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Décarbonation: l'industrie belge devra investir au moins 25 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2050

L'industrie chimique (ici BASF Anvers) sera la plus coûteuse à décarboner. ©ANP / Peter Hilz

Pour se décarboner et rester compétitive, l'industrie aura besoin de l'aide des pouvoirs publics belges et européens. Selon nos estimations, les investissements additionnels à soutenir dépasseront le milliard d'euros en moyenne par an.

D'ici 2050, l'industrie belge devra investir au minimum 25 milliards d'euros supplémentaires pour atteindre les objectifs européens de neutralité carbone.

Ce chiffre, ni officiel, ni définitif, nous l'avons estimé en agrégeant plusieurs études s'étant risquées à quantifier l'immense défi de la décarbonation industrielle belge. Mais qu'elle passe par l'électrification des processus, l'utilisation de gaz bas-carbone, la capture de CO2, ou les trois ensemble, il est certain que la modernisation des usines du territoire nécessitera un soutien public massif.

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Or, en l'absence de cartographie officielle des projets ou d'une évaluation, même approximative, des besoins, les acteurs du secteur et les pouvoirs publics doivent composer avec une grande incertitude, faisant de la construction d'une solution structurelle au besoin d'accompagnement des grands pollueurs dans leur transformation un exercice aujourd'hui impossible en Belgique.

Et les conséquences sont déjà visibles. Explications.

Pour l’instant, les gouvernements sont en mode réaction et usent de tous les moyens à leur disposition pour tenter de contenter dans l'urgence les acteurs dont le pouvoir de négociation est revenu au plus haut.

L'industrie de retour sous les projecteurs

Depuis le covid et la crise du gaz russe, les grands industriels ont su recapter l’attention des autorités en agitant l'épouvantail (bien réel) de la perte de compétitivité européenne. Et de sa conséquence funeste: les délocalisations.

Rassérénés par la déclaration d’Anvers, qui a réuni une septantaine de capitaines d'industries autour de "10 actions urgentes" à entreprendre pour éviter que leurs secteurs respectifs ne sortent de la course, des acteurs de premier plan de l'économie belge ont d'ailleurs commencé à révéler leurs plans. Citons, comme exemples récents, Lhoist et son projet à 250 millions d’euros pour décarboner sa production de dolomie dans la province de Namur d’ici 2031, ou encore, le plus emblématique de tous, ArcelorMittal et son investissement de "bien plus d’un milliard" pour électrifier (et maintenir) son stratégique haut-fourneau gantois.

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Pour l’instant, les gouvernements (désormais en affaires courantes), sont en mode réaction et usent de tous les moyens à leur disposition pour tenter de contenter dans l'urgence ces acteurs dont le pouvoir de négociation est revenu au plus haut.

Dans l'idée d'apporter une réponse à l'attractivité retrouvée des États-Unis depuis l'entrée en vigueur de l’Inflation Reduction Act et face à la concurrence d'autres États membres de l’Union européenne, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld), ses collègues régionaux et les véhicules d'investissement publics ont enchaîné prises de participations stratégiques, prêts avantageux, subsides et autres plafonnements des tarifs de transport de l’électricité comme autant de preuves de leur bonne volonté. Dans le cas d’ArcelorMittal Gand, un accès privilégié à la production des réacteurs nucléaires prolongés à prix réduit a même été promis.

Ce qui pose une question: que sera-t-on en mesure d'offrir au prochain ArcelorMittal? Et, plus loin, a-t-on une idée du nombre total de plans de modernisation de sites industriels en demande de soutien public?

Un milliard
euros
En agrégeant les estimations des études de la BNB, de McKinsey et d'EnergyVille, on peut avancer qu'un minimum d'un milliard d'euros supplémentaire devra être investi en moyenne chaque année par l'industrie pour se décaboner d'ici 2050.

Au moins un milliard en moyenne par an

À notre connaissance, pareille cartographie n'existe pas. En compilant une estimation de la Banque nationale de Belgique (2023) et les études du consultant McKinsey (2023) et du consortium de recherche EnergyVille (2022), nous avons tenté de quantifier le seuil minimum des investissements nécessaires à la décarbonation du secteur industriel en Belgique.

Il serait ici question d’au moins un milliard d’euros supplémentaire à investir en moyenne sur base annuelle, soit environ 25 milliards d’ici 2050, date fixée par l’Europe pour atteindre la neutralité carbone.

Ce chiffre donne un ordre de grandeur au phénomène et n'est en rien définitif. D'abord parce qu'il sera influencé par des éléments encore inconnus: prix de l'énergie, contexte géopolitique, progrès et maturité technologique, etc. Ensuite, car celui-ci dépend du scénario de référence considéré par les différents chercheurs. Et également en raison des différentes méthodes adoptées, principalement concernant le coût de réduction d'une tonne de CO2 qui a été pris comme base des calculs par chacun.

La BNB, par exemple, mise sur un coût moyen de l'ordre de 140 euros la tonne pour l'industrie. Ce qui, si on extrapole, mènerait à un niveau annuel de nouveaux investissements autour de 4 milliards d'euros. Chez McKinsey, on table sur un coût moindre et on avance une fourchette de 30 à 45 milliards d'investissements supplémentaires d'ici 2050 (sur un total de 415 milliards jugés nécessaires à la neutralité carbone du pays). Selon EnergyVille et son scénario le plus équilibré, les investissements passeront progressivement de 0,87 milliard à plus de 2 milliards annuellement entre aujourd'hui et 2050.

À noter aussi que les différentes études tablent sur une production industrielle au minimum stable à long terme.

