(l'écho) Peter Praet, directeur de la Banque nationale de Belgique (BNB), membre du comité de direction de la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) et président du Comité européen de surveillance bancaire, tente de faire le point sur ces événements pour «L'Echo».
Entre la fin des années 90 et la mi-2006, rappelle Peter Praet, les marchés de l'immobilier et des crédits hypothécaires aux USA ont été caractérisés par une forte expansion. Un facteur qui a contribué à cette expansion réside dans la forte croissance du segment «subprime». A la fin 2006, les prêts hypothécaires accordés à des emprunteurs subprime (avec une qualité de crédit faible) représentaient environ 20% du total des 10.000 milliards de dollars d'encours des crédits hypothécaires.
Mais avec le refroidissement du marché immobilier américain, les défauts de paiement sur ces prêts subprime ont grimpé de manière très sensible. «Quand des pertes comparables sur l'hypothécaire sont intervenues au début des années 90, les USA ont souffert d'une crise bancaire majeure: la fameuse crise des «savings & loans». Mais cette fois-ci, l'exposition directe des banques à ces prêts n'a pas créé d'emblée un stress majeur au sein du secteur financier américain. Dans la mesure où les risques ont été largement dispersés au sein du système financier global, le choc s'est propagé d'une façon souvent totalement imprévue.» Ceci reflète le passage des banques d'un modèle où elles étaient à l'origine des crédits et les détenaient jusqu'à échéance au sein de leur bilan ( système «originate and hold») à un système où ces crédits sortent du bilan et sont transformés en titres négociables via la titrisation (système «originate, structure and distribute»). Le processus de titrisation a contribué au développement de produits financiers structurés, avec des engagements par «tranches». Les détenteurs des tranches les plus risquées («equity tranche») sont les premiers à encaisser leurs pertes avant que les autres détenteurs ne soient affectés. «Cette structure a permis d'émettre pour un montant considérable des titres avec des notations 'AAA' de la part des agences de rating, même si on retrouvait dans certains produits des prêts hypothécaires à risques (subprime).»
Points faibles
Mais la crise a révélé plusieurs points faibles dans ce modèle «originate and distribute». Un élément très important est la croyance erronée que la note «AAA» ou «AA» constituait une garantie que ces titres puissent être traités à tout moment (liquidité). On a vu que ce n'était pas le cas. Et la première victime fut la firme Bear Stearns, dont trois de ses hedge funds furent gravement secoués. Mais les difficultés de ces hedge funds ne furent qu'un prélude à la crise plus aiguë qui a touché les véhicules d'investissement particuliers que sont les «conduits» et les «structured investment vehicles (SIV)» qui pesaient respectivement 1.200 et 400 milliards de dollars avant la crise. Ces véhicules, la plupart dépendants de banques, sont destinés à des investisseurs qui ont un horizon de court terme et qui ne veulent guère prendre de risques. Ces véhicules émettent du papier à court terme («commercial paper» principalement, avec en complément des «medium-term notes» dans le cas des SIV). Le réinvestissement des fonds est réalisé dans des produits structurés. «Quand les incertitudes sur l'exposition au subprime sont apparues, les SIV et les conduits ABCP (asset backed commercial papier) ont éprouvé des difficultés de financement. Ils ont commencé à utiliser les lignes de liquidité fournies par les banques. Redoutant de devoir fournir des liquidités plus amples encore à ces véhicules, les banques ont alors commencé à conserver ces liquidités pour leurs propres besoins, ce qui a asséché le marché et provoqué les graves dislocations sur le marché interbancaire au mois d'août.»
Pour Praet, il est encore trop tôt aujourd'hui pour faire une évaluation complète des événements récents: le système financier est apparu à la fois résistant et fragile! Résistant, si l'on se souvient que les précédentes crises immobilières aux Etats-Unis, au Japon et en Scandinavie ont été associées à des faillites de banques, bien plus nombreuses qu'aujourd'hui. En même temps, le modèle «originate and distribute» a révélé des faiblesses de nature structurelle. On peut ainsi se poser des questions sur le «business model» des SIV qui ont été au centre des pressions sur le marché monétaire. Des questions aussi sur la fiabilité des ratings et sur les modèles de pricing de ces instruments financiers structurés. «Et plus fondamentalement, la question clé qui se pose est de savoir si la finance structurée a affaibli la discipline dans l'octroi de prêts.»
Impact sur les sociétés?
Si le système financier s'est redressé, confie Praet, il reste toutefois vulnérable à l'émergence d'autres chocs dans un contexte fragilisé ou de chocs provenant d'autres facteurs de risques. Le directeur de la BNB ne redoute pas trop une contagion dans le secteur des prêts aux sociétés (corporate) vu les fondamentaux toujours solides des sociétés non financières. En réalité, la vitesse et l'ampleur des défauts de sociétés dépendront bien davantage de la tenue de l'économie US et de la croissance globale, dit-il. «Il semble cependant clair qu'un plus grand conservatisme dans les conditions d'octroi de prêts aura un effet de frein sur l'économie.»
Marc Lambrechts