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interview

Grégoire Dallemagne (Luminus): "Construire des projets renouvelables est de plus en plus difficile"

Le "pipeline" de projets éoliens de Luminus est en train de se détériorer, avertit son patron, Grégoire Dallemagne. ©ANTONIN WEBER / HANS LUCAS

À la veille de la décision sur la fermeture du nucléaire et au lendemain d’un rapport d’Elia prévoyant une explosion de la demande d’électricité, le CEO de Luminus fait part de son inquiétude quant à notre futur énergétique.

C’est un Grégoire Dallemagne préoccupé qui nous reçoit pour parler énergie, climat et neutralité carbone à l’horizon 2050. "Je suis inquiet. Obtenir des permis pour nos projets d’énergie renouvelable est particulièrement difficile. Malgré tous nos efforts, notre pipeline de projets s’assèche. Nous n’arrivons plus à atteindre nos objectifs. Nous allons encore bien construire en 2021, mais c’est le résultat des efforts de développement des années écoulées. Pour l’avenir, la situation se détériore." Une détérioration due à la fois à un allongement des délais d’obtention des permis et à un taux d’échec des projets plus important, estime-t-il.

L’avertissement n’a rien d’anodin: il émane du patron de Luminus, le numéro deux de l’énergie en Belgique, qui installe près d’une éolienne onshore sur trois et a investi près d’un milliard d’euros ces dix dernières années dans les renouvelables.

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L’étude d’Elia table, pour atteindre la neutralité carbone, sur une consommation directe d’électricité de 170 TWh en 2050, et de 245 TWh si on compte l’électrification indirecte.

Et il intervient une semaine à peine après la publication par Elia, le gestionnaire du réseau à haute tension belge, d’une étude sur la neutralité carbone à l’horizon 2050. Une étude qui conclut notamment qu’il va falloir tripler la vitesse de développement des énergies renouvelables en Europe.

Une consommation en électricité appelée à augmenter

Grégoire Dallemagne rappelle les chiffres: la consommation d’électricité en Belgique est aujourd’hui de moins de 85 TWh. Or l’étude d’Elia table, pour atteindre la neutralité carbone, sur une consommation directe d’électricité de 170 TWh en 2050, et de 245 TWh si on compte l’électrification indirecte, nécessaire pour produire des molécules vertes, comme l’hydrogène vert.

Une variante envisage même une demande électrique totale qui grimpe à 325 TWh. Des chiffres d’autant plus étonnants que dans ses études sur l’adéquation des moyens de production d’électricité, Elia ne prévoyait qu’une augmentation assez modeste de la demande.

"D'autres gestionnaires de réseau travaillent avec davantage de scénarios, en explicitant les hypothèses, pour permettre un débat."

Grégoire Dallemagne
Patron de Luminus

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Cela signifie-t-il que les hypothèses qui sous-tendent cette étude doivent être remises en question? "Je n’ai pas vu ces hypothèses, je n’ai pas vu les autres scénarios, je n’ai pas vu d’analyse coûts -bénéfices, et il y en a peut-être eu, répond le patron de Luminus. Ce que je constate, c’est que d’autres pays et d’autres gestionnaires de réseau travaillent avec davantage de scénarios, en explicitant les hypothèses, pour permettre un débat qui permet de choisir in fine la politique énergétique qui semble la plus appropriée."

Ouvrir le débat avec tous les acteurs

On demande à Grégoire Dallemagne si Elia, société privée cotée en bourse, ne joue pas un trop grand rôle dans la définition de la politique énergétique du pays. Pour rappel, c’est sur base d’un rapport d’Elia que le gouvernement doit décider si on sort définitivement du nucléaire en 2025. Et le gestionnaire de réseau publie maintenant, de sa propre initiative, une étude qui fait la part belle aux interconnexions électriques, qui constituent la base de ses revenus.

"Elia table sur deux tiers à trois quarts d'importation, mais il faut tenir compte du fait que les autres pays vont aussi électrifier."

