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interview

Nicolas Lambert: "Le marketing doit sortir de ce mode de stimulation constante de désirs"

Nicolas Lambert a travaillé à la fois pour des multinationales comme Unilever, AB InBev et Heineken et pour une ONG comme Fairtrade Belgium. ©ANTONIN WEBER / HANS LUCAS

Dans son livre "Le marketing peut-il sauver le monde?", le consultant Nicolas Lambert décode les défis des marketers face aux enjeux du développement durable.

Ancien responsable marketing dans des multinationales comme Unilever, AB InBev et Heineken, Nicolas Lambert a fait son coming out en 2016 en dirigeant le label Fairtrade Belgium pendant six ans.

Devenu aujourd’hui consultant et enseignant en marketing, il publie un ouvrage au titre volontiers provocateur: "Le marketing peut-il sauver le monde?" (1), où il propose une réflexion et fournit des outils pour réinventer le marketing dans une économie en transition.

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A priori, marketing et développement durable sont antinomiques. Vous voulez démontrer le contraire?

J’essaie d’être nuancé. Évidemment, le marketing ne va pas seul "sauver le monde". Il y a d’autres dimensions, politiques, citoyennes, etc. Mais le marketing peut y contribuer à condition de se remettre sérieusement en question. Il doit sortir de ce mode de stimulation constante de désirs arrivant à des phénomènes comme la fast fashion ou le fast-food, qui font que nous consommons l’équivalent de 10 tonnes de carbone par an, alors que nous ne devrions pas en dépasser plus de 2 pour respecter les accords de Paris.

"La clé, c’est de faire pivoter le système, mais cela exige une mobilisation de tout le monde: entreprises, politiques, ONG, consommateurs..."

Nicolas Lambert
Consultant et enseignant en marketing

N'est-ce pas schizophrénique pour un marketer d’à la fois susciter le désir chez le consommateur et se poser en chevalier blanc de la modération consumériste?

C’est tout le sujet du livre: comment gérer les tensions au sein de ce ménage à trois que sont les intérêts des entreprises, de leurs consommateurs et de ce nouveau membre que sont les intérêts de la société et de la planète. Il faut arrêter avec le discours bisounours qui veut que les consommateurs voulant consommer plus durable, cela va se régler naturellement.

"Le développement durable n'est pas une tendance marketing", estime Nicolas Lambert.
"Le développement durable n'est pas une tendance marketing", estime Nicolas Lambert. ©ANTONIN WEBER / HANS LUCAS

Je préfère mettre en avant la notion de marketing bienveillant, qui consiste à ne pas considérer le consommateur comme un junkie approvisionné par un dealer, mais comme un être humain et qui prend en compte l’intérêt général, alors que toute la théorie marketing est basée sur les besoins individuels. On peut d’ailleurs se demander si c’est encore du marketing; certains ont même lancé le terme de mark-éthique.

Y a-t-il cette prise de conscience chez les marketers?

Oui, très clairement. Il y a d’ailleurs au sein de BAM, l’association du marketing, différents groupes de réflexion sur cette problématique. Je suis plutôt optimiste, je constate une sincère volonté de changement. Là où je le suis moins, c’est que nous sommes tous – citoyens, consommateurs, entreprises, politiques – coincés dans un système.

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J’ai vécu ça chez Fairtrade: quand je demandais aux acteurs de la grande distribution d’essayer d’élargir leur assortiment de chocolat et de bananes équitables, je sentais qu’ils étaient prêts à le faire, mais qu’en même temps, ils étaient tenus par le reporting trimestriel exigé par la bourse. La clé, c’est de faire pivoter le système, mais cela exige une mobilisation de tout le monde: entreprises, politiques, ONG, consommateurs...

"Des études montrent que 80% des consommateurs se méfient des pubs mettant en avant des arguments de développement durable."

Nicolas Lambert
Consultant et enseignant en marketing

Justement, les consommateurs se disent sensibilisés, mais dans l’acte d’achat cela ne suit pas toujours. Ainsi, les ventes de produits bio ont reculé en 2022…

C’est ce qu’en marketing, on appelle le "behaviour intention gap". Cela montre l’importance de l’approche systémique qui consiste à impliquer tout le monde. Si le consommateur veut acheter du café équitable, il doit pouvoir le trouver en magasin à un prix abordable.

Chez Fairtrade, les distributeurs me répondaient que ces produits ne se vendaient pas. Mais en même temps, leur offre était faible et mal mise en valeur dans les rayons et vendus trop cher. Bref, tout le monde doit prendre ses responsabilités et devenir acteur du changement, y compris le politique, comme régulateur, même si les entreprises n’aiment pas trop ça.

Le développement durable n’est pas une tendance marketing. Sinon cela voudrait dire que si le marché stagne, comme l’a fait le bio l’an passé, il ne faudrait plus s’en occuper. C’est tout le contraire qu’il faut faire.

Vous citez quelques bons élèves, comme Decathlon, Patagonia, Galler, etc. Mais certains de ceux-ci continuent de produire bas coût à l’autre bout de la planète…

Patagonia c’est le saint-graal l’archétype de l’entreprise vertueuse. Au point que son fondateur a donné sa société à une ONG pour protéger la planète plutôt que de la faire entrer en bourse. Cela s’est aussi traduit par ce slogan "Don’t buy this jacket" qui peut aussi être vu comme une manière de mettre en avant la solidité de la veste!

