Hans D’Hondt (SPF Finances): "Qu'apporterait un cadastre des fortunes? Nous savons déjà tant de choses"
La technologie agit comme une opération "mains propres", se réjouit Hans D’Hondt à l’occasion de ses adieux à la tête de l’administration fiscale. "Grâce au big data, dans cinq ans, un voyant s’allumera si quelqu’un a rénové sa maison beaucoup moins cher que ses voisins."
Un soir de décembre. Hans D’Hondt marche à peu près seul au 27e étage de la North Galaxy Tower, le siège du service public fédéral (SPF) Finances à Bruxelles. Depuis la crise du covid, ses fonctionnaires sont autorisés à travailler à domicile trois jours par semaine. "En partie grâce à la numérisation, ce service est passé de 32.000 agents à moins de 20.000 en 20 ans, et de 600 bureaux locaux à bientôt 52. Mais le changement le plus important est que nous avons évolué d’un ministère à hiérarchie verticale à une organisation basée sur la confiance et la responsabilité. Qui traite les gens comme des adultes, en quelque sorte."
"Lorsque nous avons introduit le télétravail en 2012, le 'middle management' était vent debout. Il l’appelait le ‘télécongé’. Aujourd’hui, nous constatons que les gens sont plus performants à la maison qu’au bureau. Nous travaillons avec des KPI (key performance indicators, NDLR): chaque collaborateur sait ce qu’on attend de lui, mais qu’il le fasse au bureau, dans son grenier ou dans sa cave, cela ne fait aucune différence. Lorsque l’ouragan covid a éclaté, nous étions prêts à continuer à fonctionner sans trop de problèmes. La flexibilité et l’engagement des fonctionnaires sont sous-estimés."
En octobre, Hans D’Hondt, neveu de l’ancienne ministre CVP Paula D’Hondt, a fêté ses 65 ans. Le 1er janvier, il ne dirigera plus l’administration fiscale de notre pays. Il mettra ainsi un terme à une carrière entamée il y a 40 ans dans la fonction publique et qui l’a mené dans les cabinets de démocrates-chrétiens tels que Philippe Maystadt, Jean-Luc Dehaene, Melchior Wathelet, Herman Van Rompuy, Leo Delcroix et Yves Leterme. En 2008, celui qui était alors chef de cabinet du Premier ministre a été au cœur de la chute du gouvernement Leterme lorsqu’il a été accusé à tort d’avoir tenté d’influencer le cours de la justice dans le procès de la vente de Fortis.
"Il s’est avéré par la suite que nous n’avions pas mal agi et que le problème se situait au sein de la justice même. Cela reste la pire chose que j’ai jamais vécue. Dans un moment pareil, si vous n’avez pas des proches qui vous disent que ça va s’arranger, vous perdez pied."
Pas un seul jour de grève en 14 ans
Lorsqu’il est nommé président du comité de direction du SPF Finances deux ans plus tard, Hans D’Hondt arrive dans un département en crise. "Une chose que j’emporterai chez moi." Et de se diriger vers son bureau pour en ressortir un DVD intitulé: "La faillite des Finances", le reportage que l’émission "Panorama" de la VRT, diffusé peu avant son entrée en fonction en 2010 sur la guerre au sommet de l’administration fiscale, la réforme Coperfin qui avait mal tourné et le malaise qui régnait au sein du personnel à l’époque.
"Je ne pense pas que nous ayons aujourd’hui plus de problèmes informatiques que d’autres grandes boîtes."
"Il ne faut pas surestimer le rôle du président d’un service public, mais si j’ai réussi quelque chose, c’est que le comité de direction est redevenu une équipe soudée. Les gens voient souvent l’administration fiscale comme un monolithe, mais le département est en fait un holding d’entités animées par différentes approches. Sans stratégie commune et sans esprit d’équipe au sommet, on est perdus. Sans relation de confiance avec les syndicats également. En 14 ans, je n’ai pas connu un seul jour de grève. Oui, quelques grèves du zèle, mais cela n’a pas fait de mal, parce qu’à la douane, par exemple, ces actions ne font que rapporter de l’argent. (rires)"
En 2019, Hans D’Hondt a été élu "Manager public de l’année". Pourtant, deux ans auparavant, les syndicats tiraient encore la sonnette d’alarme à propos du manque d’agents pour mener à bien leurs missions.
