"Nous avons acheté une maison à Schaerbeek. Nous cherchions dans un quartier spécifique, où la compétition était rude. Nous avons visité une maison pour laquelle nous avons fait une offre plus élevée que le prix demandé. L'agent immobilier nous a clairement mis en compétition avec un autre couple. Il m'envoyait des SMS pour me demander de monter notre offre de 5.000 euros parce que ‘vraiment il nous aimait bien et voulait que la maison soit pour nous’. On a accepté de monter une fois, puis soi-disant l'autre couple était monté aussi. À un moment, j'ai mis fin à l'enchère en disant que c'était illégal et qu'on arrêtait de surenchérir", témoigne Julie.
"L'agent immobilier nous a clairement mis en compétition avec un autre couple."
"Nous cherchons un bien immobilier depuis plus d'un an. Notre dossier est jusqu'à présent systématiquement refusé, car nous refusons de supprimer la clause suspensive d'obtention de crédit et parce que notre enveloppe ‘cash’ n’est pas assez conséquente. Les prix ont complètement changé, maintenant le prix affiché est le prix de départ pour une négociation (à la hausse bien sûr). Depuis la crise sanitaire, le moindre bout d'extérieur, aussi petit soit-il, justifie un prix de départ démesuré par rapport à l'état du bien. Les agents disent clairement que nous n'avons pas de temps de réflexion, même pas la soirée. Il faut signer dès la première visite de 15 minutes", explique Charlotte.
"Il faut signer dès la première visite de 15 minutes."
Julie et Charlotte sont loin d’être des cas exceptionnels ces derniers mois. Ce type de pratiques borderlines ou dangereuses pour les acquéreurs, agents ou vendeurs s’est en effet accéléré récemment avec le besoin, lié aux confinements et au télétravail, d’un bien plus spacieux et surtout doté d'un espace extérieur. Mais là n’est pas la seule explication. Pour Patrick Menache, CEO du réseau d’agences MacNash, "l’engouement est dû aux taux d’intérêt qui sont très faibles actuellement". Son confrère de Latour & Petit, Aymeric Francqui, pointe un déséquilibre entre l’offre et la demande: "Statistiquement, certaines maisons n’arrivent pas sur le marché, car, suite au confinement, les gens veulent garder leur jardin. Et de l’autre côté, des gens, qui n’étaient pas censés arriver sur le marché, y débarquent, car ils veulent un jardin suite au confinement. Cela crée une distorsion de 20% entre l’offre et la demande selon les chiffres d’Immoweb, ce qui a poussé les prix à la hausse."
"Il existe une distorsion de 20% entre l’offre et la demande, ce qui a poussé les prix à la hausse."
Et, dans ce contexte, acheteurs, vendeurs et agents sont sous pression. "Les acquéreurs sont plus rapides, plus réactifs, plus agressifs. On ne doit plus les rappeler comme on le faisait avant. On les prévient qu’il faut dégainer, aller vite", explique Aymeric Francqui, "on observe une certaine agressivité entre acquéreurs et parfois des techniques de cow-boy de la part de certains agents".
Alors, comment éviter de se faire piéger sur ce marché très concurrentiel?
1. Le manque de transparence des fausses enchères
"Faire offre à partir de..." Voilà à quoi se trouvent confrontés de nombreux potentiels acquéreurs. Si le prix affiché sur une annonce peut se négocier à la hausse comme à la baisse, la tendance est surtout à la hausse pour l’heure. Pour Patrick Menache, indiquer "faire offre à partir de" sur une annonce "n’est pas très déontologique. Cela reste borderline avec la vente aux enchères, qui est une technique de vente propre aux notaires".
"L’acheteur est aux mains de l’agent qui lui dit qu’il y a une offre plus haute, mais il ne peut pas savoir si c'est vrai."
