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"La dette publique belge est une légende urbaine"

A l’occasion de son cinquième anniversaire, Mon Argent s’est entretenu avec notre grand argentier, le ministre des Finances Didier Reynders. A ce poste depuis 12 ans, il a accepté de baliser la plupart des sujets qui touchent au portefeuille des gens au quotidien, sans concessions. Interview exclusive.

(mon argent) - Didier Reynders et les socialistes francophones n’ont jamais été proches, c’est un fait. Pourtant, le ministre libéral n’hésite pas à sortir l’une ou l’autre proposition à connotation plus "socialiste". "Si on m’en donnait la possibilité, je donnerais la priorité au relèvement de la quotité de revenus exonérée d’impôt jusqu’au revenu minimum d’insertion afin d’augmenter le pouvoir d’achat des revenus modestes et de lutter contre la fraude sociale. Les Belges paient trop vite trop d’impôts", assure-t-il. Reynders va même jusqu’à remettre en question les revenus les plus élevés. "Il est quand même difficilement concevable qu’il y ait un rapport de 1 à 100 entre la personne qui gagne le plus dans une entreprise et celle qui gagne le moins. Un tel écart est injustifiable, même si l’on prend en compte les différences de formation, de responsabilité ou d’expérience."

Quant à savoir si les idées d’inspiration sociale de Reynders sont également mûres pour un compromis: "Une profonde réforme so-ciale ou fiscale est un exercice extrêmement difficile à mettre en œuvre dans notre pays", lance le ministre des Finances. Un bon exemple est le compromis balbutiant trouvé il y a cinq ans sur la taxe sur les plus-values réalisées sur les fonds obligataires. "A la sortie du conseil des ministres, Johan Vande Lanotte et Laurette Onkelinx évoquaient une décision historique qui ouvrait la voie à une taxation plus large des plus-values. Mais une telle extension du champ d’application de la taxation des plus-values serait catastrophique, car elle enverrait un message négatif aux investisseurs, en particulier étrangers. Ce n’est pas parce que les socialistes agitent le drapeau rouge un 1er mai que leurs idées deviennent réalité...", assène Reynders, dans le rôle retrouvé de grand pourfendeur du PS. Sur les plus-values comme sur tous les thèmes qui touchent de près au portefeuille de Monsieur tout le monde, nous étions curieux d’entendre en profondeur l’opinion et l’argumentation du ministre des Finances.

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Flanqué de ses deux porte-paroles et d’un de ces conseillers les plus proches, le ministre des Finances a fait cavalier seul dans ses réponses...

La menace d’un abaissement de la note belge semble écartée, mais notre pays ne risque-t-il pas toujours d’être pris pour cible par les spéculateurs?

"Au contraire de ce que l’on écrit souvent, les fondamentaux de la Belgique ne sont pas si mauvais. En termes de croissance économique, d’emploi et de budget, nous n’avons rien à envier aux autres pays européens. Nous avons même aujourd’hui un an d’avance sur notre programme d’assainissement. En Belgique, nous avons l’habitude de penser que notre dette nationale est excessive, mais voyez la tendance: en 1993, notre dette représentait 137% du Produit Intérieur Brut (PIB). Aujourd’hui, elle ne dépasse pas 96% du PIB, même si l’on prend en compte les mesures prises pour sauver les banques. En France et en Allemagne, ils en étaient à 40 à 45% du PIB en 1993, contre 85% aujourd’hui. La Belgique n’a donc pas à se plaindre. Le Fonds Monétaire International (FMI) en est aussi convaincu. La Belgique fait même mieux que la moyenne de la zone euro. En dépit de ces efforts, la dette publique belge est devenue une véritable légende urbaine..."

D’autres grands défis, comme le vieillissement de la population, pointent pourtant à l’horizon. Ces efforts de court terme ne seront vraisemblablement pas suffisants...

"Il est vrai que les retraites et la sécurité sociale vont peser de plus en plus lourd, mais cela ne signifie pas qu’il faille dramatiser la question de notre dette publique. Naturellement, il y a du pain sur la planche. C’est pourquoi je le répète: si un exécutif ne se forme pas rapidement, il faudra élargir les prérogatives du gouvernement en affaires courantes dès le mois de septembre pour lui permettre de s’attaquer au budget 2012 et à des dossiers comme les pensions.

Justement, que faut-il changer en matière de pensions?

