L'industrie militaire européenne grandit et demande une vision à long terme

Près de trois ans après le début de la guerre en Ukraine, l'industrie européenne de la défense semble revitalisée. En 2023, celle-ci a enregistré une hausse de 16,9% de son chiffre d'affaires, selon les chiffres de l'Aerospace, Security and Defence Industries Association of Europe (ASD), l'association sectorielle qui réunit plus de 4.000 entreprises actives dans 21 pays européens.

La reprise, entamée en 2021, s'accélère donc après deux années consécutives de croissance d'environ 10%. Dans le détail, les secteurs terrestre et naval ont tous deux progressé de 17,7 %, tandis que l'aérospatial, qui reste le plus gros secteur, a grandi de 15,8%. Si les exportations militaires ont augmenté de 12,6% en 2023, cette croissance robuste a surtout été "tirée par les efforts continus des pays européens pour améliorer la sécurité et la préparation de la défense à la lumière de la guerre en cours en Ukraine", souligne l'ASD.

Mais ce réarmement se limite trop souvent à une "reconstitution des stocks à court terme, avec des munitions, des missiles", a regretté Guillaume Faury, CEO d’Airbus et président de l’ASD, lors d’un entretien avec la presse. "Il y a peu d’investissements à moyen terme pour des systèmes sophistiqués", a-t-il souligné.

75% des dépenses consacrées à l'importation

L'ASD dénonce des décennies de sous-investissement dans la défense, malgré l'engagement des États membre de l'Otan à y consacrer 2% de leur PIB. "Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, le budget combiné de la défense des États membres de l’UE n’a connu qu’une augmentation d’environ 20%", souligne l'association, qui pointe une croissance de 300% en Russie et de 600% en Chine.

Elle voit aussi d'un mauvais œil la "part significative" accordée aux fournisseurs étrangers: entre février 2022 et la mi-2023, 75% des dépenses européennes de défense ont été consacrées aux importations extra-européennes.

"Ces préoccupations font écho au récent rapport de Mario Draghi, qui a lancé un signal d’alarme clair sur le déclin de la compétitivité de l’Europe", souligne Guillaume Faury. Il appelle donc l'Union européenne à davantage favoriser la collaboration intra-communautaire, en renforçant ses récents programmes favorisant l'achat d'armes conjoints (Edirpa) et la production de munitions (Asap) tout en construisant une stratégie globale à long terme, via son projet Edis.

Des fusions sont-elles possibles?

Selon les estimations de la Commission européenne, le budget commun de l’UE pour la défense s’élèverait à 500 milliards d’euros. Mais selon une récente analyse de Bloomberg Intelligence, le continent entier va devoir redoubler d'effort pour affronter la menace russe tout en compensant le moindre soutien américain attendu sous la présidence de Donald Trump. Ainsi, les 15 plus grands États européens membres de l'Otan devront presque doubler leurs dépenses militaires pour atteindre un budget annuel commun de 720 milliards de dollars.

En filigrane, se pose la question des fusions d'entreprises dans ce secteur encore largement dicté par les intérêts nationaux. "Nous savons que nous sommes entourés de gros acteurs, donc peut-être devrions-nous regarder le marché", a suggéré Guillaume Faury. "Si nous maintenons un marché de petite taille, il y aura moins d’investissements."