"Pourquoi ne pas confier l'Enseignement aux Régions?"
Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères juge que Wallonie et Bruxelles pourraient efficacement s’occuper ensemble de l’Enseignement. "A-t-on réellement besoin d’une institution aussi faible que la Communauté française? Discutons-en entre francophones. Sereinement et sans anathèmes."
Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères Didier Reynders (MR) plaide pour l’ouverture d’un dialogue institutionnel "serein et calme" entre francophones. "Qu’on le fasse sans regarder ce qui se passe côté flamand dans le but de renforcer les francophones", lance-t-il.
Didier Reynders se range derrière les fers de lance régionalistes libéraux Jeholet et Crucke pour demander un renforcement des pouvoirs de la Wallonie et de Bruxelles. "Plus de compétences aux Régions, c’est le sens de l’Histoire", assure Didier Reynders, qui fait remarquer que tant le socialiste Paul Magnette que le cdH Maxime Prévot se sont dit prêts à transférer des compétences de la Communauté française vers les Régions. Le Bruxellois avance un pas plus loin en suggérant l’ouverture d’un débat sans tabou sur la régionalisation de l’Enseignement.
1. La diplomatie belge
À quoi cela servent les Journées diplomatiques?
D’abord à présenter aux diplomates la politique du gouvernement fédéral dans plusieurs domaines. Le Premier ministre viendra évoquer le travail qu’il va mener sur l’image de la Belgique sur différents continents, on aura aussi la politique d’aide au développement, la défense. Et un site internet va être lancé à cette occasion pour permettre à toutes nos ambassades d’avoir accès à beaucoup plus d’informations pour promouvoir l’image de la Belgique à l’étranger. À côté des politiques de la Belgique, on a une série d’invités qui viendront parler à nos diplomates, dont Federica Mogherini qui présentera la politique européenne.
En guise de zakouski, on a eu droit à une polémique sur le peu de place accordée aux Régions dans cet événement…
→ Lire à ce propos Les diplomates belges à Anvers, Magnette fulmine
Polémique qui n’avait pas lieu d’être: on invite les diplomates s’ils le souhaitent à se rendre à des événements organisés par les entités fédérées. La Région flamande les a invités pour l’exposition Rubens, il y a une rencontre avec la secrétaire d’Etat bruxelloise Cécile Jodogne, et il y aura une rencontre avec les deux ministres-présidents Paul Magnette et Rudy Demotte. Enfin, nous avions une demande de la ville d’Anvers qui souhaitait que les diplomates puissent visiter le port. La Ville de Bruxelles a demandé la même chose: il y aura donc une rencontre avec le collège de la Ville.
Est-ce franchement bien nécessaire de faire revenir tout le staff diplomatique chaque année à Bruxelles?
Oui, la plupart des pays le font. C’est une tradition qui permet l’échange mais qui permet aussi au département de communiquer des informations concrètes, de tracer une ligne. C’est vraiment important.
Et comment a évolué la fonction de diplomate?
"Le job de diplomate est de plus en plus économique."
C’est de plus en plus une personne active sur le terrain économique. La représentation du pays reste l’élément premier, mais les contacts directs entre autorités publiques sont tellement fréquents aujourd’hui que le volet économique prend une part plus importante: aider nos entreprises sur les marchés, attirer des investisseurs vers la Belgique. On va recruter 44 nouveaux diplomates en 2016, 24 francophones et 20 néerlandophones. Et en 2017, ce sera probablement la même chose. Donc, en l’espace de deux ans, on va avoir 80 nouveaux jeunes diplomates.
Diplomate, c’est encore un job d’homme…
On évolue, mais c’est vrai que la fonction reste encore trop masculine. On essaye de féminiser la diplomatie comme on essaye aussi de féminiser le comité de direction des Affaires étrangères.
Les trois Régions belges se font-elles concurrence à l’étranger pour attirer les investisseurs?
Il y a une concurrence comme les Etats se font concurrence entre eux, c’est la même chose. Mais il y a aussi des spécificités: le port d’Anvers ou le secteur du diamant en Flandre n’a pas de concurrent wallon; la FN Herstal est une spécificité wallonne, par exemple.
