Vous souvenez-vous de votre premier salaire? Un job d’étudiant?
Mon premier travail a plutôt été réglé sous forme de dédommagement. J’avais 15 ans et travaillais alors dans une boucherie. J’ai reçu un sac de charcuteries… Avant d’être payé 500 francs pour un mois! Et puis j’ai touché mon premier vrai salaire comme apprenti dans une pension de famille à Hamois en Condroz: 7.800 francs.
Actuellement, que payons-nous encore trop cher, selon vous?
"J’ai du mal avec les clients qui rouspètent en voyant arriver l’addition, qui l’analysent."
Le passage à l’euro a bousculé nos dépenses. Une simple pièce de 2 euros, cela correspond à 80 francs belges. C’est beaucoup. Le premier billet disponible, c’est 5 euros, soit 200 francs. Lorsque j’allais acheter le journal pour mes parents, il coûtait 11 francs. Maintenant, un salaire dès la sortie de l’école, c’est minimum 1.500 euros.
Pour quelles choses êtes-vous prêt à dépenser sans vraiment compter?
Pour tout ce qui concerne mon travail. Nous sommes 10 en cuisine et si une dépense est nécessaire pour une question de bon fonctionnement, je n’hésite pas. Un four à induction, des casseroles… Je me laisse aussi aller pour la vaisselle. Mais maintenant, je travaille avec une potière. Je me suis un peu modéré dans mes dépenses.
Avant d’acheter, comparez-vous les prix? Quel type de consommateur êtes-vous?
Je rame avant d’avoir ce que je veux. J’étudie la qualité et le prix. Il m’arrive de ne pas acheter de vêtement pendant deux ou trois ans… Mon quotidien, c’est ma cuisine. Et cela fait 19 ans que j’y suis. C’est là que je me sens à l’aise. Plus que dans les magasins.
Y a-t-il un objet que vous ne vendriez jamais?
Je ne suis pas matérialiste. Ce serait alors un objet avec un lien affectif, comme des dessins de mes enfants par exemple.
Quelle est votre principale leçon face à l’argent?
Je n’aime pas le contact avec l’argent. Lorsque l’on me dit: "les restaurants étoilés sont chers", cette réflexion ne me plaît pas. Comme si c’était une évidence. Il y a toujours la notion d’argent qui fausse le plaisir. Si j’étais riche, j’ouvrirais un restaurant où les clients ne paieraient pas. Tout serait alors extraordinaire. Oui, riche, j’ouvrirais un restaurant gratuit. En attendant, dans ce nouveau restaurant de Liernu, j’ai fait 1.300.000 euros d’investissement. Je dois les rembourser…
Quelle est votre définition du luxe absolu?
Ne pas avoir de problèmes liés à l’argent. Ne rien avoir qui peut vous retenir. Mais j’ai déjà l’impression de toucher au luxe, je l’ai dans ma tête. "No limit"!
Quel est le pire achat que vous avez effectué?
"À un jeune qui débute ce métier, à l’heure où tellement d’informations circulent en matière de cuisine, avec des émissions de télévision souvent superficielles, je lui dirais d’apprendre d’abord à écouter. Et de se taire. Dans mon restaurant, beaucoup de jeunes étrangers viennent en stage. Certains ne parlent pas un mot de français. Ils apprennent souvent leur futur métier deux fois plus vite que les autres."
Les mauvais achats, au final, je ne les regrette pas. Plus tard, je trouve même amusant de ne pas avoir bien acheté.
Quels sont les comportements liés à l’argent qui vous insupportent?
Les clients qui rouspètent en voyant arriver l’addition, qui l’analysent. Je comprends, il peut y avoir des erreurs. Mais j’ai du mal avec ça…
Investissez-vous?
J’ai investi dans les murs… Ceux de mon restaurant. À part ça, je n’ai maintenant pas suffisamment de moyens pour placer de l’argent. J’aimerais pourtant investir dans l’art contemporain, mais c’est trop cher. On a souvent une image préconçue d’une réussite professionnelle. À l’école, mes enfants s’entendent dire: "Tes parents sont riches…". S’ils voyaient ma petite maison…
Vous devenez millionnaire du jour au lendemain… Comment réagissez-vous?
Je crois qu’il y aura une période latente qui, dans un premier temps, ne changera pas grand-chose. Ensuite on va probablement se lâcher et se poser la question: comment va-t-on dépenser tout cet argent?
10: "Le nombre d’enfants dans ma famille d’adoption: 5 naturels et 5 adoptés."
18: "L’âge auquel je me suis pris en charge et ai volé de mes propres ailes. Ce ne fut pas facile… Mais cela m’a aidé à être indépendant et autonome."
1997: "L’année de l’ouverture de mon restaurant L’Air du Temps… J’ignorais que cela aurait un tel impact sur nos vies."
2: "Mes deux superbes filles."
30: "Le nombre de personnes engagées en ce moment dans mes deux restaurants, L’Air du Temps à Liernu et San à Bruxelles."