Le débat arrive gentiment à sa fin. D'ici à quelques semaines, les autorités devraient se positionner définitivement sur l'arrivée d'un quatrième opérateur mobile en Belgique. À l'heure actuelle, le marché se sépare entre Orange, Base (Telenet) et Proximus. Chacun dispose de sa propre infrastructure. De quoi permettre de prendre des nouvelles de tata après sa vaccination ou de hurler son amour à Lukaku après avoir vu son dernier but sur son smartphone.
Si le Codeco en décide ainsi, une nouvelle couleur pourrait donc bien s'ajouter aux mauve, orange et jaune. L'artiste à la recherche d'un tableau plus coloré se nomme Petra De Sutter. La ministre des Télécoms serait plutôt en faveur de (ou du moins pas contre) l'entrée d'un petit nouveau. L'ambition? Faire baisser les prix. L'idée est jolie et ravit les consommateurs. Mais comme souvent, les enjeux sont un poil plus complexes.
Avec la possible arrivée d’un quatrième acteur, le message envoyé est clair: il manque de concurrence mobile sur notre marché. Vraiment? Depuis des années, la réputation de la Belgique n'est pas des plus enviables, puisqu'elle est souvent considérée comme le mauvais élève européen. Lorsqu'on se penche sur la facture télécom globale, il semble effectivement possible de faire mieux.
Mais pris seul, le marché mobile s'en sort plutôt pas mal. Selon l'IBPT, la tendance est d'ailleurs à la baisse depuis des années. C'est indiqué clairement sur un joli graphique page 17 de son dernier rapport. La facture pour utiliser son smartphone est en baisse constante. Depuis 2014, les prix des services mobiles ont diminué de 23,7%.
Comparée à la situation chez nos voisins, la situation ne semble pas trop mauvaise non plus. La France, l'Allemagne et l'Italie comptent effectivement quatre opérateurs, mais pour des marchés autrement plus vastes. Les Pays-Bas, avec un marché très comparable au belge (densité de population, nombre d'habitants, structure du réseau….), ont un temps compté jusqu'à cinq opérateurs. Ils ne sont aujourd'hui plus que trois. Si l'on se penche sur les chiffres repris par l'Union européenne, on constate également que la Belgique fait juste un peu mieux que la moyenne européenne.
"Depuis 2014, les prix des services mobiles ont diminué de 23,7%. "
Avec des prix en baisse depuis 7 ans et une situation européenne dans la moyenne, le régulateur est arrivé à la conclusion suivante: "le marché mobile belge n’est pas caractérisé par des problèmes concurrentiels majeurs qui nécessitent ou permettent facilement une intervention ex ante". La phrase est tirée du rapport de l'IBPT de 2017, remis à jour il y a quelques semaines. "Si le marché mobile belge n’est pas caractérisé par des problèmes concurrentiels majeurs, il n’en reste pas moins que la concurrence peut être renforcée", s'empresse toutefois d'ajouter le régulateur.
C'est visiblement ici que se situe la nuance. "Effectivement, il y a de la concurrence, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'efforts à faire pour continuer à améliorer la situation", explique Axel Desmedt, membre du comité de l'IBPT. "La Belgique a ici l'occasion unique d'ouvrir son marché pour les 20 prochaines années. C'est une décision importante. Le message n'est pas qu'il faut absolument plus de concurrence, mais plutôt qu'il n'est pas nécessaire de la fermer".
Tout le monde n'est toutefois pas vraiment du même avis. Fin décembre, Proximus, le plus gros opérateur belge, a annoncé le rachat de Mobile Vikings, le plus gros opérateur MVNO (qui ne dispose pas d'infrastructures et qui en loue à un concurrent). Invitée à se prononcer sur ce rachat, l'autorité de concurrence n'a rien trouvé à redire, envoyant donc, elle aussi, un message assez clair sur ce qu'elle pense du marché. "Il y a une différence entre la démarche qui consiste à fermer la porte à un nouveau candidat et celle qui interdit une acquisition", justifie Axel Desmedt.
