On a eu droit à de la castagne
Au Parlement, cette semaine, gauche et droite ont cogné sans retenir leurs coups. Il y a eu des mots durs, il y a eu du débat, bref il y a eu du sport. Et ça faisait longtemps que la Belgique n’avait pas vibré devant sa Chambre des Représentants. Vive la politique!
On pourrait, car c’est terriblement à la mode ces derniers jours, pousser des cris et jouer les vierges effarouchées, pleurnicher un peu partout en se disant que, décidément, le spectacle qui nous a été donné à voir au Parlement fédéral était bien mauvais. Que la politique et la crédibilité de sa classe en ont pris un bien vilain coup. Mais, non, ce n’est pas le genre de la maison. Car en vérité, je vous l’écris, c’est même tout le contraire qui se passe. Les vifs débats parlementaires qui ont eu lieu dans l’Hémicycle vivifient la démocratie et ont, sans aucun doute, permis de repolitiser quelque peu le citoyen belge, disons, lambda. Prenons donc les éléments dans l’ordre. Et avec un peu d’optimisme, que diable!
D’abord vidons le contentieux qui guette: évidemment, on ne joue pas avec les mots lorsqu’on évoque la Collaboration, la Shoa, ou plus largement, les guerres et génocides. Ce sont des évènements inqualifiables, des crimes contre l’Humanité, des atrocités. Cela tombe sous le sens. Et l’instrumentalisation politique qui peut en être faite, est à déplorer.
Mais pour le reste, enfin, comment s’offusquer ou dénoncer les passes d’armes verbales auxquelles on a eu droit? Comment ne pas apprécier le talent oratoire, le sens de la répartie, la rhétorique, la dialectique de ces débats parlementaires? Cela faisait des années, finalement, qu’on n’avait plus eu droit à cela: une telle tension dans une Chambre des représentants qui trop souvent porte si bien son nom de… Chambre. Mais oui, ladies and gentlemen, le Parlement fédéral avait cette semaine des petits airs de Chambre des Communes britanniques. Pour un peu, vous fermiez les yeux, l’accent en moins, vous vous seriez crus à Wetsminster — là où Tories et Labour se livrent des combats politiques sans merci. Et où, souvent, le ton et les décibels montent assez haut durant les débats. Dans une certaine mesure, l’Assemblée nationale ou même le Congrès aux états-Unis sont des enceintes où les joutes politiques sont aussi traditionnellement plus enflammées qu’en Belgique, pays, s’il en est, du compromis et du consensus.
Le vétéran Patrick Dewael, par exemple, est un redoutable débatteur politique. Et chaque fois qu’il prend la parole, ses interventions sont tranchantes.
Or voilà que l’excuse qu’on nous sert traditionnellement pour faire passer la soupe de ces débats soporifiques — le système proportionnel — a quelque peu pris du plomb dans l’aile avec la nouvelle majorité gouvernementale très clivante.
Donc, non, le débat politique en Belgique n’est pas mort et enterré. Et non, il n’est pas par essence communautaire, puisqu’ici, une fois dépassé le débat au sujet de Theo Francken, c’est bien d’un choc des idées entre la gauche et la droite qu’il s’agit. On parle d’idées de fond, de trajectoires budgétaires, d’économies à réaliser, de thématiques comme l’Asile, l’Immigration, la Mobilité ou l’avenir de la sécurité sociale et des pensions.
Outre que le débat porte sur la direction que nous entendons donner les prochaines années à notre société, sur l’articulation à faire du champ socio-économique, un débat salutaire, ce qui est réjouissant, également, c’est qu’on a ici le fond et la forme. Et que sur la forme, le Parlement regorge de talents divers. On aime ou on n’aime pas Laurette Onkelinx, mais on doit en vérité écrire qu’elle a directement pu se reconvertir de vice-Première ministre en pasionaria de l’opposition. Qu’elle n’aura sans doute pas son pareil pour clouer le gouvernement de droite au pilori durant la législature à venir. À côté de Laurette-la-Rouge (marque déposée), d’autres parlementaires ont fait ou feront trembler les filets dans l’opposition — du duo Jean-Marc Nollet/Kristof Calvo au toujours implacable Olivier Maingain, la rhétorique à de beaux jours devant elle dans cette enceinte. Et c’est tant mieux!
Et sur les bancs de la majorité, tiens donc. Charles Michel pourrait-il se révéler en tribun? D’habitude très mesuré, on a vu le nouveau Premier ministre se laisser emporter — contre Onkelinx justement — quand il a, par exemple, dégainé le souvenir de son aïeul mort au retour de la guerre. On peut aussi toujours compter sur le vétéran Patrick Dewael. Le libéral flamand est un redoutable débatteur, et, chaque fois qu’il prend la parole, ses interventions sont tranchantes et à propos. Mais c’est à la N-VA, paradoxalement, que le banc parlementaire et/ou ministériel très fourni doit encore se muscler. Beaucoup de jeunes recrues, beaucoup de personnalités qui débarquent dans un rôle de responsabilités qu’ils n’ont pas encore l’habitude d’endosser.
On a ainsi vu cette semaine un Siegfried Bracke pédaler dans la semoule depuis son perchoir de président de la Chambre. L’homme est intelligent, et il apprendra assez vite. Sans vouloir distribuer les bons et les mauvais points, Hendrik Vuye (N-VA) et Denis Ducarme (MR), ont également du pain sur la planche pour résister au rouleau compresseur de l’opposition. En tant que chefs de file des deux grands partis de la majorité, ils occupent un rôle cardinal comme soupapes de décompression. C’est à eux à désamorcer les charges explosives pour qu’elles n’entravent pas la marche de leur gouvernement. En ce sens, Ducarme fait le show, et le fait très bien, mais il n’aura pas toujours un Wouter Beke derrière lui pour clouer (techniquement) le bec d’une Laurette Onkelinx. Il doit donc se densifier techniquement et montrer qu’il peut mettre cette technique au service d’un art oratoire qu’il possède déjà. A contrario, Hendrik Vuye devrait pendre quelques cours de déclamation chez Denis Ducarme. Le professeur des facultés namuroises a du boulot s’il veut être un pare-feu efficace de la majorité au Parlement.
Mais il n’y a plus guère de doute, les débats que nous promet cette législature sont prometteurs. Remplis de verve et d’animation, de fond et de forme. Et si le citoyen belge se mettait à s’y intéresser?
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