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Des aides publiques qui s'attaquent aux causes profondes de la perte de pouvoir d'achat

Professeur d'économie publique à l'université de Stirling et affilié à la KU Leuven

Une approche progressive, assortie d'un soutien financier aux groupes les plus vulnérables, serait beaucoup plus efficace que d'interdire brutalement toutes les importations de pétrole et de gaz russes.

La guerre en Ukraine prouve que l'Union européenne peut être une véritable puissance. Lorsque la liberté, les droits de l'homme, la démocratie et la paix sont en jeu dans notre arrière-cour, nous sommes unis, tant sur le plan militaire qu'économique.

C'est évidemment un soulagement, mais aussi un pas en avant susceptible de nous diviser à nouveau. Assurer un soutien militaire approprié à l'Ukraine constitue sans doute le plus grand défi à court terme, le pire scénario étant celui d'une escalade nucléaire. Mais à plus long terme, les sanctions économiques constituent la plus grande menace, le pire des scénarios étant un nouvel affaiblissement du centre de l'échiquier politique. Et ce, au moment où le soutien à une action européenne commune est plus important que jamais.

La perfusion de gaz russe n'est certainement pas le genre de dispositif que l'on peut retirer immédiatement de son bras. Mais cela peut se faire progressivement.

Si nous voulons vraiment donner un sérieux coup de crosse financier au régime russe, nous devons renforcer les sanctions économiques. Au cours des six premières semaines de l'invasion, l'UE a injecté pas moins de 21 milliards d'euros dans l'économie russe en achetant des combustibles fossiles.

Interdire brutalement les importations de pétrole et de gaz russes entraînera inévitablement une forte hausse des prix de l'énergie, au moment même où de nombreux ménages ont déjà la tête sous l'eau.

Les appels à l'interdiction des importations de pétrole et de gaz russes se font aujourd'hui de plus en plus pressants. Mais une mesure aussi brutale entraînera inévitablement une forte hausse des prix de l'énergie, au moment même où de nombreux ménages ont la tête sous l'eau. La moitié des ménages belges ont déjà baissé leur thermostat au cours des dernières semaines en raison de la détérioration de leur situation financière. Ajoutez à cela l'augmentation du prix qui résulterait d'une éventuelle suspension des importations de combustibles fossiles russes et vous obtenez de la dynamite politique.

Les élections françaises sont un parfait indicateur de ce qui nous attend. L'inflation a littéralement propulsé Marine Le Pen dans le peloton de tête politique, faisant d'elle le challenger direct du président sortant Emmanuel Macron. La stratégie de campagne de Madame Le Pen était simple: miser sur la perte de pouvoir d'achat des familles pauvres ou rurales. La même histoire du "nous contre eux" que nous entendons depuis des années et la même carence de solutions sérieuses, désormais assaisonnées à la sauce protectionniste radicale.

Sacrifices à consentir

Alors, devons-nous rester les bras croisés et laisser les atrocités russes se poursuivre? Bien sûr que non, mais nous devons être plus malins. On ne peut pas débrancher tout de suite la perfusion de gaz russe de notre bras. Mais avec de la persévérance, c'est tout à fait possible. Selon l'Agence internationale de l'énergie, d'ici un an seulement, nous pourrions déjà être 50% moins dépendants des importations russes. La Commission européenne, elle, va encore plus loin.

Quoi qu'il en soit des sacrifices sont nécessaires. Et les politiques ne doivent pas baisser les bras. Le Premier ministre italien, Mario Draghi, l'a d'ailleurs très bien dit récemment: "Voulons-nous la paix cet été ou l'air conditionné?"

Dans ce contexte, les gouvernements doivent prioritairement apporter leur aide là où ils sont lésés. Les tranches de revenus les plus élevées sont capables de supporter des augmentations de prix bien mieux que les personnes "vulnérables sur le plan énergétique"; des personnes telles que des parents isolés, des personnes dont les maisons sont mal isolées et les habitants des zones rurales qui utilisent beaucoup leur voiture. Les ménages plus aisés sont également susceptibles de passer beaucoup plus facilement à des solutions plus durables telles que les voitures électriques, une meilleure isolation ou des pompes à chaleur.

Une mesure intelligente est toujours une mesure durable, au sens propre comme au sens figuré.

Ces mesures correspondent en réalité à la mise en œuvre accélérée du plan climat de la Commission européenne. Et la meilleure façon de soutenir ces groupes vulnérables est de recourir à une version étendue d'un mécanisme prévu dans ce même plan: le Fonds social pour le climat. Comme dans le cas du fonds de réparation Covid-19, il s'agit d'investir dans les énergies renouvelables, en mettant davantage l'accent sur les subventions aux groupes vulnérables pour rendre la transition abordable. À plus court terme, le fonds permet d'atténuer la hausse des factures énergétiques de ces groupes, car les alternatives vertes ne sont pas (encore) toujours disponibles. C'est ce type de soutien qui s'attaque à la racine de la perte de pouvoir d'achat.

Ces compensations ne peuvent être financées que si les épaules les plus larges assument la charge la plus lourde de la transition énergétique. Selon l'Agence internationale de l'énergie, les entreprises énergétiques réalisent cette année quelque 200 milliards d'euros de bénéfices excédentaires grâce au système de tarification marginale en vigueur dans l'UE. L'imposition de ces bénéfices est un bon début, selon l'agence.

Un tarif d'importation européen sur les combustibles fossiles russes est une autre option possible. La charge d'une telle taxe pèserait essentiellement sur les monopoles énergétiques russes et, dans une moindre mesure, sur les populations les moins défavorisés de l'UE. Une partie de cet argent pourrait être utilisée pour soutenir financièrement l'Ukraine et son accueil des réfugiés. Une mesure intelligente est toujours une mesure durable, au sens propre comme au sens figuré.

Willem Sas
Professeur d'économie publique à l'université de Stirling en Écosse et professeur affilié à la KU Leuven

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