Lire aussi
La concurrence est donc bien réelle sur le marché, mais les autorités (du moins la ministre et l'IBPT) ne sont pas contre l'idée d'ouvrir le marché à un candidat en plus. Oui, mais comment? C'est là que ça se complique.
Installés sur notre marché depuis des années, les opérateurs belges ont aujourd'hui une position confortable. Afin de donner plus de chances au nouveau venu, Petra De Sutter ne serait pas contre un petit coup de pouce. Le processus, actuellement analysé par le Conseil d'État, propose de mettre en place une série d'éléments pour aider le nouveau candidat. Ce dernier pourra notamment utiliser durant huit ans les infrastructures de ses concurrents en attendant la mise en place de sa propre installation. Le plus gros avantage concerne toutefois la possibilité d'obtenir une partie du spectre, indispensable au déploiement, sans passer par la case enchères. Le fameux principe de réservation qui fait grincer des dents sur le marché. Premier hic.
Le second hic est beaucoup plus embêtant. Il concerne l'article 52.2 du code des télécoms européen. Nul n'est censé ignorer la loi, mais un petit rappel ne fait pas de mal. Il indique que les autorités ont le droit d'intervenir sur le marché quand elles estiment cela nécessaire. Mais pas n'importe comment. Elles doivent fonder “leurs décisions sur une évaluation prospective objective des conditions de concurrence sur le marché".
Si l'on revient quelques paragraphes plus haut, on constate que les grandes institutions du pays ont visiblement un peu du mal à exprimer une position claire sur le marché. Un recours juridique d'un opérateur qui se sentirait lésé n'est donc pas à exclure. Les anti-5G pourraient y voir aussi un chouette moyen de ralentir le déploiement. Une option pas si fumante que ça. Une démarche judiciaire avait été entamée pour dénoncer la mise à disposition de fréquences provisoires. Le tribunal avait finalement renvoyé la décision, ne s'estimant pas compétent.
Le principe de réservation ne chipote d'ailleurs pas que les opérateurs et potentiellement les anti-5G. Lundi 21 juin, devant le Parlement, Elio Di Rupo, ministre-président wallon, s'est positionné sur le dossier. "Nous ne marquerons notre accord ni sur la proposition telle que formulée ni sur les conditions préférentielles octroyées via les arrêtés royaux à l'entrée du quatrième opérateur et nous avons fait part de notre questionnement sur la politique tarifaire".
INFORMATIONS
Pour le principe de réservation, on n’y est donc pas encore tout à fait. Le système avantageux n'est toutefois pas indispensable pour permettre à un nouvel acteur d'attaquer le marché. Ce sera plus compliqué, mais faisable. Du moins en théorie, car visiblement il y a encore un paquet d'embûches.
La première est technique. Le déploiement de la 5G se fera sur une série de bandes de fréquences différentes. Pour résumer, les "basses" permettent une couverture large et les "hautes" augmentent la qualité du réseau dans les régions denses. Lors de la mise aux enchères, chaque bande sera découpée habilement entre les différents opérateurs. Divisée en trois, la ressource permet à chacun de s'y retrouver. Si la division doit se faire en quatre, certaines bandes pourraient voir leur performance affectée. C'est le cas notamment pour la bande 700 MHz. Elle dispose d'une largeur de 30 MHz. Dans l'idéal, il faudrait que chaque opérateur dispose d'au moins 10 MHz de cette bande. 30 divisé en 4, on a vérifié plusieurs fois, on n’y est pas.
L'IBPT l'exprime même dans un de ses rapports. "Pour la 5G, l'un des trois acteurs, tout comme le nouvel entrant, disposera de 5 MHz au lieu de 10 MHz dans la bande 700 MHz. De ce fait, la capacité de débit de ces opérateurs dans les zones rurales (et la couverture intérieure profonde) sera réduite. Cette capacité réduite peut toutefois être compensée par d'autres bandes, à condition que d’autres technologies soient arrêtées plus tôt (par exemple la 3G). Enfin, il convient de noter que des problèmes de qualité temporaires peuvent survenir pendant la période de migration".
