Le piège infernal du Black Friday pour les petits commerçants
Coup d'envoi du Black Friday, un jour qui s'étire de plus en plus en semaine(s). Une aubaine pour les consommateurs et un coup de pression pour les petits détaillants.
Aux États-Unis et au Canada, le Black Friday est un incontournable de la vie économique. Organisé au lendemain de Thanksgiving (jour férié fixé au quatrième jeudi de novembre), il lance la période d'achats des cadeaux de Noël. Cette journée des "bonnes affaires", désormais muée en semaine(s) des "bonnes affaires", s'est invitée chez nous. Mais que pensent les gérants de commerce de cette énième période promotionnelle?
Depuis quelques semaines, les annonces de remises pullulent, sans toutefois avoir le prétexte des invendus de Thanksgiving. Certains commerçants y voient une opportunité de doper le chiffre d'affaires. D'autres mettent en avant une pression supplémentaire sur leur rentabilité; un sentiment particulièrement présent auprès des petits indépendants.
Après les jours de Noël, Nouvel An et le premier jour des soldes, le Black Friday représente la journée la plus importante en termes de transactions.
Comeos, la fédération regroupant les grands acteurs de la distribution, reconnait tout de même que l'engouement du début s'est quelque estompé. "Aujourd'hui, on voit des enseignes qui n'hésitent pas à participer au Black Friday et d'autres qui n'y participent plus", explique Hans Cardyns.
Néanmoins, après les jours de Noël, Nouvel An et le premier jour des soldes, le Black Friday représente la journée la plus importante en termes de transactions.
Comme une pression
La frilosité est plus palpable chez les petits commerçants où 3 commerçants sur 4 affirment ne plus participer à cet événement, préférant miser sur les soldes, "une pratique bien ancrée dans l'esprit des Belges".
Les clients finissent par avoir le sentiment que la promotion est la norme, rendant de plus en plus compliqué pour le détaillant de vendre à prix standard.
Et pourtant y renoncer n'est pas évident. "La majorité de nos membres disent ne pas avoir les épaules aussi larges que les grandes enseignes ou les grands noms du commerce en ligne compte tenu des marges trop faibles. Ils avancent que trop de réductions tuent les réductions", affirme Olivier Mauen du Syndicat neutre pour indépendants (SNI).
Mais voilà, la pression est là. Face à la multiplication des périodes de rabais (soldes, présoldes, braderie, mid-season....), les clients finissent par avoir le sentiment que la promotion est la norme, rendant de plus en plus compliqué pour le détaillant de vendre à prix standard.
La pression vient aussi de la concurrence. Si le commerçant fait abstraction du Black Friday, sa vente partira à la concurrence. Pour le SNI, cette pression agit sur plus d'un commerçant sur trois.
Pourtant, Olivier Vandenabeele, conseiller économique chez UCM, souligne que la pression entre commerçants se note tout au long de l'année: "Un petit détaillant dans la vente de meuble ne pourra jamais rivaliser avec Ikea. Il doit donc trouver à se démarquer par le service ou autre."
Trop, c'est trop
Davantage que le Black Friday, les petits détaillants disent crouler sous les périodes "événementielles" qui s’enchaînent: Halloween, Black Friday, Saint-Nicolas, fin d'année, soldes, Saint-Valentin, Pâques...
"L'hypercommercialisation des fêtes est également destructrice de la structure du marché."
Ces périodes pèsent sur la rentabilité des commerces, mais également sur l'organisation et la vie de famille. "Cette hypercommercialisation des fêtes est également destructrice de la structure du marché", ajoute Olivier Vandenabeele.
À cette hypercommercialisation des fêtes s'ajoute aussi l'hypercommunication autour de celles-ci. Le SNI dénonce ainsi cette stratégie qui consiste à communiquer de plus en plus tôt autour du Black Friday. "C'est souvent préjudiciable aux ventes, car elle entraîne souvent le report inutile de certains achats."
Mieux encadrer
Pour éviter de sombrer dans la jungle, Ecolo avait, il y a quelques années, souhaité encadrer le Black Friday pour préserver l'économie locale et une consommation respectueuse de l'environnement. La proposition s'était notamment heurtée à la volonté d'UCM de ne pas œuvrer pour un cadre strict, mais plus global.