"Le greenwashing est davantage dû à de la maladresse qu’à une volonté de tromper."

Nicolas Lambert
Consultant et enseignant en marketing

Pourtant, son directeur marketing a affirmé dans une récente interview que la marque n’était pas durable, qu’elle avait, elle aussi, une empreinte environnementale, qu’elle n’était pas parfaite. J’ai trouvé ça très courageux quand on connaît l’aura de cette marque.

Chez Decathlon, on sait aussi qu’on n’est pas parfait, mais on sent une volonté de se transformer, d’aller vers l’économie circulaire, avec la location d’articles, la vente de produits d’occasion et, maintenant, une formule d’abonnement. Certes, c’est bon pour leur image, mais il faudra voir sur le long terme quel sera l’impact sur leurs ventes. S’il n’y en pas, on pourra dire que c’est du greenwashing, une simple opération de com’. Mais il me semble que leur démarche est sincère...

Decathlon s'est notamment lancé dans la location de tentes pour les festivals.
Decathlon s'est notamment lancé dans la location de tentes pour les festivals. ©Gladiolen

Comment, en effet, éviter de tomber dans le greenwashing?

C’est très compliqué. Des études montrent que 80% des consommateurs se méfient des pubs mettant en avant des arguments de développement durable. Mais on est là dans la perception, car selon des experts de l’Union européenne, "seulement" 50% des campagnes sur ce thème sont du greenwashing.

Les marketers doivent être conscients de ce climat d’extrême méfiance et être très prudents. Ils doivent adopter une nouvelle culture de communication et désapprendre les anciennes techniques. Car quand on parle aux gens de développement durable, on parle du futur de leurs enfants et de la planète, pas de leur t-shirt qui est plus blanc que celui de la voisine. Mais je pense que le greenwashing est davantage dû à de la maladresse qu’à une volonté de tromper.

Le législateur ne devrait-il pas être plus sévère en la matière envers certains secteurs, comme il l’est avec le tabac, l’alcool ou les jeux de hasard?

Oui, l’autorégulation publicitaire ne suffit pas. Il faut davantage réguler. Ce n’est pas un tabou d’interdire la pub sur des produits polluants comme des gros SUV.

(1) Editions Racine, 181 pp.

Le secteur du marketing face à la réalité du développement durable

Comme l’explique Nicolas Lambert, une prise de conscience voit le jour chez les marketers. Des initiatives individuelles et collectives sont prises pour tenter de faire cohabiter les enjeux de marché et les défis du développement durable.

"Il faut passer du 'bullshit marketing', qui ne cherche qu’à générer du profit, au 'meaningful marketing', un marketing qui a un impact positif sur la société", résume Alain Mayné, responsable du département stratégie de l’agence de design de marques Hoet & Hoet, et membre du board de la BAM, l’association belge du marketing.

Et celui-ci d’épingler ce paradoxe révélé par différentes études: "Les gens estiment que 75% des marques pourraient facilement être remplacées, mais ils sont presque aussi nombreux à dire que les marques font parte de la solution pour l’avènement d’un nouveau modèle de société."

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Au sein de la BAM, la réflexion est née voici cinq ans environ. Des groupes de travail réunissant une quarantaine d’experts ont vu le jour afin de changer de paradigme. Cela a notamment mené à l’initiative CommToZero lancée avec d’autres associations (agences de com’, médias, annonceurs), soit le développement d'outils permettant de réduire l’empreinte carbone des campagnes publicitaires. Pareil outil existe déjà dans le secteur de la communication événementielle.

Initiatives individuelles

Des initiatives individuelles ont également vu le jour. L’agence Havas a développé Havas Impact Carbone, un outil de mesure de l’impact carbone des campagnes.

De son côté, l’agence de pub Air a été labellisée B Corp l’automne dernier. Ce label international certifie qu’elle répond aux normes les plus élevées en matière de performances sociales et environnementales. "Si nous faisons partie du problème, nous faisons aussi partie de la solution", estimait alors son cofondateur, Eric Hollander. Et le patron d'ajouter: "Si nous avons un savoir-faire pour influencer le comportement d’achat des gens, nous l’avons aussi pour faire en sorte qu’ils changent leurs habitudes de consommation."

Quant à la startup GiveActions, elle a créé un label et un comité éthique, pour valider les annonceurs et les campagnes à impact positif.

Et puis, il y a Blue Screen, lancé par RMB, régie pub de la RTBF, en mars. Soit des écrans publicitaires placés avant les JT réservés aux marques "écoresponsables". Faute de source officielle pour mesurer la fiabilité de ces démarches écoresponsables, la régie a développé ses propres critères rassemblés dans une "charte d’éligibilité".

"La difficulté est de trouver suffisamment d’annonceurs rencontrant les critères de la charte, qui sont très exigeants, sinon cela pourrait être préjudiciable à l’initiative, qui se veut porteuse de changement positif au niveau des choix de consommation, mais aussi au niveau de la visibilité des annonceurs. Il y a beaucoup d’intérêt des annonceurs, mais peu d’élus", explique sa responsable Valérie Janssens. L’initiative a donc été interrompue provisoirement et sera relancée en septembre 2023.

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