Il faudra donc arrêter plus vite la 3G et peut-être repenser la répartition. De quoi compliquer la vie des opérateurs, même si selon l'IBPT, il y aura bien assez de place pour tout le monde pour déployer correctement. En théorie. Dans la pratique, les migrations et la réorganisation nécessaire ne raviront pas les opérateurs et auront forcément un coût. Selon certaines sources, il semblerait que des problèmes similaires pourraient également se présenter sur la bande de fréquence 900MHz.
Dans l'idéal, il faudrait que chaque opérateur dispose d'au moins 10 MHz de cette bande. 30 divisé en 4, on a vérifié plusieurs fois, on n’y est pas. De fait, la capacité de débit de ces opérateurs dans les zones rurales sera réduite.
En manque d'un débat de comptoir à Bruxelles? On vous conseille celui sur les normes d'émission des antennes. Aujourd'hui, la capitale belge et ses 6 V/m est la Région la plus exigeante d'Europe concernant les émissions d'ondes. La commission délibérative bruxelloise proposait récemment de les monter jusqu'à 14,5V/m pour permettre l'implantation. Pas idéal, mais suffisant pour au moins débuter le déploiement de la 5G. À trois. Se partager les 14,5 V/m à quatre aura aussi des conséquences. "Au final, on parle de la même tarte à séparer autrement”, confirme Axel Desmedt.
Ensuite, le débat environnemental ne concerne pas que les ondes. Les conséquences énergétiques seront également à tenir en compte. Si la technologie 5G permet de transporter les données de manière plus écologique par bit, il est certain que la consommation de data va s'emballer et donc augmenter la consommation énergétique. Pas spécialement réjouissant pour mère Nature. Et selon Axon, qui a réalisé une étude pour le régulateur, un quatrième opérateur pourrait noircir le tableau. Dans le pire des scénarios, le nouveau venu augmenterait de 15% la consommation d'énergie. La faute notamment au déploiement d'infrastructures nécessaires.
Dans le pire des scénarios, le nouveau venu augmenterait de 15% la consommation d'énergie. La faute notamment au déploiement d'infrastructures nécessaires.
C'est l'argument massue. En augmentant la concurrence, les opérateurs devront nécessairement faire un effort sur les prix. Bien vu et ce n'est certainement pas un cours d'introduction à l'économie qui dira l'inverse. Dans les faits toutefois, il serait un peu simple de résumer le marché télécom à ce fameux principe de base. Toujours selon Axon, on peut toutefois s'attendre à une baisse des prix de 13%. À court terme.
La suite? Bien plus compliquée à prédire avec notamment des risques de consolidation comme ce fut le cas aux Pays-Bas. Assez paradoxalement, l'arrivée d'un nouvel enchérisseur pourrait également influencer les prix à la hausse. Avec un candidat en plus pour une ressource limitée, le risque que les enchères s'emballent existe. C'est ce qui s'est produit en Allemagne, où les opérateurs ont dépensé 6,55 milliards d'euros. Des montants faramineux que les opérateurs chercheront à récupérer d'une manière ou l'autre. Outre une possible répercussion sur les prix, du côté des investissements, Axon mentionne que l'impact serait incertain. Il n'est donc pas exclu que les opérateurs les revoient à la baisse. "Nous pensons que le prix du marché est normalement le plus souhaitable et qu'un quatrième opérateur devrait permettre de se rapprocher de cette situation. Mais nous ne pouvons pas exclure avec certitude un emballement des enchères", explique Axel Desmedt.
Assez paradoxalement, l'arrivée d'un nouvel enchérisseur pourrait également influencer les prix à la hausse.
Le possible effet sur les prix existe. Mais il mérite sans doute une petite mise en perspective avec l'ensemble des conséquences à attendre. Reste aussi une petite question à laquelle répondre. Au final, notre petit pays intéresse-t-il vraiment quelqu'un? Ce sera la suite du débat. Lors du passage à la 4G, une tentative de faire entrer un nouvel opérateur avait échoué. Cette fois-ci, le duo Citymesh/Cegeka pourrait se porter candidat. Ou pourquoi pas un candidat qui combinerait l'achat de fréquences avec celui de VOO afin de disposer d'un opérateur complet.