2. Les régions à l'étranger
Diriez-vous que la Wallonie est sexy pour les investisseurs?
"Nous mettons tout en oeuvre pour attirer des investisseurs en Belgique."
On est en train de prendre des mesures au niveau fédéral qui sont destinées à attirer les investisseurs. On a un mélange de mesures qui produisent de l’effet pour attirer les multinationales, comme la baisse des charges, le ruling ou les intérêts notionnels…
Est-ce facile aujourd’hui de vendre Bruxelles et la Wallonie à l’étranger?
Il y a une tradition, en Flandre, de voir le ministre-président accompagner les visites d’Etat et les missions économiques princières à l’étranger. Du côté wallon et bruxellois, quand ce n’est pas une visite royale, ce sont des ministres qui accompagnent, pas le ministre-président.
Vous voulez dire que c’est un cran en dessous de la représentation flamande?
"Il serait utile que Wallons et Bruxellois envoient - comme la Flandre - leur ministre-président lors des missions économiques."
En tous les cas, ça se voit qu’ils ne sont pas là. Il serait utile que Wallons et Bruxellois aient la même démarche que la Flandre. Mais globalement, on doit voir comment structurer la présence belge à l’étranger, travailler de manière sectorielle m’apparaît être sensé. On a intérêt à construire une image de la Belgique qui se décline à travers les atouts des différentes Régions. Par exemple, si on parle du traitement des déchets et du recyclage, on doit avoir avec nous des entreprises en charge de l’assainissement et de la distribution de l’eau. Il faut essayer de passer outre la difficulté que pose le fait qu’on ait des majorités politiques différentes. On doit se coordonner.
Un des fardeaux que doit aujourd’hui porter Bruxelles, c’est la mobilité…
Oui, ça devient cauchemardesque, en effet. On doit agir. Quand on a des leviers en main, on doit faire quelque chose. Ici, j’ai les leviers de Beliris et j’essaye de pousser les projets de mobilité en libérant des fonds pour le métro d’abord et avant tout. Il faut développer le métro, redéfinir la mobilité. On doit le faire en partenariat avec la Région: on met 50 millions d’euros par an pour le métro, la Région, à travers la Stib, doit mettre au moins la même chose. Maintenant, on est confronté à un autre enjeu, celui de la rénovation des tunnels…
Et qu’en pensez-vous?
Il faut également travailler en surface, en aménageant des espaces, des esplanades, c’est quand même beaucoup plus agréable. Mais pour ça, il faut rénover les tunnels: je ne suis pas opposé à réfléchir à un partenariat entre le Fédéral et la Région bruxelloise. Ou entre les Régions: parce que tout le monde bénéficie de ces tunnels. Tout ceux qui vivent ou qui viennent à Bruxelles savent que la mobilité est catastrophique. C’est un enjeu majeur.
→ Lire également Faut-il dire adieu aux tunnels bruxellois?
La N-VA réfléchit au futur institutionnel de la Belgique: cela vous inquiète-t-il?
Non. Je dis simplement: côté francophone, on doit avoir une réflexion analogue de manière calme et sereine. Historiquement, il faut rappeler que PS, cdH et Ecolo ont négocié l’avenir de la Belgique durant des mois avec la N-VA. Je me souviens de groupes à haut niveau avec Messieurs Jambon, Javaux, Marcourt, Flahaut, De Wever. Ou encore avec Madame Milquet.
C’était avant que le MR fasse un gouvernement avec la N-VA…
Aujourd’hui, on fait des réformes socio-économiques avec la N-VA mais sans parler d’institutionnel. À côté de cela, je dis que les francophones devraient accepter d’organiser une réflexion sur leur avenir à long terme. Pierre-Yves Jeholet et Jean-Luc Crucke ont émis cette idée, elle a été reprise par des gens au cdH, Maxime Prévot, et au PS, Paul Magnette. Je pense qu’on peut réfléchir à comment rendre les francophones plus forts sans se préoccuper de ce qui se passe en Flandre. Après, on verra ce que les électeurs diront en 2019.