Un pic des investissements à anticiper

Ce qui rend aussi l'exercice difficile est l'hétérogénéité de l'industrie elle-même. Les besoins d'un verrier ne sont pas les mêmes que ceux d'un aciériste ou d'un chimiste. Certains (sidérurgie, manufacture) miseront plus sur l'électrification, d'autres (cimenteries, producteurs de chaux) sur la capture carbone tandis que les fabricants d'engrais et les raffineurs seront davantage friands d'hydrogène bas carbone et autres gaz synthétiques.

"Les investissements les plus importants auront lieu au début de la période de transition."

Bureau fédéral du Plan

En revanche, il est certain que des investissements massifs seront nécessaires en amont. C'est d'ailleurs ce que pointe le Bureau fédéral du Plan dans son étude de 2024 consacrée aux "Perspectives énergétiques" belges. "Les investissements les plus importants auront lieu au début de la période de transition", y lit-on, le Bureau argumentant qu'"en anticipant dès le début la hausse continue des prix dans le système d'échange de quotas d'émission, les entreprises évitent des coûts supplémentaires".

Et le Bureau de préciser qu'au jeu des investissements énergétiques, c'est le secteur chimique - particulièrement représenté en Belgique - qui "réalise, à chaque période, la plus grande part".

Bien sûr, le timing des dépenses dépendra d'autres variables. Ici, la fédération chimique Essenscia cite "les obligations fixées au niveau européen, les éventuels objectifs intermédiaires fixés à 2040 mais également la programmation des cycles d’investissements", comme principaux repères. Notons aussi qu'EnergyVille plaide plutôt pour un accroissement des investissements moyens annuels dans le temps, arguant que les dernières tonnes de CO2 seront les plus chères à supprimer.

Besoin d'une réponse globale

En avançant prudemment qu'au moins 25 milliards additionnels devront être investis par les industriels dans leur décarbonation d'ici 2050, et que le gros du montant devra être avancé dans la décennie en cours, il apparaît au mieux hasardeux de traiter le phénomène de la transformation industrielle au cas par cas. Un constat renforcé par la difficulté aujourd'hui à lever le voile d'incertitude qui recouvre encore les "cycles d'investissements" des groupes industriels.

Pour sauvegarder la "compétitivité européenne" tout en endiguant la guerre aux subsides que se mènent les États membres, la nouvelle Commission européenne se verra inévitablement confier la délicate mission de réconcilier de manière structurelle les objectifs climatiques aux objectifs économiques. Le tout dans un contexte où, rappelons-le, la voix de la discrète industrie porte plus fort que jamais. Et où les cartes du pouvoir politique ont été rebattues.

3 questions à Vincent Michel, directeur du programme de décarbonation GO4ZERO de l'usine d'Obourg du cimentier Holcim

Craignez-vous que le Green Deal passe à la trappe?

Non, le cadre légal est très clair et le Green Deal ne sera pas et ne pourra pas être remis en cause. Oui, il y a une montée de l’extrême droite et une baisse des écologistes, mais la coalition libérale, sociale-démocrate et chrétienne-démocrate [de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, NDLR] est certainement toujours convaincue de son importance. Par contre, sans une vision claire sur les moyens financiers qui doivent lui être alloués, le Green Deal risque de ne rester qu'une ambition de papier. Je crains justement que ces moyens sur lesquels nous misons soient adaptés en fonction des priorités socio-économiques et contribuent d'abord à d'autres objectifs. Ce sera la grande question pour les prochains mois.

Comment aligner impératifs climatiques et économiques?

L’Europe se positionne comme le continent des clean techs. Aujourd’hui, on continue néanmoins à voir une invasion de produits et technologies principalement asiatiques et américains. L’impératif économique va venir de l’impératif écologique, avec le développement de solutions qui contribueront à améliorer notre cadre de vie en réduisant drastiquement l'empreinte carbone: électrolyseurs, capture de carbone et sa séquestration, solutions de rénovation du bâti, digitalisation de la construction et de l’agriculture...

On a certainement une avance indiscutable sur ces développements. L’enjeu, c'est de capturer la valeur ajoutée en passant à la mise en œuvre, à la production locale de ces technologies développées au sein de l’Union.

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Ceci dit, il y a toujours une nécessité de financer massivement la construction des réseaux du futur, en particulier sur les énergies, les nouvelles molécules vertes comme l'hydrogène ou encore le CO2 capturé et purifié. Il s'agit de ne pas se louper et de montrer du volontarisme pour avoir un réseau dense pour le transport du CO2 et de l'hydrogène, financé sans timidité par les pouvoirs publics.

Le résultat du scrutin européen remet-il en cause les investissements d’Holcim dans la décarbonation?

Non, Holcim a un engagement de capturer 5 millions de tonnes de CO2 par an à l’horizon 2030. Décarboner nos produits et offrir des solutions bas-carbone pour la construction fait maintenant partie de l’ADN de l’entreprise. La question de fond, c’est de savoir quelle va être l’évolution du cours du CO2 dans le cadre du système européen de commerce des quotas. Cela peut accélérer ou ralentir notre prise de décision finale d’investissement et surtout d'engagement dans des contrats de mise en œuvre de la chaîne de valeur du carbone, qui pèsent plusieurs milliards d’euros sur les 15-20 prochaines années. Si le cours du CO2 est bas et surtout très volatil, on risque de payer plus cher pour décarboner que la taxe CO2 de l'ETS. Cela dit, la probabilité que cela se produise est faible, selon nos évaluations. A contrario, il ne faut pas non plus que le CO2 soit trop cher, ce qui induirait une inflation importante et un impact pour les ménages, et réduirait le potentiel de croissance de nos marchés. Cela pourrait aussi amener certaines entreprises à se délocaliser. C’est un équilibre compliqué, mais nous devons de toute façon avancer.

- M. DELRUE

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