Grégoire Dallemagne

La réponse est prudente. "Cette étude a le mérite d’exister, mais ce serait intéressant d’en débattre. Nous sommes disponibles pour échanger à ce sujet avec Elia. Discuter des hypothèses avec les producteurs, les fournisseurs, les gestionnaires de réseau de distribution, le Bureau du Plan ou l’administration pourrait être intéressant. Je crois qu’il serait aussi important d’avoir une forme de concertation entre le gouvernement fédéral et les Régions, pour s’assurer qu’on ait une politique énergétique cohérente, parce que je peux vous dire qu’on n’a jamais eu autant de difficultés d’avoir des permis pour développer de l’éolien."

À nouveau, le patron de Luminus insiste sur les ordres de grandeur. "Aujourd’hui, le solaire et l’éolien représentent 16 TWh en Belgique. Si on veut aller vers 245 TWh, comme le suggère Elia, cela veut dire faire fois 12! Alors Elia table sur deux tiers à trois quarts d’importations, mais il faut tenir compte du fait que les autres pays vont aussi électrifier, et avoir une croissance de leur demande. Le monde entier va dans la même direction."

"Nous arrivons en zone dangereuse"

Le changement climatique est une vraie préoccupation pour Grégoire Dallemagne. "Il y a eu cet été 50 degrés à Vancouver, une région que j’affectionne et que je connais pour avoir fait un stage chez Microsoft à Seattle. Des inondations ont touché le cœur de la Belgique. Cela provoque la détresse de dizaines de milliers de familles. Et plus grand monde ne doute que c’est lié à la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Nous arrivons en zone dangereuse. Il nous reste dix ans, selon les scénarios les plus prudents, avant d’avoir épuisé notre budget carbone. Et le chemin à parcourir est absolument considérable. Au pire de la crise covid, quand le monde entier était à l’arrêt, les émissions de CO2 étaient à 80%. Cela donne la mesure du chemin à parcourir pour atteindre le zéro carbone."

"Toutes les sources décarbonées doivent être examinées. Et dans les périodes sans vent et sans soleil, on aura besoin de centrales au gaz."

Grégoire Dallemagne
Patron de Luminus

Pour atteindre cet objectif, il faudra mettre les bouchées doubles, estime le patron de Luminus. "Il va falloir déployer tous les efforts de sobriété possibles, augmenter l’efficacité énergétique, développer un maximum de renouvelables, développer les interconnexions, développer l’électrification des véhicules ou du chauffage, parce que l’électricité est beaucoup plus efficiente que les énergies fossiles, et assurer un mix électrique le plus décarboné possible et suffisant pour assurer la sécurité d’approvisionnement. Et il me semble souhaitable d’analyser le rapport coût-bénéfice de différents scénarios."

Un ensemble de solutions

Fait-il allusion au nucléaire (Luminus est actionnaire à hauteur de 10% des deux réacteurs qui pourraient être prolongés) et aux centrales au gaz (Luminus a postulé, sans succès, avec un nouveau projet pour le CRM), deux thèmes sur lesquels Grégoire Dallemagne ne souhaite pas s'étendre?

"Face à l'urgence, toutes les sources décarbonées doivent être examinées, répond-il. Et dans les périodes sans vent et sans soleil, on aura besoin de suffisamment de centrales au gaz.  J’étais en visite à notre centrale de Seraing mercredi, elle tournait à plein régime. À ce moment-là, le mix électrique était constitué de 5.000 MW de nucléaire, et de 4.400 MW de gaz. Je regarde les choses en tant qu’industriel et je constate les faits. Il faudra, demain, produire assez d’électricité, et avoir suffisamment de flexibilité pour aligner à chaque instant l’offre et la demande. Il faudra pour cela un ensemble de solutions."

Les phrases clés

"D'autres gestionnaires de réseau travaillent avec davantage de scénarios, en explicitant les hypothèses, pour permettre un débat."

"Elia table sur deux tiers à trois quarts d'importation, mais il faut tenir compte du fait que les autres pays vont aussi électrifier."

"Nous arrivons en zone dangereuse. Il reste dix ans avant d'avoir épuisé notre budget carbone."

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"Toutes les sources décarbonées doivent être examinées. Et dans les périodes sans vent et sans soleil, on aura besoin de centrales au gaz."

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