Comment enseigner l'histoire du colonialisme à la belge?
Que connaît-on de la colonisation du Congo par la Belgique? Généralement peu de choses. Or, ce pan de notre histoire a façonné nos mentalités, induisant un racisme parfois inconscient. L'école a son rôle à jouer.
"Et si... il suffisait de les éduquer pour avancer?" Cécile Djunga, humoriste et présentatrice, a adressé une vidéo à Caroline Désir (PS), la ministre de l'Éducation en Fédération Wallonie-Bruxelles, lui demandant d'étendre les cours à l'histoire de l'Afrique.
Avec la mort de George Floyd aux États-Unis, la question raciale a trouvé un nouvel élan. En Belgique, plusieurs manifestations antiracistes ont eu lieu, dont celle de Bruxelles qui a réuni 10.000 personnes. Des statues de Léopold II sont saccagées, des policiers témoignent du racisme gangrenant certains commissariats. Le mouvement est bien lancé.
La ministre de l'Enseignement a répondu, aussi en vidéo, à l'appel de Cécile Djunga en rappelant son projet de rendre obligatoires les cours sur l’histoire du Congo et de la colonisation. C'est pour quand? D'abord, un état des lieux va être fait, et un groupe de travail mis sur pied.
"Notre silence par rapport à notre passé colonial pèse sur nos imaginaires et les représentations qu'on a de nous-mêmes et des autres."
Un cours utile?
Mais ce genre de cours peut-il changer les mentalités? "Oui, vraiment", assure Jacinthe Mazzocchetti, professeure à l'École des sciences politiques et sociales de l'UCLouvain. "Ça ne suffit pas, mais c'est fondamental parce qu'en Belgique, notre silence par rapport à notre passé colonial pèse sur nos imaginaires et les représentations qu'on a de nous-mêmes et des autres, avec cette image du "Blanc supérieur" ou sauveur des pauvres..."
"Cela nous oblige à rouvrir des dossiers violents mais aussi de se poser la question de ce qu'il reste, de la façon dont notre société s'est construite."
Cela fait longtemps que cette revendication d'inscrire l'histoire de la colonisation du Congo par la Belgique dans le cursus scolaire existe. Sans guère de résultats. "La Belgique a du mal à affronter son histoire coloniale. Cela nous oblige à rouvrir des dossiers violents, mais aussi de se poser la question de ce qu'il en reste, de la façon dont notre société s'est construite. Au point de vue symbolique, mais aussi politique et économique. Quid de la question de la dette, de ce qu'on doit réellement à ce pays?", explique cette anthropologue spécialiste des migrations entre l’Afrique et l’Europe.
"Le moment colonial, c'est quasiment la moitié de l'histoire de la Belgique. Et cette colonisation est arrivée très vite après la naissance de notre pays, qui a voulu s'affirmer comme un grand État et s'est construit autour de ce principe. La propagande coloniale a fabriqué nos mentalités." En résultent encore aujourd'hui de nombreuses pratiques inconscientes.
Former les enseignants
"Il faut expliquer aux jeunes ce qu'est un système colonialiste, ce que cela a impliqué pour le Congo, ce qu'il a transformé."
Mais comment parler de cette histoire si pesante en, au mieux, quelques heures? "Il faut passer par les archives, qui témoignent des faits, et par une multiplicité de points de vue: des historiens belges, congolais..." Les mémoires vivantes sont de plus en plus rares, et pas toujours idéales pour le contexte.
"Les enfants nés au Congo en fin de période coloniale ont eu un vécu qui n'a rien à voir avec l'histoire de la colonisation, précise Jacinthe Mazzocchetti. Il faut expliquer aux jeunes ce qu'est un système colonialiste, ce que cela a impliqué pour le Congo, ce qu'il a transformé: la politique, la famille, etc. L'histoire des colonisés est fondamentale."
Caroline Désir a promis que "cet enseignement sera obligatoire dans toutes les formes d’enseignement, pour tous les pouvoirs organisateurs et au bénéfice de tous les élèves". Selon Jacinthe Mazzocchetti, "il faudrait des modules à destination des enseignants, à intégrer à leur formation. Pour ceux qui sont déjà en exercice, évitons de leur renvoyer la balle! Sinon, tout cela restera au stade du discours. Il faut leur donner un module sur la complexité spécifique de cette histoire."