"À un moment donné, la numérisation et surtout l’efficacité du système n’étaient pas en phase avec la réduction du personnel", explique Hans D’Hondt. "Depuis, la situation s’est considérablement améliorée: je ne pense pas que nous ayons aujourd’hui plus de problèmes informatiques que d’autres grandes boîtes. D’ailleurs, ne nous voilons pas la face: il est évident que la charge de travail a augmenté si l’on réalise le même rendement avec 14.000 agents de moins. Mais aujourd’hui, nous travaillons beaucoup plus efficacement qu’auparavant."
"Lorsque l'ISI s'attaque à un ruling, ce n’est généralement pas la décision elle-même qui est contestée, mais la manière dont le contribuable l’applique."
Trop efficacement, pense désormais "le camp d’en face". Les fiscalistes, les comptables et les entreprises dénoncent une administration fiscale obtuse, méfiante et injoignable, sourde aux arguments, ce qui ne fait que multiplier les contestations et les procès. Et la situation s’aggravera encore, selon les fiscalistes, si le gouvernement De Croo donne le feu vert au troisième plan de lutte contre la fraude, que l’administration a corédigé à la demande du ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V). Il prévoit l’élargissement de la disposition anti-abus, ce qui rendra plus difficile pour une entreprise de prouver qu’elle effectue une transaction pour des raisons autres que l’optimisation fiscale.
Prenons une à une ces critiques: l’administration fiscale est souvent injoignable pour discuter d’un point litigieux.
Nos centres de contact traitent environ 20.000 appels par jour. Certes, notre fonctionnement est devenu plus distant.
"La pression fiscale est inégalement répartie et pèse donc trop sur le travail, ce qui nous désavantage sur le plan économique."
Il y a vingt ans, les comptables et les contrôleurs régionaux se connaissaient bien. L’ambiance était agréable. Mais ce n’était pas toujours idéal du point de vue de l’intégrité. Lors d’un contrôle, ils veillaient surtout à rejeter un certain nombre de frais, sans examiner le chiffre d’affaires. C’était pratique, mais ce n’était pas la bonne culture. Aujourd’hui, nous travaillons de manière beaucoup plus objective: l’algorithme attribue un dossier à un fonctionnaire, en fonction de ses compétences ou de la distance qui le sépare du lieu du contrôle. Plusieurs personnes travaillent sur un même dossier.
Pourquoi 11.000 ménages ont-ils reçu un avis de modification pour avoir mal déclaré leurs frais de garde d’enfants? Les autorités ne disposent-elles pas de telles données?
RGPD oblige. La protection des données personnelles est désormais très élevée dans l’Union européenne. Si nous connaissons le numéro de registre national d’une personne, nous pouvons préremplir ces données. Dans le cas contraire, la personne concernée doit l’indiquer elle-même. Il en va de même pour les dons déductibles, par exemple. Nous pourrions demander aux trois communautés de nous communiquer qui a des enfants dans une crèche, mais est-ce proportionné au regard des règles de protection de la vie privée? Personnellement, j’ai des idées bien arrêtées à ce sujet, mais je vais rester poli et les garder pour moi.
Autre critique: les entreprises qui ont conclu un ruling avec le service des Décisions anticipées ou qui ont bénéficié d’une exonération du précompte professionnel pour la recherche et le développement de la part du Service public Politique scientifique voient vos services – l’Inspection spéciale des impôts (ISI) en tête – remettre en question ces accords. Il en résulte une insécurité juridique.
Un accord a été conclu entre la Politique scientifique et les Finances afin d’éviter ce genre de situation. Dans le passé, la Politique scientifique a peut-être interprété la législation fiscale de manière un peu trop hâtive, ce qui sera corrigé. S’agissant des relations entre l’ISI et le service du ruling, il y a surtout de l’exagération. Les cas litigieux sont marginaux. L’ISI ne s’abat pas sur chaque ruling. Et lorsqu’il le fait, ce n’est généralement pas le ruling lui-même qui est contesté, mais la manière dont le contribuable l’applique. Parfois, les conditions d’octroi d’un ruling ne sont pas respectées.
On entend dire que le fisc n’a jamais été aussi puissant que sous le ministre des Finances Vincent Van Peteghem.
C’est absurde. Ce n’est pas parce qu’un ministre a l’intelligence d’écouter les professionnels qu’il ne prend pas ses propres décisions. Le fait est que la coopération entre Van Peteghem et l’administration est très bonne. Je pense donc que c’est une occasion manquée que, malgré son travail acharné et le nôtre, aucune réforme fiscale n’ait vu le jour au cours de cette législature. Toute la législation était prête. Et c’était la première fois que le FMI et l’OCDE disaient: "C’est vraiment ce que vous devez faire".