Pour Renaud Grégoire, notaire, "la mention ‘faire offre à partir de’ est une sorte de vente publique, de vente aux enchères, qui est obligatoirement faite par notaire selon la loi. Ces ventes aux enchères réalisées par des notaires sont transparentes, il existe un cahier des charges donné à tout le monde, tout le monde est logé à la même enseigne. Ce qui n’est pas le cas pour les agents immobiliers, il n’y a pas de transparence ni de cahier des charges", explique-t-il. "C’est en outre très désagréable à vivre. L’acheteur est aux mains de l’agent qui lui dit qu’il y a une offre plus haute, mais il ne peut pas savoir si c'est vrai, si l’autre acquéreur est solvable, s’il y a une clause suspensive d’octroi de crédit, etc. Tout le monde n’a pas les mêmes informations que lors d’une vente publique", pointe le notaire.
"Le principe de la vente publique est un monopole des notaires", appuie l’avocat en droit immobilier Sadri Ellouze, "mais en tant que tel, le vendeur a tout intérêt à ce que son bien soit vendu le plus cher possible et donc à faire monter les enchères via son agent immobilier. Qui va pouvoir se plaindre de l’attitude de l’agent? L’acquéreur évincé. Il lui faut alors des éléments de preuve, comme quoi l’agent a communiqué les offres alors qu’il ne le pouvait pas, il faut prouver que l’offre a été considérée comme confidentielle", détaille-t-il.
Pour éviter de s’embourber dans des enchères ou quelconque écueil avec l’agent et/ou le propriétaire, l’avocat conseille de "remettre une offre uniquement liée et limitée au vendeur, qui ne peut être communiquée qu’à ce dernier et à personne d’autre. Cela doit être indiqué dans l’offre même. Tant le montant proposé que le document qui sert de base à l’offre ne peuvent être communiqués à un tiers. Cela permet alors de limiter la casse". Le notaire Renaud Grégoire propose, lui, une autre astuce: "Ce que je donne comme conseil, c’est de ne pas faire une offre écrite, de dire oralement qu’on est prêt à mettre tel prix en signant directement un compromis pour éviter de faire monter les enchères entre acheteurs. On passe donc directement à la signature d’un compromis sans passer par une offre – seulement orale."
2. La clause suspensive d’octroi de crédit qui dérange
"Si le propriétaire a le choix entre deux offres, l’une avec clause suspensive d’octroi de crédit, l’autre sans… Il va opter pour celle où il n’y a pas cette clause, car c’est moins dangereux pour lui. Nous lui montrons toutes les offres reçues, mais c’est in fine le propriétaire qui choisit", explique Patrick Menache. Le directeur de L&P, Aymeric Francqui, souligne: "Il y a une telle tension actuellement sur le marché que le fait de ne pas avoir de clause de crédit est nettement plus important qu’avant."
"Il y a une telle tension sur le marché que le fait de ne pas avoir de clause de crédit est nettement plus important qu’avant."
Mais attention à ne pas tomber dans le piège et à retirer cette clause sans réellement avoir obtenu votre crédit, même si votre banquier vous donne un ordre de grandeur par rapport à votre capacité d’emprunt et donc le montant que vous pourrez emprunter. Car cela n’est jamais définitif et si, in fine, votre banque refuse votre demande de crédit, "vous n’êtes pas en état de passer l’acte authentique de vente. Le compromis prévoit généralement une indemnité de 10% du montant du bien si l’acheteur se désiste alors qu’il a signé le compromis et que finalement il n’achète pas (pas de crédit, s’il divorce, etc.). Il peut aussi y avoir des dommages et intérêts, si cette vente annulée force le vendeur à faire un crédit pont, etc., il peut donc aller jusque devant la justice", explique Renaud Grégoire.
"Ce qu’on propose, c’est d’inclure dans l’offre une indemnité. On fait donc une offre avec une condition de crédit et avec une indemnité de 1.000 – 2.000 euros s’il n’est pas obtenu. Cela permet de rassurer le vendeur qui sait que l’acheteur est renseigné sur sa capacité d’emprunt, et l’acquéreur, lui, n’a pas trop envie de perdre cette indemnité. Cela permet de garder la condition de crédit qui est quand même importante et de verrouiller le processus", conseille le notaire.