3. L'avenir de la FWB
Pierre-Yves Jeholet et Jean-Luc Crucke sont des régionalistes convaincus. Vous leur emboîtez donc le pas?
"Sur le plan institutionnel, il faut ouvrir la discussion sur le transfert de compétences intrafrancophones. Plus de pouvoirs pour les Régions."
Je dis qu’on doit mieux organiser les Régions en transférant certaines compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il faut quand même bien oser dire à un moment que cette institution est très faible.
Et?
Mais la logique est et sera de plus en plus une logique à quatre: la Flandre, la Wallonie, Bruxelles et les germanophones. Après, si Bruxelles et la Wallonie décident de travailler ensemble dans certains domaines, c’est très bien. Comme pour l’Enseignement…
L’Enseignement doit-il rester aux mains de la Fédération Wallonie-Bruxelles?
C’est un débat que l’on doit mener. Parce que ça peut être géré par une institution coupole où on retrouverait les Wallons et les Bruxellois, donc issus des gouvernements régionaux, ou alors par une institution spécifique comme aujourd’hui. Je vais le dire de manière un peu humoristique: je pense qu’on a du mal à savoir qui est qui au gouvernement de la Communauté française…
Faut-il supprimer cette institution?
On a une ministre (Joëlle Milquet, NDLR) qui reprend quasiment toutes les compétences, les autres, on ne sait pas ce qu’ils font. Je ne les mets pas en cause, c’est la faute de l’institution… Dès lors, pourquoi ne pas avoir une gestion de l’Enseignement où on aurait des représentants des deux gouvernements siégeant dans une institution commune? Le débat doit être ouvert. On doit en tout cas renforcer la capacité d’action des Régions.
Mais le lien francophone va se déliter…
Si on organise bien la collaboration entre Wallons et Bruxellois, non. Il faut discuter sans tabou et sans regarder ce qui se passe nécessairement en Flandre. Évitons les anathèmes et ouvrons le débat. Tout est discutable mais a-t-on réellement besoin de ministres qui viennent s’ajouter aux Wallons et aux Bruxellois?
4. Surveillance, sécurité et terrorisme
Le prochain grand débat sur l’antiterrorisme au sein de votre gouvernement portera sur le bracelet électronique pour les personnes radicalisées. Comment comptez-vous faire?
"Je souhaite que toutes les personnes qui reviennent de Syrie soient suivies et contrôlées par le bracelet électronique."
C’est exact, je maintiens ma position: je souhaite que toutes les personnes qui reviennent de Syrie soient suivies et contrôlées par le bracelet électronique ou avec un mécanisme de surveillance. On a un grand nombre de personnes qui reviennent, je ne mets pas en doute la bonne foi d’un certain nombre qui prétendent être déradicalisés, mais j’aimerais être sûr… Le bracelet, c’est une façon de ne pas mettre tout le monde en prison.
Mais y aura-t-il intervention d’un magistrat avant la pose du bracelet par la police?
Oui. Mais si en bout de course, on décide qu’il n’y a pas lieu de mettre les gens en prison, le pouvoir exécutif doit quand même garder une possibilité de suivre ces gens. Le jour où on aura à nouveau un returnee qui commettra un attentat, on nous demandera pourquoi on ne l’a pas suivi.
A côté des returnees, certains voudraient mettre des bracelets électroniques aux personnes qui se radicalisent en Belgique…
Si c’est possible. Mais la demande première c’est pour les returnees, ceux qui ont été sur le terrain se battre à l’étranger. Le suivi, la déradicalisation, il y a des méthodes qui existent. Je ne fais pas confiance a priori aux personnes qui rentrent de Syrie et qui disent: ça y est, j’ai changé. Certains reviennent justement pour commettre des attentats.
La ligue des droits de l’homme estime que la Belgique bascule dans un Etat sécuritaire.
"On va devoir redéfinir l’équilibre entre les droits individuels et la sécurité."
Il faut distinguer les choses, je comprends l’émotion, par exemple en France. On est très loin de ce que permet l’état d’urgence à la française, où on a multiplié les perquisitions sans contrôle judiciaire. Chez nous, en Belgique, on va devoir redéfinir l’équilibre entre, d’une part, les droits individuels, la vie privée, et d’autre part, la sécurité.