Quel est, selon vous, le principal défaut de notre fiscalité?
La pression fiscale est inégalement répartie et pèse donc trop sur le travail, ce qui nous désavantage sur le plan économique. La question de savoir si la pression doit être mise davantage sur le capital ou la consommation est un choix politique. Je pense que la proposition qui était sur la table était réalisable, mais j’ai suffisamment d’expérience en politique pour comprendre que, parfois, les circonstances en décident autrement.
Peut-on vraiment encore se permettre une réforme fiscale avec un déficit budgétaire de près de 30 milliards d’euros?
Cela dépend de la neutralité que vous y intégrez. Cette neutralité figurait dans la proposition, mais si les gens commencent à en retirer toutes sortes de choses, cela change bien sûr. Mais la réforme fiscale ne doit pas nécessairement conduire à la faillite de l’État. Il y a d’autres domaines politiques…
Expliquez-vous…
"Si vous commencez à régionaliser encore plus sans rien faire pour cette dette publique fédérale, les marchés financiers le feront à notre place."
Je pense qu’une autre réflexion globale sur la SA Belgique est nécessaire. Placer une compétence à tel ou tel niveau institutionnel est un choix politique. En fin de compte, toutes les réformes de l’État que nous avons connues jusqu’à présent ont été accompagnées d’un ajustement des flux financiers – la loi spéciale de financement – où les ressources ont été déterminées sur la base des plus nécessiteux. À l’époque, deux des trois entités ont reçu plus que ce dont elles avaient de facto besoin. Nous devons veiller à ce que le périmètre fédéral reste suffisant pour supporter la dette publique. Si vous commencez à régionaliser encore plus sans rien faire pour cette dette, les marchés financiers le feront à notre place.
Cela ressemble à la quadrature du cercle. Si la Wallonie et Bruxelles doivent reprendre davantage de dette, leurs finances prendront l’eau de toutes parts.
Les disparités budgétaires entre les entités compliquent en effet les choses. Et elles ne les facilitent pas non plus politiquement. Mais je continue à avoir confiance dans les mécanismes européens. J’ai travaillé dans le cabinet du ministre du Budget Herman Van Rompuy lorsque nous devions respecter la norme de Maastricht, fixée en 1992. Jamais nous n’aurions pu ramener notre déficit sous la barre des 3 % sans ce carcan.
Comment sortir de la spirale des dépenses publiques et des impôts élevés?
Réduire les dépenses publiques et augmenter les recettes. Et cela, en augmentant le taux d’emploi, et non en percevant des impôts encore plus élevés, car ils le sont déjà.
Et par une meilleure perception fiscale?
La lutte contre la fraude sera toujours de mise et prendra des formes différentes, comme le prouve la lutte contre la drogue. Mais la technologie rend la société beaucoup plus saine. Les paiements en espèces deviennent plus difficiles. La facturation électronique deviendra obligatoire pour les transactions entre entreprises. Cela rend le commerce beaucoup plus transparent, ce qui nous permet de réduire l’écart de TVA (la différence entre ce que le gouvernement perçoit et ce qu’il devrait percevoir, NDLR). En même temps, cela signifie une grande simplification administrative pour les entreprises.
"Notre ISI national a développé un système de cartographie des réseaux de fraude à la TVA qui est aujourd’hui utilisé dans toute l’Europe."
L’étape suivante est la facturation électronique pour les transactions entre entreprises et consommateurs. Car il faut bien l’admettre, il y a encore beaucoup de marge dans ce domaine. Mais le big data va nous aider dans ce domaine également. Je peux imaginer que dans cinq ans, un voyant s’allumera si quelqu’un a rénové sa maison pour la moitié du prix des maisons similaires dans le voisinage.
Le fisc a-t-il déjà recours à l’intelligence artificielle?
Bien sûr, mais dans les limites de la loi. Nous avons beaucoup de "data miners" qui font de l’analyse prédictive de risque basée sur des algorithmes pour déterminer quelles déclarations doivent être vérifiées, quel conteneur il est préférable de scanner dans les ports, quels débiteurs présentent un risque, etc. L’IA contribue également à la lutte contre les carrousels internationaux de TVA. Notre ISI a développé un système de cartographie des réseaux qui est aujourd’hui utilisé dans toute l’Europe.