Aujourd'hui, l'Union des classes moyennes souhaiterait, outre la réglementation actuelle sur l'affichage, une réglementation sur la durée, histoire de limiter la dérive d'un Black Friday mué en "black week" ou "black month".
Notons toutefois qu'à l'opposé des soldes, le Black Friday - comme les autres périodes promotionnelles - ne permet pas les ventes à perte.
C’est donc reparti pour la "foire aux bonnes affaires" du Black Friday. En 2022, le "vendredi noir" a été le jour de l'année où le plus grand nombre d’achats en ligne ont été enregistrés, soit 645.195 opérations en 24 heures, ou encore 448 transactions par minute, pour un chiffre d'affaires global de 61,4 millions d'euros.
Mais aujourd’hui, le contexte se prête-t-il à cette nouvelle fièvre consumériste? Pour Gino Van Ossel, professeur en retail marketing à la Vlerick School, la réponse est plutôt positive. "On n’est certes plus dans la situation d’il y a un an avec la crise énergétique, mais il y a encore beaucoup d’inflation, le consommateur regarde à deux fois avant d’ouvrir son portefeuille, relève-t-il. Il est donc en quête de bonnes affaires. Et il y en a à faire, notamment dans un secteur comme la mode où il y a beaucoup de stocks en raison de la météo clémente du début de l’automne." L’expert observe que beaucoup de consommateurs profitent du Black Friday pour déjà procéder à leurs achats de cadeaux de Saint-Nicolas et de Noël.
"C’est un des problèmes qui montrent les limites de la globalisation, embraie Isabelle Schuiling, professeur de marketing à l’UCLouvain, le Black Friday ne correspond pas à la manière de procéder en Belgique où il existe deux périodes de soldes bien distinctes, en janvier et en juillet; faire des promotions à une époque, celle des fêtes où le consommateur va de toute façon ouvrir son portefeuille, est une mauvaise idée, surtout pour les petites enseignes." Mais elles ont de moins en moins le choix et beaucoup se sentent obligées de suivre, estime Isabelle Schuiling. "Finalement, ce sont les grands opérateurs étrangers du commerce électronique qui en profitent comme Amazon, Coolblue ou Bol.com, car ils peuvent jouer sur le volume", poursuit-elle.
"Certains petits commerçants qui ont des problèmes de cashflow peuvent être tentés faire de grosses ristournes aujourd'hui, mais c'est une solution de court terme sachant que les soldes suivent quelques semaines plus tard", complète Gino Van Ossel.
Des promos à nuancer
Quant à savoir si le Black Friday est vraiment la foire aux bonnes affaires que l’on prétend, beaucoup ont des doutes. "Il faut être vigilant, prévient Daphnée Boizard, professeur de marketing à l’Ephec, certaines marques gonflent leurs prix quelques semaines avant le Black Friday pour faire croire le jour venu qu’elles font de grosses promos." Un constat que confirme Mathieu Guffens, fondateur de MOSC (Mobile Online Shopping Cart), une application belge qui permet de consulter l'historique des prix en ligne. En règle générale, les prix des articles augmentent à partir de la fin août, après les soldes d'été. Ils diminuent à nouveau pendant la période du Black Friday avant de repartir à la hausse, jusqu'aux soldes d'hiver. Bref, "avant de craquer pour une offre spéciale, il faut garder à l'esprit qu'en moyenne, le prix d'un article ne baisse que de 2% lors du Black Friday", assure-t-il.
Testachats recommande lui aussi la prudence: sur les plus de 17.000 deals que suit l’organisation consumériste dans 28 catégories de produits, seuls un peu plus de 4.200 sont réellement de bonnes affaires, soit 24%, indique-t-elle. Pour Testachats, un bon deal est celui qui porte sur un produit ayant obtenu de bons scores de qualité à ses tests et dont le prix n’est pas supérieur de 1% à la moyenne des prix les plus bas des 12 derniers mois. "Acheter quelque chose dont on n’a pas besoin ou qui est de mauvaise qualité n’est jamais une bonne affaire, même avec une réduction de 70%", prévient Julie Frère, porte-parole.
Bref, il appartient au consommateur de ne pas prendre des vessies pour des lanternes. "Si ces promos existent, c’est qu’il y a une demande, résume Daphnée Boizard; on observe, en effet, une recherche permanente de bonnes affaires chez le consommateur, mais aujourd'hui, celui-ci dispose de suffisamment d’outils pour comparer les produits et les prix."
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