes. Eh bien, ils ont joué le même rôle à l’occasion des campagnes internes, permettant à chaque candidat de façonner son propre mode de communication."
À la marge, a sans doute joué également le fait qu’aucun round électoral ne se profile avant quatre ans et demi – enfin, normalement. Ce qui laisse le temps de se chercher et, aux moins expérimentés, de trouver leurs marques et se faire les dents. "Dans quatre ans et demi, ces jeunes seront déjà moins jeunes, sourit Régis Dandoy. Et les plus âgés le seront davantage."
L'atout d'avoir un profil "vierge" en politique
Et la crainte du "dégagisme" là-dedans, autrement dit le ras-le-bol, supposé ou réel, du citoyen confronté aux éternelles mêmes têtes? Aurait-elle également mis son grain de sel dans l’affaire? Ce n’est pas sûr, estime Régis Dandoy. "Le dégagisme s’exprime plutôt à l’encontre de certains partis, favorisant les extrêmes, à gauche comme à droite. On le voit aussi dans les voix de préférence: on n’observe guère de raz-de-marée en faveur de jeunes élus que les partis n’ont pas placé en ordre utile sur leurs listes." La preuve en est avec Georges-Louis Bouchez, relégué à une "place de combat" par le MR, et ayant raté son entrée à la Chambre en mai dernier.
La voilà donc résumée, cette conjonction de circonstances ayant mené à l’avènement massif d’une nouvelle génération, et dans laquelle les formations politiques ont joué, en règle générale, une partition plutôt passive. Avant d’envisager ce que cela signifie pour la suite des opérations, de voir en quoi cela risque d’influer sur le cours de la politique belge, profitons-en pour placer un petit bémol. L’âge n’est pas tout. "Le côté ‘virginal’ n’est pas à négliger, pense Régis Dandoy. Les 26 ans de Conner Rousseau ne sont pas tout. Ce qu’il y a aussi, c’est que son profil est vierge. Il ne peut en rien être tenu responsable des défaites successives des socialistes flamands. Doté de ce caractère virginal, il aurait très bien pu avoir 40 ans et tout de même empocher la mise."
À présent, on peut être journaliste un jour, et bombardé tête de liste le lendemain.
Un autre rythme de carrière politique
Reste à savoir ce que cette cure de rajeunissement signifie pour le jeu politique belge. Évidentes, des premières conclusions s’imposent – n’oublions pas que les présidents de partis sont "surpuissants" en Belgique. Voilà toute la notion de carrière politique redéfinie. "Avant, il fallait parfois dix ans de loyaux services au sein du parti pour espérer décrocher une tête de liste, rappelle Nicolas Bouteca. Ou avoir œuvré au sein d’une organisation en lien avec le parti, comme un syndicat ou une mutuelle. Et la progression était linéaire: on entrait d’abord dans un parlement, avant de peut-être devenir ministre. À présent, on peut être journaliste un jour, et bombardé tête de liste le lendemain."
Le style de communication politique s’en ressentira aussi, inévitablement. "Cette nouvelle génération a tendance à s’exprimer de façon peut-être plus forte, plus claire. Usant d’une sorte de ‘parler- vrai’, plus attrayant pour les jeunes." Attention toutefois à ne pas confondre jeune et moderne: ils ne sont pas toujours alignés. "Cela dépend fortement de la personnalité concernée", relève Régis Dandoy. Jeune et conservateur n’ont rien d’antinomiques. Peut-on ainsi estimer que la présidence de Wouter Beke s’est avérée particulièrement moderne? "Il est possible aussi que les thèmes mis sur la table évoluent, pronostique Nicolas Bouteca. Peut-être moins de communautaire et davantage de climat."
Une mutation politique profonde
Nous allons assister à une personnalisation accrue de la politique. Avec une transformation des partis belges, amenés à passer de vieux paquebots à des plateformes de lancement de personnalités.
Il se pourrait toutefois que la mue soit plus profonde, et ne se limite pas à un (énième) ravalement de façade. "On sent que la politique est en train de muter, tranche Vincent Laborderie. On le voit un peu partout, et la Belgique a dix ans de retard en la matière. Qu’il s’agisse de Trump, des partisans du Brexit ou du Vlaams Belang, ce sont les populistes qui ont compris et intégré la meilleure façon de faire usage des réseaux sociaux." "Ce mouvement s’accompagne d’un changement, enchaîne Nicolas Baygert. Prenez Rajae Maouane: elle porte sa jeunesse en étendard. Et Conner Rousseau, même s’il s’inscrit dans une certaine continuité puisque sa mère était bourgmestre, parle de la nécessité d’un électrochoc."
Ce qui nous attend, anticipe le professeur de communication politique (ULB, Ihecs et Sciences Po), c’est ce qui est déjà à l’œuvre dans d’autres pays, notamment en Autriche. "On voit la profonde transformation imprimée par Sebastian Kurz, qui a fait basculer sa formation de parti conservateur classique à une entité centrée sur les enjeux liés à sa propre personnalité. Nous allons assister à une personnalisation accrue de la politique. Avec une transformation des partis belges, amenés à passer de vieux paquebots à des plateformes de lancement de personnalités." Façon "En Marche", en quelque sorte. "Ainsi que des ‘hubs’, des carrefours d’idées. Au sein desquelles il ne faudra plus passer par de vastes ‘chantiers des idées’en interne, qui ne débouchent tout de même pas sur des ruptures programmatiques, afin d’évoluer. Les questions et débats vivant à l’extérieur du parti devront être plus vite absorbés."
Des structures plus poreuses, malléables et manœuvrables. Exposées, par la force des choses, au risque de devoir se réinventer à chaque fois qu’une personnalité s’efface – un peu comme le DéFI de l’après-Maingain. Et davantage dépendantes du niveau d’expérience de la présidence. "C’est une question et un risque, pose Nicolas Bouteca. Quelle sera la ‘solidité’ de la nouvelle garde lorsqu’elle se retrouvera en négociations face à un fin renard comme Bart De Wever? Entre jeunesse et expérience, l’équilibre n’est guère aisé à trouver."
Tess Minnens, nouvelle présidente des Jong Vld
Tess Minnens, 27 ans, est la nouvelle présidente des Jong Vld, l'organisation des jeunes libéraux flamands. La jeune femme, originaire de Deinze, a été élue avec 62,2% des suffrages.
Engagée depuis 2011 dans la gestion quotidienne des Jong Vld, elle conduira désormais cette organisation pour les deux prochaines années.
L'objectif affiché par la nouvelle présidente est de permettre aux jeunes libéraux d'avoir un impact plus important sur le débat sociétal et sur l'Open Vld.
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