Le juge d’instruction bruxellois Michel Claise estime que la Belgique n’est pas à la hauteur dans la lutte contre la grande fraude.
C’est lui qui le dit. Les tendances internationales évoluent également dans le bon sens s’agissant de l’évasion fiscale à grande échelle. Les normes de l’OCDE ont apporté une grande transparence au niveau international. Et le phénomène des prix de transfert, qui consiste pour les multinationales à transférer leurs bénéfices vers le pays où ils sont le moins taxés, se heurte à l’introduction de l’impôt minimum pour les multinationales, qui est une révolution.
Que manque-t-il encore à la boîte à outils fiscale belge? Un cadastre des fortunes?
Je répondrai par une question: pensez-vous que nous en sommes loin?
À vous de me le dire.
Nous disposons déjà de nombreuses données financières. Il y a la récente extension du PCC (depuis l’année dernière, le point de contact central ne trace pas seulement qui possède quel compte bancaire, mais aussi comment les soldes des comptes évoluent, etc.) Il y a les bases de données disponibles dans les régions pour les biens immobiliers et les successions. Et depuis l’année dernière, les entreprises doivent également indiquer dans le registre UBO qui sont leurs bénéficiaires ultimes. Qu’est-ce qu’un cadastre des fortunes apporterait de plus?
Pouvoir mieux taxer les investissements matériels: bijoux, voitures de collection, art, vin…
Le principe est intéressant, mais 20.000 fonctionnaires ne suffisent pas pour l’appliquer. Je ne connais pas beaucoup de pays où l’on fait cela. En revanche, je connais beaucoup de pays qui taxent les plus-values sur les actions.
Avez-vous déjà fêté votre départ à la pension?
"Ce qui plombe notre système des pensions, ce n'est pas la pension élevée des fonctionnaires, mais l’assimilation des périodes de droits de pension pour les personnes qui ne cotisent pas."
Je ne souhaitais pas de grande fête. Parce que je n’ai aucun mérite particulier, c’est un travail d’équipe. Mais mes proches collaborateurs ont néanmoins organisé une petite fête au Musée des instruments de musique de Bruxelles, parce que je suis un mordu de rock and roll. Je n’aime rien tant que me produire avec mon groupe de blues ou en solo en reprenant des morceaux de Tom Waits. Bientôt, on me verra encore plus sur scène.
Connaissez-vous déjà le montant de votre pension?
J’ai une carrière complète en tant que fonctionnaire, je toucherai donc la pension la plus élevée de l’État. Je n’ai pas à me plaindre.
Les pensions des fonctionnaires sont-elles trop élevées?
Par rapport à l’étranger, elles ne sont pas plus élevées. Et j’oserais même comparer avec le secteur privé: quelqu’un qui peut combiner une pension de salarié avec une assurance de groupe taxée très favorablement s’en sort très bien aussi. Mais la question porte aussi sur la soutenabilité financière de ce système pour l’État. Je comprends le débat à ce sujet. Je pense toutefois que le problème ne se situe pas du côté des fonctionnaires statutaires. Ce qui plombe le système, c’est l’assimilation des périodes de droits de pension pour les personnes qui ne cotisent pas.
Choisiriez-vous encore une carrière de fonctionnaire à une époque marquée par une grande méfiance à l’égard de tout ce qui touche à l’État?
Sans hésiter une seconde. Servir l’intérêt général est la meilleure chose qui soit. Le travail n’est pas mal payé et il est stimulant. De nombreuses personnes venant du secteur privé découvrent rapidement qu’elles peuvent s’y épanouir. Je repense également avec satisfaction à mon travail au sein du cabinet. Mais je ne pourrais jamais faire de la politique moi-même. Les ministres sont des personnes qui ont une énorme volonté de changer les choses pour le mieux, qui travaillent sept jours sur sept et que l’on ne ménage pas. Faut le faire.
Hans D'Hondt
- Hans D'Hondt (65 ans) a étudié le droit à la KU Leuven.
- Commence sa carrière comme fonctionnaire aux ministères du Travail et de l'Économie.
- Entre, en 1985, au cabinet du ministre des Finances Philippe Maystadt (PSC).
- Devient, après des passages chez Jean-Luc Dehaene, Melchior Wathelet, Leo Delcroix et Herman Van Rompuy, chef de cabinet d'Yves Leterme en 2004.
- Est nommé, en 2010, président du service public fédéral Finances.
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