3. Faire offre sans visite pour être le plus rapide, mauvais plan
"Voici un cas concret. Nous avons, pour une maison à la limite de Bruxelles, fait visiter le bien à l’épouse de l’acquéreur. Lui ne l’a pas visité, mais a ensuite fait une offre", illustre Patrick Menache. Aymeric Francqui confirme: "Nous avons des acheteurs qui visitent à peine le bien, sans revenir. Tout le monde est beaucoup plus agressif, sur la balle, car il n’y a pas assez de biens. Il faut donc prendre des décisions très vite, les acheteurs sont prêts à rentrer dans la maison et à l’acheter directement."
"On peut découvrir certaines servitudes, infiltrations ou infractions urbanistiques et se retrouver dans une situation très compliquée."
Mais ce type d’attitude n’est pas sans risque. "Cela revient à vendre un chat dans un sac, cela permet de dissimuler des choses", souligne Renaud Grégoire. "En principe, l’acquéreur a l’obligation d’agir en bon père de famille et de faire toutes les investigations que quelqu’un de prudent et raisonnable réaliserait. Il doit analyser le bien, les fuites, infiltrations, moisissures, etc. S’il ne le fait pas et accepte la clause d’exonération de responsabilité pour vices cachés dans le compromis… il n’aura plus que ses yeux pour pleurer", prévient l’avocat Sadri Ellouze. "En faisant une offre sans visiter ou à peine, l’acheteur prend un risque important, car si souci il y a, il devra prouver que le vendeur était au courant des vices, ce qui est difficile à prouver. On peut découvrir certaines servitudes, infiltrations ou infractions urbanistiques et se retrouver dans une situation très compliquée", ajoute-t-il.
Visiter – correctement – le bien reste nécessaire. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. "Si les professionnels de l’immobilier font bien leur job, ils n’acceptent pas de vendre un bien sans visite", pointe le notaire. En effet, la solution, dans ce cas de figure, vient plutôt des agences. "Il faut mettre des règles saines et s’y tenir. On doit permettre à tout le monde de visiter le bien dans un certain délai accordé par le propriétaire, en demandant que les offres soient remises pour tel jour et pas avant. Ensuite, toutes les offres reçues sont transmises au propriétaire et c’est alors lui qui décide s’il accepte une offre ou non. Alors, le prix de la course n’existe plus, ce n’est pas le premier arrivé le premier servi", explique Aymeric Francqui.
4. Les dessous de table: à vos risques et périls
Et si le vendeur vous demande de payer une partie en liquide, comprenez "au noir"? "Les dessous de table ne sont que très peu souvent dans l’intérêt du vendeur, mais plutôt de l’acquéreur afin de réduire les droits d’enregistrement notamment. Le vendeur ne peut avoir un intérêt à demander un dessous de table que dans le cadre d’une sortie d’indivision de l’immeuble ou lors de la liquidation d’une succession. Mais avec la transparence bancaire, cela devient de plus en plus compliqué, les banques posent tout de suite des questions. Donc ce type de pratique est de moins en moins courant", estime l’avocat en droit immobilier.
"L'administration peut considérer qu’il y a une fraude réalisée en défaveur du Trésor public, ce qui vous expose à des amendes."
En outre, ce comportement est très risqué. "L’administration de l’enregistrement va constater un prix déraisonnablement bas et va poser des questions, s’inquiéter de savoir s’il y a des versements liquides. Elle peut alors considérer qu’il y a une fraude réalisée en défaveur du Trésor public, ce qui vous expose à des amendes. Des amendes complémentaires et éventuellement pénales peuvent être prévues", prévient-il.
Pour éviter de vous exposer à des amendes, mieux vaut purement et simplement refuser de donner de l’argent au noir.