Alone in the dark
Les libéraux francophones vont devoir recruter des centaines de collaborateurs pour remplir leurs cabinets ministériels au fédéral. Seul parti francophone, encerclé par trois partis flamands rompus à la négociation, le MR a-t-il les reins assez solides pour résister et marquer des points dans ce qui reste la Champion’s league de la politique belge?
Ace stade, ce n’est plus du recrutement artisanal, c’est du travail à la chaîne, de la véritable embauche industrielle à laquelle vont devoir se livrer les libéraux francophones.
Pensez donc: alors que les voyants de la coalition de droite (suédoise) passent progressivement au vert les uns après les autres et que la piste d’atterrissage est en vue pour les copilotes Charles Michel et Kris Peeters, le MR va devoir composer six à sept cabinets ministériels selon que les libéraux francophones disposent ou non du poste de Premier ministre. Quoi qu’il en soit, c’est énorme c’est au bas mot (fourchette très basse) 300 personnes dispersées dans des cabinets, dont une bonne partie de nouvelles recrues qui vont devoir rejoindre la machine bleue. Une marée. Seul parti francophone à la table du gouvernement fédéral, le MR va profiter du banquet jusqu’à satiété. En solo.
400 personnes ont passé un examen de recrutement du MR, mais il existe aussi un listing de fonctionnaires étiquetés libéraux.
C’est un problème de riches, me direz-vous. Ce n’est pas faux. Mais c’est un problème quand même. Car qui imagine, aujourd’hui, la difficulté, le mur de difficultés, devant lequel va se trouver cette armée de collaborateurs libéraux, pour la plupart novices, alors qu’ils seront encerclés par trois partis flamands rompus à l’exercice du pouvoir. On connaît l’expérience des démocrates-chrétiens flamands et de l’Open VLd en la matière, ce n’est pas à un singe qu’on apprend à faire des grimaces, ces deux partis-là et leurs experts, sont rompus à toutes les techniques de négociation possibles et imaginables. Quant à la N-VA, ses quelques experts faisaient un peu pitié (c’est pour rire) quand ils ont débarqué rue de la Loi en 2010 dans la foulée de leur premier succès électoral législatif , mais les nationalistes ont appris vite et bien. Entre débauchage d’experts dans les autres partis, ralliements de haut fonctionnaires, et expérience gouvernementale acquise au niveau flamand, la N-VA dispose aujourd’hui de solides ressources en matière d’expertise. On ne va pas revenir sur le modèle maintes fois ressassé de l’IEV, le centre d’études du Parti socialiste, seulement pour rappeler que le PS aussi est maître dans l’art du "scouting", toujours efficace pour débusquer les cerveaux les plus agiles et prometteurs.
Division I
Mais les libéraux? On vous pose la question. Bien entendu, il y a Didier Reynders. Bien entendu, le vice-premier en a vu d’autres crise financière, négociations institutionnelles et tutti quanti et est capable de porter beaucoup de choses. Bien entendu, son directeur de cabinet, Olivier Henin, est une bête de guerre capable de résister aux assauts des formations politiques flamandes: il connaît les rouages du gouvernement fédéral comme sa poche. Mais ça, avec Olivier Chastel et Charles Michel qui ont une expérience du fédéral, ce sont les arbres qui masquent la forêt libérale. Pour l’écrire platement, on a l’impression que le MR arrive tout nu à un repas de cannibales, et qu’en plus il crie "vous allez voir ce que vous allez voir"…
Car enfin, le gouvernement fédéral, avec tout le respect qu’on a pour les entités fédérées et malgré la VIe réforme de l’Etat et ses imposants transferts de compétences, cela demeure encore et toujours la division I. "Les gouvernements régionaux, c’est très sympa mais cela reste grosso modo un conseil communal", assène un vice-premier ministre qui a connu plusieurs niveaux de pouvoir dans sa carrière. C’est caricatural, évidemment, mais pas tout à fait. Car le fédéral est le seul niveau où l’on doit composer sans cesse avec l’alter ego flamand, où l’on reste forcé d’appréhender sa manière de fonctionner, de décider, de réfléchir. C’est là où les frictions sont les plus importantes, c’est là aussi où les masses d’argent avec lesquelles on travaille sont les plus grandes. Le fédéral, c’est là que se trouvent pour combien de temps encore les leviers de la sécurité sociale, de la fiscalité, de la diplomatie. C’est quelque chose que les régionalistes tant flamands que wallons n’aiment pas entendre mais c’est comme cela: le fédéral, cela reste aujourd’hui la Champion’s league de la politique belge.
Dindons de la farce
Or voilà nos libéraux bien seuls dans ces ténèbres. Pas même un petit cdH pour leur tenir la main. Ont-ils les reins assez solides pour ne pas être cassés et finir en dindons de la farce suédoise? Les partis flamands ne vont-ils pas tenter, comme le dit le FDF Olivier Maingain, de les rouler dans la farine à chaque coin de rue? Évidemment, dans la future opposition, on ricane: "De A à Z, à partir de la première minute de ce gouvernement, les libéraux vont être les pigeons" dit un socialiste. Ainsi l’hyper-stratégique fonction de directeur de cabinet du Premier ministre, par exemple. Tour à tour Luc Coene (Banque nationale), Wouter Gabriëls (Banque Lazard), Hans D’Hondt (SPF Finances) ont occupé cette fonction délicate, ils se sont tous fait les dents à tous les étages du fédéral, pareil pour le socialiste Hervé Parmentier qui, du cabinet Magnette à celui d’Onkelinx, a écumé les réunions intercabs du fédéral avant de rejoindre Elio Di Rupo au "16".
Le listing des fonctionnaires
Côté libéral, on est pourtant (étrangement?) confiant. "On n’est pas naïfs", riposte un libéral. "On sait que ce sera difficile". Le MR a organisé un recrutement en deux vagues où, sur quelque 400 personnes, un tiers sont des personnes très "valables", assure un connaisseur de la chose. Ils devront être encadrés par des personnes déjà présentes dans les trois cabinets ministériels fédéraux actifs (Reynders, Laruelle, Chastel) ainsi que par des personnes ressources venues de l’administration. Les libéraux disposent à cette fin d’un fichier fort utile de fonctionnaires et haut fonctionnaires disposés à venir armer leurs futurs cabinets ministériels. Car ce n’est pas en plaçant des petites annonces qu’ils vont trouver de quoi ferrailler contre la N-VA, le CD&V et l’Open VLD.
L’expérience est inédite. Les libéraux montent seuls aux barricades fédérales. Qu’ils s’assurent au moins que leurs fusils ne sont pas chargés à blanc.
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