Que voulez-vous dire?
Il y a plusieurs aspects. Je pense qu’en termes d’image, on peut peut-être trouver d’autres types de véhicules que des blindés pour la ville…
Mais ça, c’est de l’image, pas de la vie privée…
Si vous débarquez Grand-Place et vous retrouvez face à un blindé, ça change votre perception de la ville. Pareil: est-ce qu’on est réellement obligé d’être en uniforme de paracommando pour sécuriser la ville? A côté de cela, on a des mesures comme la prolongation de la garde à vue. C’est un débat, finalement, où l’Europe devrait avoir son mot à dire. L’Europe se mêle des budgets de tous les Etats membres, elle devrait faire un rapport chaque année sur la situation des droits. Un regard extérieur qui permettrait, quand il y a une très forte émotion dans un pays, de faire redescendre la température. Est-ce qu’on va trop loin en matière de sécurité ou pas? Est ce qu’on protège suffisamment la vie privée?
Le ministre de la Justice – quand il évoque les écoutes téléphoniques – dit: "quand on n’a rien à se reprocher, on n’a rien à cacher". Vous êtes d’accord avec ça?
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Je comprends ce qu’il veut dire, mais il y a quand même un volet purement vie privée qu’on ne peut pas éluder. Je suppose que si vous passez un coup de fil à une personne que vous aimez particulièrement, vous n’avez pas envie qu’il y ait un policier sur la ligne. Pareil avec les perquisitions; c’est pas parce qu’on n’a rien à se reprocher qu’on doit avoir un policier qui entre chez soi n’importe comment et à tout moment de la journée. Pour le moment, on n’a pas franchi la ligne.
5. Religion et intégration
Un débat parallèle est celui de la laïcité de l’Etat: faut-il entrer là-dedans et inscrire ce principe dans la Constitution belge?
"Ce n'est pas parce que je ne suis pas chrétien, juif ou musulman que j'ai forcément envie d'être militant laïque."
Je parle de neutralité. Le mot laïcité n’a pas le même sens chez nous qu’en France, la laïcité est inscrite dans la constitution à côté des autres cultes. C’est mon cas: ce n’est pas parce qu’on n’a pas une conviction religieuse qu’on doit nécessairement participer à une quelconque association s’occupant de la laïcité. On peut aussi ne pas avoir envie de faire partie du centre d’action laïque si on n’est pas juif, catholique, musulman. La neutralité donne une meilleure définition: on est à équidistance de tous les courants et l’Etat n’essaye pas d’en promouvoir l’un plutôt qu’un autre. Et j’ai toujours, donc, plaidé contre le port ostentatoire des signes conventionnels.
Vous aviez dit que l’intégration à Bruxelles était un échec. Vous maintenez?
Je me rappelle quand j’ai dit cela. En disant que l’intégration était un échec dans certains quartiers de Bruxelles, je me suis fait allumer et on m’a quasiment accusé d’être d’extrême-droite. Aujourd’hui, c’est devenu banal de dire cela. Parce qu’on se rend bien compte que c’est la vérité: a Vilvorde, à Molenbeek, on voit bien qu’il y a eu une faillite. On doit en finir avec les quartiers monolithiques en terme d’origine géographique – Maghreb, Turquie – ou religieuse.
Il y a des zones de non-droit à Bruxelles?
C’est la raison pour laquelle on a lancé le plan Molenbeek mais il y aura d’autres communes concernées. On doit discuter avec les responsables religieux: l’islam de Belgique doit être géré au départ des musulmans vivant ici, pas depuis l’étranger. Ensuite, on doit lutter dans ces communes contre tout ce qui est à la limite de la zone de non-droit: il y a un lien entre la criminalité, la délinquance et le radicalisme. Donc, on doit être plus ferme. On doit pouvoir contrôler un commerce où qu’il se trouve, qui que ce soit qui le détienne. Or on sait qu’il y a des zones où le contrôle a été moins fort – parfois même avec l’appui de responsables communaux qui ne souhaitaient pas avancer. A côté de cela, on doit évidemment investir dans ces communes.