Un samedi soir, un dîner sympa entre amis. Guillaume raconte sa galère pour obtenir un crédit hypothécaire étant donné son maigre apport de fonds propres. James explique qu’il convoite un appartement deux chambres dans un quartier branché de la capitale, mais constate que c’est encore trop cher pour sa capacité d’emprunt. Et de fait, à titre d’exemple, un appartement au cœur d’Ixelles valait en moyenne 256.000 euros au premier trimestre de l’année… Basile, lui, a de la chance. Ses parents viennent de lui donner une belle somme d’argent qu’il voudrait investir dans l’immobilier en achetant un petit appartement pour le donner en location.
Les trois potes sont inséparables. Ils partagent tout. La solution leur saute aux yeux: dès demain, ils courront les agences immobilières en quête d’un petit immeuble de rapport à acheter ensemble, espérant que la mutualisation de leur fonds propres leur ouvrira plus facilement les portes de la banque. Mais surtout, ils savent qu’acheter à trois un immeuble divisé en trois unités leur coûtera moins cher — on parle de 25% — qu’acheter chacun un appartement individualisé équivalent. Bref, c’est "tout bénéfice", pourquoi n’y ont-ils pas pensé plus tôt?
Chaque semaine, plusieurs demandes de ce type arrivent dans les agences immobilières, surtout à Bruxelles. La tendance s’est nettement accentuée ces derniers temps, affirme Eric Verlinden, administrateur délégué du réseau d’agences Trevi, étant donné la rigidité des banques et les prix de l’immobilier qui restent élevés pour les appartements que lorgnent les jeunes candidats acquéreurs. "Mais sur 10 demandes, une au maximum arrive à son terme", prévient-il. Ah? Le magnifique projet sans faille, sur papier, se révélerait-il compliqué à concrétiser?
La perle (très très) rare
Ceux qui ont déjà cherché un bien immobilier s’en souviendront sûrement: trouver la perle rare est déjà difficile en soi. En couple, c’est un rien plus compliqué. Mais entre amis? Charles Brocorens, responsable de la division Invest chez Trevi, annonce la couleur. En huit ans, il n’a réalisé que deux opérations de ce type. Et pourtant, ce ne sont pas les demandes qui manquent. Mais trouver le bien qui correspond aux attentes de chacun relève presque du miracle: Laure veut un "deux chambres" au dernier étage, Caro ne signera rien s’il n’y a pas de jardin ou de terrasse pour son chat et François veut absolument un feu ouvert et des hauts plafonds. Bonne chance!
Pour réussir un projet de co-achat
· La base: une bonne entente entre les acheteurs.
· Un bien parfaitement séparable, avec des délimitations claires, explique le notaire Renaud Grégoire. Chacun doit pouvoir revendre après à des conditions financières qui tiennent la route.
· Une maison de rapport en règle d’urbanisme (ou un propriétaire étant prêt à conditionner la vente à la régularisation du bien).
· Des candidats propriétaires pas trop "pointilleux", qui sont prêts à lâcher prise pour quelques milliers d’euros, même s’ils estiment qu’ils auraient dû payer leur lot un peu moins cher pour une raison ou une autre. Le but est de réaliser une bonne affaire, en commun.
· Des candidats propriétaires prêts à renoncer à certains critères dans le choix de l’immeuble. Trouver le bien qui correspondra exactement aux envies de chacun relève presque du miracle.
Admettons toutefois que les futurs copropriétaires aient trouvé le bien qui répond à tous leurs critères. Ils vont sans doute rapidement faire face à un deuxième obstacle. L’immeuble n’est-il pas en infraction urbanistique? Sa division en unités individuelles est-elle réglementaire? Il y a une chance sur deux pour que cela ne soit pas le cas, estime Charles Brocorens. "Or, si le groupe d’acheteurs veut inclure dans le compromis une condition suspensive de régularisation du bien, le vendeur risque de préférer vendre à quelqu’un d’autre, étant donné les délais qui peuvent courir", explique-t-il.
Parlons d’argent…
Poursuivons. Le groupe d’amis a trouvé son immeuble, il est en règle. Maintenant, petit "détail": qui paie quoi? C’est à ce stade de l’opération qu’apparaissent en général les premiers vrais "grincements de dents", explique Eric Verlinden.
Cet appartement-ci, libre immédiatement, vaut-il plus que celui encore occupé pour six mois par un locataire? Cet appartement-là a été rénové, mais pas au goût du futur propriétaire, qui veut d’office tout changer. Est-il plus cher? Une terrasse de 10m² vaut-elle le même prix que deux balcons? Problèmes donc. "L’immobilier n’est pas une science exacte et reste très subjectif", explique Charles Brocorens. Et si les amitiés sont très solides, elles ne résistent pas toutes aux différends financiers… Cependant, désigner un expert immobilier au préalable pourrait déjà éviter un maximum de problèmes. Un conseil? "Il faut que chacun parte du principe que tout le monde va réaliser une affaire, sans commencer à compter le gain potentiel des autres. Il faut pouvoir lâcher prise", suggère Charles Brocorens. Il précise à cet égard que la dernière opération de co-achat qu’il a réalisée concernait un groupe de Français qui s’entendaient très bien, qui savaient qu’ils réalisaient une bonne opération financière et qui n’étaient pas à 10.000 euros près.
Et soudain, tout s’écroule…
Prêts pour le dernier saut d’obstacle? Une fois que tout le monde est d’accord, il va falloir que chaque futur copropriétaire obtienne son crédit. Dans des banques différentes. Avec des timings différents. C’est naturellement possible, et, en général, chaque acheteur a déjà eu le feu vert de son banquier. Mais, comme l’explique Eric Verlinden, il suffit par exemple que l’un d’entre eux perde son emploi pour que tout le château de carte s’écroule. Il faut d’ailleurs au préalable que le propriétaire ait accepté de signer un compromis avec une condition suspensive d’obtention de… plusieurs crédits hypothécaires.
Pour un achat à plusieurs d’un immeuble divisé en lots, rappelons que chaque propriétaire est responsable de son crédit. Les difficultés de l’un d’entre eux à rembourser son emprunt n’impacteront pas les autres. De la même manière, si un copropriétaire veut vendre sa part, il est totalement libre de le faire.
En termes financiers, le co-achat d’un immeuble ne représente donc pas plus de risques que l’achat d’un appartement "individuel". Au contraire, il permet de réaliser des économies d’échelle, sur l’achat d’abord, mais également sur les rénovations. Commander trois cuisines, quinze châssis et 200m² de parquet devrait en effet bien valoir une petite réduction…