"En Belgique, le principal problème est l’emploi et le taux d’activité. Si nous voulons conserver notre système des pensions, il faut que les jeunes travaillent plus tôt et que les plus âgés aient la possibilité de travailler plus longtemps. A l’heure actuelle, le débat sur l’âge de la retraite n’est pas pertinent chez nous. Nous devons commencer par faire en sorte que tout le monde se rapproche de l’âge légal actuel de la retraite. Je ne suis pas non plus partisan d’un modèle scandinave qui donnerait davantage de flexibilité aux citoyens. Il ne faut pas importer un système dont les pays pionniers sont en train de subir les premiers effets pernicieux..."

Comment s’attaquer au problème de l’emploi?

"Pour accroître le taux d’activité, nous devons nous attaquer à plusieurs dossiers. Celui de la formation, d’abord. A Bruxelles surtout, il y a encore beaucoup à faire en matière de formation technique. Au Forem et chez Actiris, il y a des lourdeurs qui font que le monde patronal s’en plaint. Un deuxième point à considérer est celui des charges salariales. Nous devons améliorer le rapport entre les revenus du travail et les revenus de remplacement. Il est quand même paradoxal qu’une personne qui trouve un emploi doive payer pour mettre ses enfants à la crèche, alors qu’elle ne débourse rien si elle reste au chômage. Cela crée une barrière à l’emploi. Les plus âgés sont confrontés à un obstacle du même genre. En raison des charges salariales plus élevées, ils sont souvent évincés du circuit de l’emploi. Je trouve tout à fait absurde d’empêcher les plus de 65 ans de travailler "sous conditions" (il existe des plafonds, NDLR). Ils paient pourtant des impôts et des cotisations sociales. Quel sens y a-t-il à les exclure? La réalité est que les contribuables vivront plus vieux et les jeunes étudieront plus longtemps. Ces aspects devront être pris en considération dans un prochain pacte entre les générations.

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Que doit-il advenir des piliers des pensions?

"Ma préoccupation première est de revaloriser le premier pilier des pensions. La Belgique est l’un des pays d’Europe où les pensions légales sont les plus faibles. Nous devons aussi améliorer l’accessibilité au deuxième pilier, les pensions cons-tituées en entreprise. Même si ce projet se heurte à d’importantes résistances au sein des partis francophones de gauche, la réalité est que les conditions d’admission à ce deuxième pilier sont beaucoup trop strictes. Par ailleurs, il ne faut pas oublier le troisième pilier, dans lequel j’inclus également l’immobilier et la déductibilité des emprunts hypothécaires. Je pense en effet qu’il faut l’aborder dans sa globalité. Tout le monde se concentre sur l’épargne-pension, mais je trouve que l’habitation familiale reste la principale garantie pour nos vieux jours. Dans ce domaine, il y a beaucoup à faire à Bruxelles. 80% des Flamands et des Wallons sont propriétaires de leur habitation, mais ce n’est le cas que de 50% des Bruxellois. L’immobilier constitue une clé politique importante dans le domaine des pen- sions. Outre l’accès à la propriété, nous devons continuer à encourager l’épargne à long terme, en élargissant les incitants fiscaux si possible."

La fiscalité des produits d’épargne et de placement n’est-elle pas beaucoup trop complexe en Belgique ?

"Dans le domaine des produits d’épargne, nous avons fait le choix il y a longtemps de privilégier la stabilité du secteur financier. L’exonération fiscale des comptes d’épargne crée un matelas confortable pour les organismes financiers. Mais si nous pouvons débattre d’une simplification de la fiscalité des produits d’épargne, pourquoi pas? Si on me donne un nouveau mandat de quatre ans, je remplacerai l’actuel système de précompte mobilier libératoire par un dispositif de réduction fiscale. On obligera ainsi le contribuable à déclarer tous les intérêts perçus. Une telle mesure n’aurait pas seulement l’avantage d’éliminer la fraude: elle favoriserait aussi les personnes les plus vulnérables au sein de la population, qui n’ont ni épargne ni maison.

Ne doit-on pas se diriger vers un précompte mobilier unique?

"Je n’ai a priori pas confiance en une telle proposition. Elle signifie qu’on abaisse un taux de précompte et qu’on augmente l’autre. Mais connaissant le petit monde politique belge, ou au moins une partie de celui-ci, je crains que l’augmentation prime et que la baisse ne soit très réduite. Avec Patrick Dewael, nous avions instauré des centimes additionnels dans le cadre de l’autonomie fiscale. Je constate qu’après toutes ces années, ils n’ont jamais été abaissés en Flandre. Nous avons instauré la réduction emploi fédérale. La Flandre a ensuite lancé sa propre réduction emploi (jobkorting, NDLR), mais l’a entre-temps supprimée. Permettez-moi dès lors d’être sceptique à l’idée d’un précompte mobilier uniforme..."

Que pensez-vous du traitement fiscal des produits d’épargne et de placement en Belgique?

"Si on la compare à celle d’autres pays, notre fiscalité mobilière n’est pas défavorable. Pourtant, les Belges parquent encore beaucoup d’argent à l’étranger. Il s’agit en premier lieu d’argent noir, d’argent que l’on veut soustraire au regard du fisc. Ce qui démontre à nouveau l’importance de revoir les charges salariales. Les droits de succession incitent aussi les Belges à fuir à l’étranger. Je regrette encore que ces droits soient aussi élevés. Si nous pouvons nous attaquer à ces dossiers, avec les Régions, beaucoup d’argent sera vite rapatrié de l’étranger. Sur ce plan, je ne suis d’ailleurs pas spécialement partisan d’une nouvelle amnistie fiscale, mais plutôt d’une réforme de la loi de régularisation (lire l’Echo de ce jour)."

Tax-on-Web, la déclaration fiscale par Internet, recueille un vif succès. Cette automatisation accrue permet-elle d’affecter davantage de personnel aux contrôles?

"Le système Tax-on-Web permet d’avoir un contact plus rapide et plus direct avec le contribuable, et facilite le traitement des déclarations. Par ailleurs, il nous permet de réorienter notre administration vers d’autres tâches que le traitement manuel de données. Cette évolution n’est cependant pas évidente. Quelqu’un qui était performant dans l’encodage de données n’est pas forcément un bon contrôleur. L’an dernier, nous avons recruté beaucoup de jeunes qui sont plus orientés sur le contrôle, mais un tel processus demande du temps."

L’automatisation entraîne-t-elle une baisse des litiges?

"Nous ne disposons encore d’aucun chiffre à ce propos. Notre premier objectif était d’inciter le plus grand nombre à opter pour cette solution. Nous ne nous concentrerons sur le traitement statistique que lorsqu’il sera atteint. D’ailleurs, les statistiques que nous tiendrons seront désormais basées exclusivement sur les déclarations électroniques, puisqu’elles constituent depuis peu la majorité."

Il y a quelques années, vous avez instauré le bonus habitation. D’autres grandes réformes sont-elles nécessaires pour mettre davantage l’impôt des personnes physiques en adéquation avec les évolutions sociales?

"Ces dernières années, nous avons beaucoup travaillé au décumul, en vertu duquel les impôts sur le revenu de personnes mariées ou de cohabitants légaux sont désormais calculés séparément, par conjoint. Nous nous sommes également penchés sur la discrimination homme-femme. Le prochain dossier à aborder est la problématique du changement de la composition des ménages. Aujourd’hui, l’impôt des personnes physiques ne tient pas compte des modifications qui interviennent dans la situation d’un ménage. Pourtant, un divorce a de lourdes conséquences, notamment sur l’habitation propre et l’emprunt hypothécaire. Par ailleurs, la société est devenue beaucoup plus multiculturelle. Par exemple, la religion musulmane interdit le versement d’intérêts. Il est donc important de trouver un moyen de permettre aux musulmans de bénéficier de certains produits qui offrent des rendements intéressants."

Le débat sur la nécessité d’une éducation financière a été ouvert il y a quelques années. Où en sommes-nous?

"Un consensus s’est formé sur la nécessité d’améliorer l’éducation financière. La prochaine étape consistera à mettre sur pied une plateforme réunissant les trois parties impliquées: les écoles et universités, les autorités de contrôle et les acteurs du monde financier. Ce débat pourrait être mené en parallèle avec les initiatives annoncées depuis par les autorités de contrôle, comme le retrait des rayons de certains produits financiers complexes."

La fiscalité automobile est un autre thème qui gagnera en importance ces prochaines années. Quel regard portez-vous sur cette problématique?

"Plusieurs choses doivent se faire au niveau fédéral. Il s’agira avant tout de rendre le parc de voitures plus propre. On peut y parvenir en y ajoutant des voitures qui consomment moins et émettent moins de CO2. Il y a également le débat sur la taxe kilométrique. Personnellement, je trouve que ce n’est pas une mauvaise formule. Voyez l’état du réseau routier et comparez-le avec la France, par exemple. Les routes belges sont dans un état lamentable. Un système de péage permet non seulement de facturer la consommation au kilomètre, mais aussi de créer des concessions et donc de sous-traiter l’entretien des routes. Car il est acquis que le transport accaparera une part croissante de notre budget."

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